Les mots dans l'oeil , Le discours du schizophrène et l'image de son corps, Etiologie différentielle des dysmorphophobies

Les mots dans l’œil

Le discours du schizophrène et l’image de son corps

Etiologie différentielle des dysmorphophobies

(texte non corrigé)*


Thèse de Doctorat 

Sous la Direction de Pierre Fedida

L'Université de Paris VII

2001

 

« Je ne me demande pas qui respire, quand je respire, quand je suis là et que je respire, car je sais que c’est moi qui respire, mais je me demande ce qui est moi, non pas  moi au milieu de mon corps, car je sais que c’est moi qui suis moi dans ce corps et non un autre, et qu’il n’y a pas d’autre moi que le corps, ni dans mon corps, mais en quoi peut consister ce moi qui se sent ce qu’on appelle être, être un être parce que j’ai un corps. »

Antonin Artaud

Cahiers de Rodez

Tome IV

 

 

L’étude des phénomènes élémentaires psychotiques tels la dysmorphophobie, la schizophasie et la formation des néologismes sert comme point de départ pour remettre en question les considérations concernant l’origine de la représentation et le rapport du corps à la langue. Les phénomènes dits du corps si remarquables dans la schizophrénie dépassent le registre de la dysmorphophobie. Cependant notre étude se limite à des exemples de  « métamorphoses » ou de changement d’aspect corporel ressentis par des patients et les phénomènes langagiers qui les accompagnent. D’autres exemples où l’image est clairement un élément important de la pathologie seront également pris en compte.

     

Le rapport entre le discours et le corps du schizophrène est si intime qu’il  semble  nous indiquer quelque chose de l’évolution d’une pensée à partir d’une structure qui les lie. Cette structure nous semble appartenir à l’imaginaire et nous amène à réfléchir sur la notion d’une image pré-spéculaire et ses avatars. En même temps, la réflexion sur le corps qui s’en suit nous oblige à reprendre en compte la théorisation autour de l’étiologie de la schizophrénie et ses formes de suppléance.

 

L’apparition d’une dysmorphophobie au sein de la psychose se fait justement remarquer par ce qui ne se donne pas à voir à un tiers mais qui néanmoins s’impose par sa singularité, son intelligence originale. Pour certains auteurs, elle ressemble à la  période d’incubation de l’entrée du délire avant l’apparence des hallucinations, quels que soient la forme ou le thème ultérieurs du délire.

 

Avant de réfléchir sur ce phénomène nous pouvons légitimement demander pourquoi ce terme : dysmorphophobie, qui s’utilise aussi bien dans la psychose que la névrose.  Bien que le mot phobie appartienne au sens propre à la névrose, il semblerait qu’il y ait une certaine pertinence à utiliser ce terme pour décrire la souffrance d’un sujet qui tient en horreur sa propre morphologie — qu’il soit névrosé ou psychotique. Peut-on dire, que l’objet phobique en question chez le dysmorphophobique, est le moi propre ?  Le terme phobie nous amène également dans le registre de l’angoisse, du regard et de l’image, mais pas seulement. On ne peut que méconnaître l’impact du langage sur le vécu imaginaire du sujet.  C’est particulièrement dans ce registre que nous pouvons décider de la pertinence à garder ce terme ou d’opter pour l’utilisation d’un autre terme. 

 

L’hypochondrie se traduisait selon Freud « par des sensations corporelles pénibles et douloureuses ».[1] Elle aurait une relation à la schizophrénie « semblable à celle des autres névroses actuelles par rapport à l’hystérie et à la névrose obsessionnelle; » et « dépendrait donc de la libido du moi de même que les autres dépendraient de la libido d’objet. »[2] Il considérait par ailleurs qu’un petit élément d’hypochondrie collabore régulièrement aussi à la formation des névroses.[3] Freud développe son point de vue à partir de la plainte du malade hypochondriaque, c’est-à-dire à partir du langage. Par la suite il va développer sa théorie sur le narcissisme qui est loin d’être limitée à cette hypothèse. De la même façon nous pouvons supposer que la dysmorphophobie dépendrait également de la libido du moi et considérons approprié, au moins momentanément, d’utiliser ce terme.

 

D’après Freud, nous pouvons considérer la dysmorphophobie comme d’autres pathologies par leur mécanisme de fixation sur une pulsion ou composante instinctuelle, prédisposant à cette forme de la maladie ultérieure.[4] En suivant toujours Freud nous pouvons postuler que ces fixations sont de nature érotico-sensorielle et que les premières représentations y sont liées. Nous verrons plus loin les enjeux de ce mécanisme pour le sujet dysmorphophobique.

 

Ces perturbations du rapport à la réalité semblent appartenir au temps pré-spéculaire où la prématurité congénitale de l’enfant sera responsable d’un stade constitué sur « la base d’un proprioceptivité qui donne le corps comme morcelé. »[5]  Cette expérience du corps morcelé est mise à l’épreuve, selon Lacan, dans le stade du miroir dont la fonction est la neutralisation de cette sensation angoissante de morcellement par l’assomption [6]de cette image comme unité, propre au sujet.

 

Ce que nous entendons par l’image pré-spéculaire est l’image de soi dans un temps logique avant l’expérience du stade du miroir. Cette image se décompose, nous semble-t-il, en une multiplicité d’échanges sensoriels entre l’Autre et l’infans – le regard , mais aussi l’ouïe, l’odorat, le toucher, etc.. Nous la déduisons à partir de l’expérience, et particulièrement du discours, du dysmorphophobique.

 

Le corps morcelé dont la dysmorphophobie donne une expression, est un retour au temps logique pré-spéculaire. Donc le sentiment de transformation corporelle correspond à une forme de régression que Freud considérait temporelle par ses caractéristiques d’appartenance à une époque logique révolue. Nous étudierons plus loin les incidences de cette forme de régression, ainsi que d’autres formes en comparaison avec le rêve.

 

Il nous semble que ce qui fait la dysmorphophobie proprement dite, aussi bien que le rêve, se produit quand quelque chose jusque là noué, se dénoue.  Ce dénouage, appelé par ailleurs  dissociation, a longtemps fait l’objet d’études dans différents domaines.  

 

Notre étude prend en considération ce phénomène --- à savoir, le pourquoi et le comment de ce dénouage, le pourquoi d’une dysmorphophobie, le pourquoi d’un sentiment d’une transformation corporelle. Quel est son rapport avec le discours du schizophrène?  Est-il possible pour le patient lui-même de neutraliser l’expérience du corps morcelé ? Comment fait-il alors ? 

 

Dans un premier temps, nous allons passer en revue des études faites sur la schizophrénie pour essayer de définir l’intérêt de notre travail.  Les considérations clinico-nosographiques ont tracé la voie pour la recherche sur des symptômes.[7]  Cette recherche amène à retravailler les notions descriptives pour élaborer le concept de la schizophrénie.  Paradoxalement ce concept a peu à peu perdu sa spécificité pour être à nouveau aujourd’hui au centre d’un nouveau débat à partir des nouvelles tentatives de définition de concept qui concerne parfois des pathologies dites « limites ».  Notre étude participe donc à cette réflexion.

 

Dans un deuxième temps, nous présenterons l’observation d’un sujet schizophrène dysmorphophobique  en posant  le cadre de notre recherche. Notre étude différentielle sur le discours des sujets dysmorphophobiques nous amènera à examiner en détail les impasses de la structuration de l’individu et à dégager la spécificité de la schizophrénie dans un troisième temps.

 

Une  fois cette logique posée, nous pouvons, dans un quatrième temps, élaborer une nouvelle théorisation toujours à partir du discours du sujet dysmorphophobique  schizophrène.

 

 

 

 

 

 

Conjectures historiques

 

Une Folie Unique – la folie des folies

 

Dès l’Antiquité, les philosophes s’intéressent aux rêves et à la folie. Aristote note dans un de ses traités :  « Il est clair que nous n’avons aucune sensation pendant les périodes de sommeil. Ce n’est donc assurément pas par la sensation que nous percevons le rêve. » Cette dernière ligne peut également être traduite « Ce n’est pas par la perception que nous percevons le rêve. »[8] Plus loin dans le même texte : « Il est tout au moins clair, à propos de tous ces faits, que la même ‘faculté’ qui nous abuse lors des maladies, même à l’état de veille, produit aussi cette affection dans le sommeil. Et même ceux qui sont en bonne santé et qui savent ce qu’il en est ont malgré tout l’impression que le Soleil mesure un pied. »[9]

 

Moureau de Tours essaie de démontrer « l’identité de l’état de rêve et de la folie.[10] Il tente d’identifier un  fait primordial «générateur de tous les autres ».[11] Cette « modification intellectuelle primitive, toujours identique à elle-même »[12] peut intervenir soit par l’usage du hachisch, soit par une  « lésion fonctionnelle »[13], une « désagrégation moléculaire de l’intelligence ».[14] Dans un second temps, il survient « un véritable état de rêve, mais de rêve sans sommeil »[15].

 

 Pendant la première moitié du dix-neuvième siècle, les débats entourant les théories de la folie concernent l’étiologie possible des troubles mentaux multiples qui sont, selon les auteurs, soit organogénétiques soit psychogéniques.

 

Vers le milieu du siècle, les théories organogénétiques emportent l’opinion psychiatrique avec les postulats de Griesinger, Traité des maladies mentales (1845) et de Neumann (1859) selon lesquels la psychose est unique, des monopsychoses, liée aux altérations anatomiques du cerveau. Selon Griesinger: « Toutes les formes de folie ne seraient que les phases successives d’une même maladie ». [16]   Il défend, par ailleurs, l’idée qu’il y a une analogie entre le rêve et les troubles mentaux même si leur évolution ultérieure n’est pas la même.  Selon Neumann[17]: « Il n’existe qu’une sorte de perturbation mentale, nous l’appelons folie ».

 

La folie pourrait avoir, selon les tenants, soit une origine viscérale soit une origine cérébrale. Ces doctrines médicales posent l’organicité de la folie comme une certitude. Pour un certain nombre de ces médecins, les troubles mentaux ne sont que l’expression d’une atteinte organique, de même que les symptômes d’une maladie somatique.

 

Les diverses hypothèses de l’étiologie s’étendent au-delà des anomalies cérébrales à toutes les constatations trouvées à l’autopsie : dégénérescences de la lumière intestinale, sécheresse parcheminée de la peau, anomalies des ovaires, etc.  

 

La théorie dualiste de Friedrich Groos, élève de Heinroth et de l’organiciste Nasse, tente de démontrer une étiologie plus complexe.  Groos considère que tout trouble mental repose sur une double condition : un « négatif psychique » et un « positif somatique ». Le négatif psychique correspond au « défaut de libération au moment opportun de la pulsion innée du bien ». Le « positif somatique » correspond à la présence d’obstacles organiques.  Là où il y a une « vie affective encore fort éloignée de l’idéal, les erreurs y prennent racine, elles conduisent à la passion et, par-là, à la prédisposition à la maladie mentale ». Pour Groos, la coexistence de ce négatif et ce positif est indispensable pour produire la folie. [18]

 

Ce point de vue n’est pas sans rappeler que les médecins de l’époque n’ont pas attendu le rattachement de la paralysie générale en 1879 à la syphilis pour considérer la maladie mentale du point de vue de la moralité. La notion de dégénérescence développée largement par Morel à partir de 1857 et plus tard même, dans une certaine mesure, par Freud, dépasse l’idée de toute organicité, d’origine héréditaire ou autre, des maladies mentales [19]/[20]/[21].

 

Quel que soit le processus en cause, la folie est cependant, à cette époque toujours considérée comme unique. Les principes de classification des maladies mentales n’ont pas été élaborés. 

 

Le courant clinico-nosographique de la psychiatrie

 

En 1860, Kahlbaum (1828-1899) s’oppose au courant de la psychose unique.  Pour lui il doit être possible d’individualiser des tableaux cliniques comme cela est le cas en médecine somatique. Sa théorie est toujours formulée sur la base des théories organicistes. [22]

 

Pour J.-P. Falret, Des maladies mentales et des asiles d’aliénés (1864), le délire se développe « d’après les lois qui lui sont propres. »[23] Déjà sous ce titre nous pouvons déduire qu’il tend vers la thèse de Kahlbaum avec des descriptions d’entités de maladies différentes.

 

L’étude des maladies dans une perspective de classement selon le déroulement du délire a permis également de définir des processus différents au cours d’une même maladie. Une dynamique de ces maladies est donc dégagée.  

 

Frappés de stupidité – Entre dégénérescence et démence : la notion d’affaiblissement psychique

 

La psychose schizophrénique se caractérise, selon ces auteurs, par une forme de désagrégation mentale qu’on a appelée « démence précoce », « discordance intrapsychique » ou « dissociation de la personnalité ».  Morel [24] en France décrit au dix-neufième siècle des malades « frappés de stupidité dès leur jeune âge » sous le nom de « déments précoces »[25].

 

En Allemagne, Hecker (1843-1909), dans ses ouvrages, L’hébéphrénie ou folie juvénile et La catatonie ou folie tonique (1874), désigne cette maladie par le terme : hébéphrénie[26] et Kalhbaum, dans L’hébdoïdophrénie ou demi-folie juvénile (1889/1890), décrit leur catatonie.[27]  

 

Définition d’un concept

 

L’évolution désastreuse

 

Vers la fin du dix-neuvième siècle et le début au vingtième, Kræpelin rassemble tous ces cas sous le nom de Dementia precox. Cette dénomination signifie que pour lui cette affection se caractérise par son évolution vers un état d’affaiblissement psychique (Verblödung) et par des troubles profonds de l’affectivité (indifférence, apathie, sentiments paradoxaux).

 

Dans un premier temps, l’étude de Kræpelin se concentre sur l’aspect déficitaire de la psychose. Sa préoccupation est d’élaborer des tableaux cliniques détaillés tout en recherchant la démonstration d’une étiologie anatomopathologique.  Il distingue progressivement cette maladie des psychische Entartungsprozesse (processus psychiques de dégénérescence) à la faveur des « processus démentiels ».  Il gardera des traits des maladies décrites par Hecker et par Kalbaum pour en faire des formes cliniques de l’hébéphrénie et de la catatonie ainsi que de la démence paranoïde. Ce dernier groupe était formé de cas précédemment rangés dans la paranoïa avec une évolution vers un état démentiel. Cette notion « déficitaire » regroupera l’ensemble du groupe à partir de la sixième édition.  En effet, sa synthèse repose largement sur la notion d’évolution. « La tendance à user d’un langage biscornu, à faire des jeux de mots par assonance, » sans souci de sens, fait partie intégrale de l’affection selon Kraepelin. Cependant, si l’hypochondrie est une affection que le malade pourrait imaginer à la suite de ses lectures, ce symptôme n’est pas du tout envisagé comme ayant un rapport avec le langage.[28] Kraepelin se contente de définir la pathologie selon son évolution. Il remarque néanmoins « un état pathologique portant plutôt sur le jugement que sur la mémoire. »[29]

 

La recherche de Charles Lasègue aussi bien sur les délires de persécution qu’en alcoologie, lui permet d’affirmer que le délire n’est pas un rêve éveillé comme le pensaient les Anciens.[30] Il s’intéresse à l’évolution des délires paranoïaques pour autant que ceux-ci se développent après une période de « malaise indéfinissable » initiale. Il ne prend pas en considération une évolution vers un état terminal. [31]

 

Plusieurs auteurs, notamment Magnan, reprennent la description faite par Lasègue pour différentes périodes du délire de persécution en développant des étapes distinctes jusqu’à une période terminale de démence.[32]

 

La notion d’évolution de la maladie mentale va permettre non seulement la distinction des entités cliniques entre elles mais aussi le développement d’une argumentation qui différencie le rêve et le délire.

 

Ces considérations sur le développement des classifications des maladies mentales et la distinction entre le délire et le rêve cernent, sans les épuiser, les critères de l’argumentation des auteurs de la fin du dix-neuvième et de la première moitié du vingtième siècles. Ils dégagent des processus et distinguent des pathologies en fonction de leur évolution.

 

L’enjeu politique de la psychiatrie ne repose plus sur le concept aliéniste : comment distinguer les fous des « normaux », les moraux des immoraux, mais est tourné de plus en plus vers la recherche sur les symptômes qui distinguent des maladies mentales entre elles. Des considérations sur une ressemblance entre le rêve et le délire comportent cependant, selon certains auteurs, le risque d’un retour de l’avant période aliéniste, où l’absence d’une réflexion sur les processus en jeu n’a fait apparaître qu’une folie unique où le rêve semblait avoir sa place. 

 

Un symptôme : La perte d’unité intérieure - la notion de dissociation

 

Kræpelin considère que la maladie s’individualise par son évolution, c’est-à-dire par son état terminal. Les symptômes décrits par Kræpelin concernent notamment la dissociation. Il souligne la perturbation du jugement et la présence d’idées délirantes accompagnées d’hallucinations. L’abêtissement affectif est pour lui un signe capital et absolument constant. 

 

Dans l’ensemble, pour Kraeplin, les symptômes sont la conséquence d’une perte d’unité intérieure (terme emprunté à E. Stransky).[33]

 

Cependant Stransky différencie la notion kraepelinienne de « détérioration affective » dans des aspects plus cliniques de « superficialité des réactions affectives », et  «l’absence de congruence de ces réactions par rapport au contenu des représentations dominantes de la psyché ». [34]

 

Chaslin, Séglas, Stransky et d’autres observateurs de cette époque soulignent la notion d’une « dissociation » de la vie psychique, une sorte de « désagrégation de la personnalité » plus qu’un affaiblissement intellectuel global. Or d’autres, comme Jung pensent que ces notions sont beaucoup trop générales et ne se limitent pas à la schizophrénie.[35]

 

Jung pense à cette époque que la dissociation pointe une difficulté secondaire qui se pose à la suite des formations de complexes de tonalité affective forte, qui donnent la couleur et l’expression (par leurs liens associatifs) à beaucoup de problématiques psychiques, en conflit avec un complexe-moi qui s’est affaibli notamment dans la schizophrénie, probablement sous l’effet d’une toxine. [36]   Ces travaux vont intéresser Bleuler qui va s’en servir pour enfin centrer la recherche non pas sur la phase terminale de la schizophrénie, mais sur ses symptômes et son organisation.

 

C’est notamment l’observation de la dissociation qui est impliquée dans le concept de Schizophrénie désigné par E. Bleuler en 1911. Un processus de relâchement primaire des associations représente le trouble capital de la schizophrénie selon Bleuler. Cependant  c’est la dislocation systématisée en fonction des complexes  qui a donné son nom à la schizophrénie. (Schizein : couper- déchirer; phren : cerveau- pensée).

 

Selon lui, ces malades sont atteints non pas de démence, mais d’un processus de dislocation qui désintègre leur capacité «  associative » (signes « primaires «  de dissociation), processus qui, en altérant leur pensée, les plonge dans une vie « autistique », dont les idées et les sentiments sont comme dans le rêve (l’expression symbolique des complexes inconscients, les signes « secondaires »). Aux notions purement descriptives de Kraepelin, Bleuler ajoute, tout comme Jung, d’après les travaux de Freud, le concept de l’inconscient.[37]  Bien que Jung  prenne un chemin divergent, il est difficile de séparer ses productions théoriques de celles de Bleuler à cette époque. Il nous semble que la notion des complexes de tonalité affective forte responsables du trouble sera plutôt une idée jungienne bien que Bleuler s’en serve pour nommer des symptômes « secondaires ».[38]

 

 

 

Echec annoncé  d’un concept trop général

 

Cependant, en perdant les critères selon lesquels la maladie évoluait vers une démence, la notion de schizophrénie a fini par englober des maladies mentales diverses et elle tend à perdre sa spécificité. On assiste paradoxalement, au retour vers la folie unique.

 

En ramenant la schizophrénie à une disposition caractérielle ou une « attitude schizophrénique »[39], la schizoïdie, selon Kretschmer,  et en englobant  la notion de « perte de contact avec la réalité », et la « perte de l’élan vital », selon Minkowski,[40]  le concept de la schizophrénie acquiert  une extension quasi illimitée.

 

 Les concepts d’«opération primordiale » de Merleau-Ponty et la notion d’expérience «continûment lisible » de Binswanger contribuent, chez les phénoménologues, à la longue,  à cette perte de la spécificité  de la notion de schizophrénie malgré l’introduction des concepts structuraux.

Pour Merleau–Ponty [41]/[42]le corps est le lieu de l’opération primordiale dans la venue de l’être-au-monde. La chaîne associative des impressions sensibles médiatisée par les mouvements constitue ainsi les objets. 

 

Dans son analyse du délire schizophrénique, Binswanger tente de mettre en évidence des étapes constitutives de l’expérience naturelle.[43]  Il s’intéresse tout particulièrement à la manière dont la conscience parvient à «un texte continûment lisible de l’expérience »  d’un monde unitaire commun.  La conscience suit toujours,  selon une chaîne de renvois concordants, l’association, les relations d’une chose à une autre, et  parvient donc à une expérience rationnelle. Dans l’expérience schizophrénique ce texte  n’est plus continûment lisible. La conscience ne suit plus les indications données par les choses.

 

En effet le choix de la dénomination « schizophrénie » met en avant certaines caractéristiques de cette affection qui n’appartiennent pas uniquement à elle, comme le  remarquait déjà Jung puis Freud. [44] Ainsi dans d’autres pathologies la conscience ne suit plus les indications données par les choses. C’est l’expérience même de la « perte de réalité », qu’elle soit névrotique, perverse ou psychotique.

 

De même, le corps n’est pas plus fiable que le psychisme quant à sa mémoire sur les choses sensibles, ni dans la névrose, ni dans la psychose.  Et la dissociation ne demeure  pas un symptôme unique à la schizophrénie.

 

Le Congrès de Zurich (1957) permet de ne plus être très exigeant quant à la définition du concept de la schizophrénie. A la suite de l’enseignement lacanien, beaucoup d’auteurs considèrent la schizophrénie comme faisant partie d’une structure psychotique unique dont elle constituera une phase logique. [45]  

 

 

Persistance du concept

 

En France, aujourd’hui, quelle est la tendance ? La psychiatrie française reste héritière du modèle bleulerien de la schizophrénie, à quelques élaborations théoriques près.  Peut-être cet intérêt souligne-t-il une certaine pertinence ?

 

Selon Henri Ey,[46] le concept de la schizophrénie doit refléter le noyau clinique qui l’a fondé. Il reste dans la clinique psychopathologique descriptive.

 

Pour lui, il faut définir la schizophrénie : « comme une psychose chronique qui altère profondément la personnalité et qui doit être considérée comme une espèce d’un genre, celui des psychoses délirantes chroniques. Elle se caractérise par une transformation profonde et progressive de la personne, qui cesse de construire son monde en communication avec autrui pour se perdre dans une pensée autistique, c’est-à-dire dans un chaos imaginaire. [47]

 

Un tel processus est plus ou moins lent, progressif et profond ; il se caractérise comme le voulait Bleuler par un syndrome déficitaire (négatif) de dissociation --- et par un syndrome secondaire (positif) de production d’idées, de sentiments et d’activité délirante. »[48]

 

D’autres auteurs, de la psychiatrique phénoménologique, s’intéressent aux phénomènes qui prétendent révéler la structure intime de l’expérience pathologique mais penchent pour l’acceptation du terme de la schizophrénie avec une attention particulière aux processus[49].

 

 

 

Corps ou âme

 

C’est encore l’aspect déficitaire qui permet de développer une nouvelle théorie anatomopathologique, nommée cette fois-ci : « organodynamique ».  Cette description  de la schizophrénie  par Ey trouve ainsi, plus que jamais, une notion dualiste : le corps (l’aspect déficitaire) et l’esprit (les symptômes).  Bien que pour Bleuler  la cause de la schizophrénie ne laisse pas de doute quant à ses origines biologiques mais encore une fois, le développement de la pathologie y échappe. Pour cette raison nous ne doutons pas que les nouvelles recherches moléculaires et génétiques n’éconduiront pas la recherche psychanalytique.

 

Dans toutes ces tentatives pour définir la schizophrénie comme entité nosologique, aucune étude n’est approfondie sur le rapport du discours schizophrène à l’image de son corps. Dans les descriptions précédentes de la schizophrénie, le corps est le lieu d’une anomalie ou d’un déficit.  Les descriptions de la folie de l’esprit, même si elles incluent des exemples d’hallucinations du malade concernant son corps, ne renvoient pas à une réflexion concernant l’étiologie de la psychose. D’autres, tout en prenant en considération l’existence d’un troisième terme, complémentaire au système dualiste,[50]  l’excluent en ce qui concerne le schizophrène.  Ainsi, les descriptions assez fines de la symptomatologie schizophrénique sont-elles vouées, du fait de leur structure, à une juxtaposition éternelle, de plus et plus finement décrite, des éléments de cette dualité et au paradoxe de la folie unique.

 

Selon Spinoza, l’homme n’est pas, comme dans la tradition classique, la juxtaposition d’une âme et d’un corps, mais l’unité corps-esprit. L’âme, ou plutôt l’esprit n’est pas une autre chose, mais elle est l’idée du corps, la conscience du corps.[51] « Le sous-jacent-à-la-base est pour Nietzche non pas le moi, mais le corps », selon Heidegger.[52]  Ces réflexions nous semblent proches du vécu du schizophrène. Cependant il reste à en connaître les processus et les structures en jeu.

 

Nous pouvons penser que le vécu corporel n’est qu’une manifestation entre autres du Dasein schizophrène ou de la perte de contact avec la réalité.  Par ailleurs, chez les phénoménologues, si l’intérêt dans l’expérience de morcellement existe, il reste limité par l’effort à contenir le Dasein schizophrénique dans une définition  globalisante de l’expérience de l’être-au-monde en situant cette expérience par rapport à l’expérience dite « normale ».

 

Selon Lacan, le psychotique « fait face à ses organes sans le secours d’un discours établi. » Le psychotique est de ce point de vue « hors discours ».  Ici,[53] Lacan fait référence aux discours établis : du Maître, de l’université, de l’hystérique, et de l’analyste.[54] Il les situe en rapport au lien social. Le psychotique peut-il fabriquer une forme de discours qui lui permette de faire face à son corps ? Quels renseignements peut–on trouver à partir du « discours » sur l’image pré-spéculaire ? 

 

L’apport de la psychanalyse dans l’établissement des fondements : l’étiologie comme définition

 

Dès son écrit de 1894, « Les Psychonévroses de Défense », Freud met en évidence un mécanisme de défense contre une représentation[55] inconciliable qu’il considère responsable de la psychose.

 

 Il tient compte du destin de la représentation et de l’affect lié à celle-ci. Chaque psychonévrose a sa propre forme de défense. En ce qui concerne la psychose, il note à la différence des névroses utilisant le refoulement qu’il existe « pourtant une espèce beaucoup plus énergique et efficace de défense. Elle consiste en ceci que le moi rejette la représentation insupportable en même temps que son affect et se comporte comme si la représentation n’était jamais parvenue jusqu’au moi. Mais, au moment où ceci est accompli, la personne se trouve dans une psychose que l’on ne peut classifier que comme « confusion hallucinatoire ».*[56]

 

Freud distingue les différentes pathologies par leur étiologie et non par leurs symptômes. La dualité « corps et esprit » ne semble plus appropriée pour les décrire. D’emblée, ce n’est pas l’esprit qui est en cause mais la représentation elle-même.

 

Freud a très tôt situé l’étiologie de la psychose dans un temps antérieur à son éclosion :

« J’attire l’attention sur le fait que le contenu d’une psychose hallucinatoire de ce genre consiste précisément en la mise au premier plan de cette représentation* qui était menacée par l’occasion déclenchante de la maladie. On est donc en droit de dire que le moi s’est défendu contre la représentation insupportable par la fuite dans la psychose ; le processus aboutissant à ce résultat échappe, lui encore, à l’autoperception aussi bien qu’à l’analyse psychologico-clinique. Il faut le considérer comme l’expression d’une disposition pathologique accentuée, et on peut peut-être le décrire ainsi : le moi s’arrache à la représentation inconciliable, mais celle-ci est inséparablement attachée à un fragment de la réalité si bien que le moi, en accomplissant cette action, s’est séparé aussi, en totalité ou en partie, de la réalité. »[57]

 

Ainsi le moi se sépare-t-il de la réalité plutôt que d’inclure la représentation problématique. Cependant il est également question de l’utilisation de cette représentation par le moi et nous pourrions penser que Freud lui-même avait une tendance à revenir vers une notion déficitaire quant à la capacité du moi à se défendre de cette représentation elle-même insupportable. Néanmoins,  la « disposition pathologique accentuée » semble être acquise du fait du rapport maintenu entre la réalité et cette représentation et non d’une disposition innée.

 

 Dans sa lettre à Fleiss du  11 janvier 1897, la représentation qui est mise en cause pour Freud est clairement sexuelle.  Freud écrit : « La condition déterminante d’une psychose et non pas d’une névrose (je veux dire d’une amentia ou psychose confusionnelle, psychose par débordement comme je disais naguère) réside, semble-t-il, dans un mésusage sexuel ayant précédé la fin du premier stade intellectuel (avant l’achèvement, sous sa première forme, de l’appareil psychique, avant 1 an et 3 mois à 1 an ½). Il se peut que ce mésusage remonte à une date assez lointaine pour que ces expériences précoces se dissimulent derrière des incidents plus récents et qu’il soit possible d’y recourir de temps en temps. » [58]

 

Freud peut étendre maintenant sa théorie de séduction aux psychoses. La scène traumatique et son inscription ont eu lieu simplement plus tôt.   Bien que cette théorie de séduction soit remise en question par Freud lui-même, la notion de représentation intolérable restera toujours pour lui, la clef de voûte de la pathologie psychique.

 

Il nous semble important de souligner dès à présent que  l’enjeu freudien pour expliquer la psychose se situe dans une autre aire que chez ses contemporains.   Freud s’intéresse à la représentation, à savoir comment celle-ci rend fou.  Cette représentation a cependant une contingence corporelle. C’est-à-dire, dans l’usage de ce terme de représentation que fait Freud, il y a la notion limite entre le somatique et le psychique. La pulsion est le terme qui désigne cette limite.[59]

 

Aujourd’hui l’explication la plus ordinaire de la folie concerne la notion d’une  représentation causale, souvenir d’événement traumatique. L’insistance sur un traumatisme sexuel précoce qui laisserait une trace indélébile appartient cependant à la psychanalyse.  Il nous semble important de souligner le rapport maintenu entre la réalité et la représentation qu’occasionnera la perte de la réalité pour le moi.  Nous y reviendrons.

 

La conception déficitaire[60]  de Freud dans ses aspects phylogénétiques et ses aspects ontogénétiques est nettement influencée par la théorie de séduction. La question de « moralité » s’entend dans la notion de dégénérescence.  Cependant,  en insistant sur ces aspects moraux du dix-neuvième siècle, on ne peut que méconnaître l’importance que Freud donne à la représentation pulsionnelle et le lien que Freud lui donne avec l’archaïque ou  à un temps logique[61] toujours plus reculé.

 

Freud cite les travaux d’Abraham et de Jung pour définir une pathologie distincte de la paranoïa. Cette distinction concerne « la tentative de guérison », c’est-à-dire, le délire qui « ne se sert pas, comme le fait la paranoïa, de la projection, mais du mécanisme hallucinatoire (hystérique). C’est là un des deux grands caractères différentiels de la démence précoce d’avec la paranoïa, caractère susceptible d’une élucidation génétique si l’on aborde le problème d’un autre côté. L’évolution terminale de la démence précoce, lorsque cette affection ne reste pas trop circonscrite, nous fournit le second caractère différentiel. Elle est, en général, moins favorable que celle de la paranoïa, la victoire ne reste pas, comme dans cette dernière affection, à la reconstruction, mais au refoulement. [62] La régression ne se contente pas d’atteindre le stade du narcissisme (qui se manifeste par le délire des grandeurs), elle va jusqu’à l’abandon complet de l’amour objectal et au retour à l’auto-érotisme[63] infantile. La fixation prédisposante doit, par suite se trouver plus loin en arrière que dans la paranoïa, être située quelque part au début de l’évolution primitive qui va de l’auto-érotisme à l’amour objectal. »[64]*

 

 En ce qui concerne la schizophrénie, Freud reconnaît les aspects déficitaires de cette pathologie qui la distingue de la paranoïa selon les descriptions de Kraepelin. Cependant, il n’est pas d’accord avec le terme de démence précoce pour nommer l’affection. Il n’est pas plus heureux avec le terme schizophrénie car son sens littéral, dit-il « préjuge de la nature de l’affection en employant pour la désigner un caractère de celle-ci théoriquement postulé, un caractère, en outre, qui n’appartient pas à cette affection seule et qui, à la lumière d’autres considérations, ne saurait être regardé comme son caractère essentiel. » . Il préfère le terme paraphrénie pour son sens « indéterminé ».[65]

 

Il note le mécanisme du refoulement comme étant prévalent dans cette affection en opposition avec la reconstruction paranoïaque.  Il souligne particulièrement la régression temporelle (quant  au stade).[66] Nous reprendrons les notions de régression, de refoulement et d’auto-érotisme plus loin.

 

Karl Abraham pose la question de savoir si l’imagination anormale qu’il avait supposée était un signe avant-coureur de « démence précoce, ou bien si la démence précoce plus tardive ne fait qu’utiliser les fantasmes et les événements sexuels de l’enfance. » Il jugeait, cependant qu’une prédisposition individuelle était primaire et que les événements de type sexuel ne constituaient pas l’origine de la maladie mais déterminaient les symptômes.  « Ils ne sont pas la cause de l’apparition des idées délirantes et des hallucinations, mais ils leur fournissent un contenu individuel. Ils ne sont pas responsables de l’apparition de stéréotypies verbales et comportementales, mais conditionnent leur forme dans le cas individuel. »[67]

 

Du rêve

 

Selon Freud, dans la schizophrénie les mots sont soumis à l'élaboration par des processus psychiques primaires. Ce processus diffère du rêve où ce sont les représentations de choses qui sont soumises à ce travail.  Mais la similitude du rêve et des processus délirants chez le schizophrène reste frappante. Ce parallèle porte à la fois sur l’aspect formel du rêve et sur les processus en jeu. Nous laissons momentanément ces considérations sur le rêve pour y revenir plus tard. Néanmoins nous notons que c’est par le biais des travaux de Freud sur le rêve que Jung puis Bleuler se sont intéressés à la psychanalyse et par-là à la notion d’association.

 

Avec la recherche actuelle en biologie moléculaire et en génétique nous pouvons légitimement nous demander pourquoi s’intéresser, dans l’absence d’indication de thérapie à partir du dispositif de la psychanalyse,  à l’association, puis au langage du schizophrène. Or la perturbation de la pensée formelle en jeu chez le schizophrène nous est accessible principalement par l’observation de son discours et c’est par l’association verbale que nous pensons reconnaître des mécanismes du fonctionnement schizophrène.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La relation du corps dans la formation d’une chaîne de pensée originelle.

 

Les travaux développés par Lacan font référence à la prématuration et  la foetalisation selon Bolk et aux travaux éthologiques (de Köhler sur les singes, de R. Chauvin sur l’apparition du type grégaire du Criquet Pèlerin, et de Harrison concernant l’ovulation du pigeon )[68] . Il tente de saisir le rapport de l’enfant au miroir au moment de l’entrée de l’enfant dans le langage.

 

Ces faits concernant  le jeune enfant sont systématisés par Antoine Grégoire en 1937. Le jeune enfant s’avère d’emblée capable de prononcer « tous les sons de tous les langages connus. » Tous les enfants dans les premiers mois forment une infinité de phonèmes sans limitation repérable. Loin d’être des bruits indifférenciés, cette matière sonore porte déjà la marque de l’espèce humaine. Le problème n’est donc pas l’apprentissage mais l’inhibition d’une trop grande quantité de sons et une organisation de la matière sélectionnée.

 

Jakobson  montrait que la performance linguistique se tarissait brutalement à un moment donné, avec parfois une mutité. Ce moment est celui où le son articulé devient signifiant, où le petit sujet se laisse représenter dans la parole.[69]  Il note, comme Freud et Lacan, à quel point la parole articulée porte en soi un poids de traumatisme.  Selon Jakobson, les premières oppositions phonologiques auxquelles s’accroche l’enfant peuvent faire symptôme, notamment dans les cas de « retard simple de langage ».  Rosine et Robert Lefort nous fournissent un bel exemple contemporain d’un « accrochage » phonologique chez un enfant psychotique.[70]   Nous y reviendrons.

 

Malgré l’établissement des premières oppositions, l’enfant peut se refuser à des différenciations ultérieures et parfois sombrer, plus ou moins temporairement, dans la mutité. L’étonnant, note Jakobson, est que le retard simple de langage est en général compatible avec la reconnaissance des phonèmes de la langue standard, lorsqu’ils sont prononcés par des adultes. L’enfant se refuse à avancer plus avant dans le trou du symbolique.[71]  Chez le schizophrène, même lorsque la langue paraît incompréhensible tel que dans certaines formes de schizophasie, la convention phonétique est celle de la langue maternelle du malade.[72] 

 

Un autre phénomène relevé par  Jakobson et relatif à notre recherche concerne les embrayeurs, les shifters que Lacan utilise pour le déchiffrage du langage. Il remarque comment « le je, comme sujet de la phrase en style direct, laisse en suspens, conformément  à sa fonction de shifter en linguistique, la désignation du sujet parlant, aussi longtemps que l’allusion, dans son intention conjuratoire sans doute, restait elle-même oscillante. » [73] Il explique comment l’incertitude d’une patiente paranoïaque prit fin avec l’apparition d’une hallucination auditive : « ‘truie’ , lui-même trop lourd d’invective pour suivre isochroniquement l’oscillation. C’est ainsi que le discours vint à réaliser son intention de rejet dans l’hallucination. Au lieu où l’objet indicible est rejeté dans le réel, un mot se fait entendre, pour ce que, venant à la place de ce qui n’a pas de nom, il n’a pu suivre l’intention du sujet, sans se détacher d’elle par le tiret de la réplique … restituée dès lors à la patiente avec l’index du je, et rejoignant dans son opacité les jaculations de l’amour, quand, à court de signifiant pour appeler l’objet de son épithalame, il y emploie le truchement de l’imaginaire le plus cru. « Je te mange…  Chou !» «  Tu te pâme...Rat ! »[74]

 

Lacan s’aperçoit à cette époque que l’instauration de l’arbitraire d’une métaphore signe le passage du cri à l’appel en faisant référence aux travaux de Karl Bühler et à la théorie de la communication appliquée par Jakobson à la linguistique. (Le chat fait ouah-ouah).[75] En effet l’acceptation de l’ordre du langage, de l’Autre comme code, semble pour Lacan dépendant de ce phénomène primordial de la métaphorisation.

 

Cette  prise du langage sur la matière est depuis les années soixante saisie à travers un autre paradigme.  La promotion par Chomsky de l’impératif de générativité, sa thèse des « Langage Acquisition Devices » innés encourage des recherches, non plus sur la performance du nourrisson en fait de lallation, mais bel et bien sur sa compétence.  L’infans[76] est capable de différencier la langue maternelle et son système phonétique d’autres systèmes linguistiques, à l’âge de quatre mois, (Vigorito 1981) mais également à l’âge de quatre jours [77].

 

Nous notons également la reprise de ces modèles chez des chercheurs anglophones. Ainsi Frances Tustin reprend les travaux de Margaret Malher pour développer  la notion d’un schéma inné.[78] Ces formes innées « sembleraient les précurseurs corporels des pensées et des fantasmes. »[79]

 

Lacan propose dans les années 70 le postulat de lalangue[80] comme réel de la langue, jouissance du un, supposant l’inexistence de l’Autre. La question est alors :  par quel appareillage, par quel coinçage nodal, par quelle suppléance cet Autre est-il construit ?  Existe-t-il d’autres formes de suppléance au défaut de l’Autre chez le schizophrène ?

 

 Ce qui suppose une nouvelle différentiation : à l’opposition cri/entrée dans le langage, il faut substituer, selon Lacan, l’opposition lalangue/discours comme répartitoire de la jouissance. Or pour nous la jouissance en  question concerne le rapport du schizophrène avec son corps, qui est si intimement lié au langage que nous dirons qu’il structure, d’une certaine façon, son imaginaire. 

 

L’hypothèse d’un imaginaire et le mécanisme de son  fonctionnement chez le schizophrène s’écarte quelque peu de l’enseignement de Lacan. Il ne désigne  pas une étendue ou un espace construit à partir d’un manque chez le schizophrène. C’est pourtant à partir d’un élément qui bouche ce manque, qui se déploie en utilisant des processus comparables à ceux que nous connaissons par le rêve que, à défaut d’instaurer un vide, le schizophrène développe son délire. 

 

Nous avons déjà, lors d’un travail antérieur[81], désigné comme boulon imaginaire cet élément qui bouche ce manque chez le schizophrène. Nous espérons élaborer dans notre thèse les mécanismes de sa formation et de sa dynamique dans la schizophrénie. Une des conséquences de cette structure est peut-être proche de ce que Pierre Fedida désigne d’après le mot allemand « Bild », quand il propose une régression vers l’informe :  « On sait que le vocabulaire* freudien n’a nullement privilégié le terme ou le concept de forme. Celui-ci sans doute mis hors champ par la psychanalyse notamment en raison de ses connotations philosophiques et/ou esthétiques – n’est certes pas absent (« Form » plutôt que « gestalt ») mais on dirait plus volontiers qu’il entre dans le destin de ce mot Bild de la langue freudienne qui ne se traduit certes pas par « forme » et qui n’est pas non plus l’équivalent mental et culturel du mot « image ».  Le modèle (Vorbld) de la formation de symptôme (Symptombildung) reste en un certain sens, l’image du rêve (Traumbild) qui désigne tout à la fois les images comme comportement de contenu du rêve, l’image comme formation hallucinatoire et aussi le rêve comme la théorie de l’image. De telle sorte que la « déformation » -- qui traduit une déchirure  de l’image (Zerrbild) – appartient au processus de l’image (Bild) et, par excellence, au travail du rêve. C’est donc du modèle de la régression qu’il faudrait attendre une véritable théorie de la déformation …. »[82]

 

Sans insister pour le moment sur l’importance de régression dans la schizophrénie, nous retenons avec Fedida cette conception d’un processus de l’image, et d’après Freud l’idée que le rêve hallucine.[83]  La considération de ce processus du travail sur la construction de l’image n’implique pas pour nous pourtant, ni  que le rêve soit un délire, ni que l’image se construise en se modelant sur une forme.

 

Avant de reprendre ces considérations sur le délire, le langage et la schizophrénie, nous souhaitons faire un détour par l’étude du discours d’un sujet schizophrène en nous inspirant largement de nos travaux antérieurs déjà cités.

 

Analyse du discours d’un sujet schizophrène

 

Introduction

 

Nous nous intéressons depuis un certain temps à un cas de dysmorphophobie chez un jeune homme schizophrène. Au moment où nous l’avons rencontré, il demandait avec une grande angoisse de confirmer ses craintes concernant l’atrocité de son physique. Il voulait peut-être s’assurer qu’il n’était pas aveugle, que ce qu’il voyait était bien vrai. Il semblait chercher là une vérité subjective.   Il demandait 30 fois par jour à tout son entourage :  « est-ce que ma figure n’est pas pleine de trous ? ».  Il disait : « ce n’est pas comme la laideur, ça ne fait rien d’être laid, ça c’est pire ». Il disait : « j’ai tué mon père et je suis dans la glace. »  Et effectivement il passait beaucoup de temps à se regarder dans le miroir.

 

 Grâce à un travail méticuleux de secrétariat qu’a fait le psychiatre chef de service pendant la période féconde du délire, nous avons pu localiser une séquence parlée qui semble être une holophrase, un élément, trouvé dans certaines langues qui décrit une situation où un mot a le sens d’une phrase et qui semble décrire le passage entre le cri et l’appel.  Cela donne des éléments précieux.  Nous pouvons remarquer également dans ce cas beaucoup d’éléments en commun avec le cas de l’Homme aux loups.

 

 

Aperçu du milieu et de l'histoire du malade

 

Nous ne souhaitons pas écrire l'histoire de notre malade du point de vue purement historique, ni purement pragmatique mais plutôt combiner les deux sortes d'exposés pour montrer  non seulement le monde si dépourvu d’amour où vivait notre malade mais aussi pour souligner les éléments qui se retrouveront dans le délire.

 

La plupart des renseignements suivants viennent d'une lettre adressée par les services sociaux de la ville dont le malade est originaire.  Nous tenons à les transmettre ici pour que le lecteur puisse se rendre compte du milieu qu'a connu notre patient et ainsi entrevoir la « place » qu'il a compris comme étant la sienne. 

 

Monsieur Michel L.[84] est issu d'un milieu social très défavorisé.  Son père qui était peintre en bâtiment se serait tué en tombant d'un échafaudage avant que Michel  L. ne naisse.  Ce maigre renseignement est tout ce qu'il sait de son père.  Peu après cet accident dramatique, sa mère a épousé Monsieur L., père, qui a adopté et donc donné son nom à notre patient.  Ce nom est homophone avec un mot signifiant ami.  Il revient, d’une certaine façon, en relation avec ce boulon imaginaire. D’ailleurs Monsieur L. dit que c’est par le meurtre de son  père qu’il se retrouve dans la glace. Nous aurons à y revenir.

 

Déjà à neuf ans, Michel L. était connu des services sociaux.  A cette époque, sa famille venait d'être relogée dans une HLM et quittait ainsi un logement insalubre.  On reprochait à Mme L., mère, d'être extrêmement bruyante, invectivant sans arrêt les enfants qui pleuraient nuit et jour.

 

Notre patient, l'aîné de cette famille de quatre enfants, donnait des inquiétudes à ses maîtres d'école.  Indiscipliné, renfermé, il vivait hors de l'orbite familiale et fréquentait des bandes de garçons de la cité HLM.  Il rentrait souvent chez lui vers 22H voire 23H30.  S'il rentrait tard le soir, il était alors malmené par ses parents, non parce qu'il était resté dehors jusqu'à une heure tardive mais parce qu'il les réveillait. 

 

Lorsque ses parents partaient à la pêche, en le laissant seul, sans lui donner la clef du logement et de quoi se nourrir, des voisins le recueillaient et lui donnaient à manger.

 

Michel L. paraissait, aux yeux des assistantes sociales, fuir, dès qu'il le pouvait, la voix tonitruante de sa mère et l'humeur agressive de son beau-père.  Il se réfugiait souvent chez une dame de la cité pour laquelle il faisait des commissions et chez qui il regardait la télévision. Il est mentionné dans un rapport social que « de toute évidence, l'enfant qui n'a pas dix ans, est un futur délinquant ».  

 

A un moment donné, les parents de Michel L. trouvèrent une solution pour « se débarrasser » de leurs enfants, ils les échangèrent contre la nièce du beau-père et les enfants restèrent ainsi deux ans à la campagne.  Michel L. gardera un souvenir douloureux de cette période où il semblerait que lui, ses sœurs et son frère aient subi des mauvais traitements de la part de leur « oncle ».

 

Retournés chez leurs parents, les enfants furent à nouveau livrés à eux-mêmes, se nourrissant comme ils le pouvaient.  C'est de cette époque que date l'intervention des assistantes sociales.  La surveillance stricte et régulière des services sociaux s'imposait donc depuis les treize ans de Michel L..

 

A cette époque Mme L., mère, était souvent hospitalisée, sans que nous ayons réussi à savoir exactement pourquoi et les trois plus jeunes enfants étaient alors placés. Seul Michel L. demeurait au foyer avec ses parents.

 

Monsieur L., père, désorganisé quand son épouse était absente, buvait plus que de coutume et accumulait les dettes.  L'éducation de Michel L. était fortement négligée d'autant plus que cet homme  rejetait ce garçon qui n'était pas son vrai fils. 

 

Mme L., mère, buvait également et ne s'occupait ni du ménage, ni des repas.  Les enfants accusaient tous des difficultés d'expression.  Ils souffraient de carence alimentaire aussi bien qu'affective.

 

De nombreuses interventions des services sociaux seront sans grands résultats.  A partir des quatorze ans de Michel L., une tutelle sur les prestations sociales sera mise en place à laquelle la famille s'opposera.  Les parents ne collaborent pas au suivi des enfants. Les différents projets de placement en apprentissage pour Michel L. n'aboutiront pas. 

 

Le beau-père de Michel L. deviendra de plus en plus agressif et son éthylisme s'accroîtra. Il voulait alors absolument placer Michel L. qui traînait dans les rues et refusait d'aller à l'école. Celui-ci commença à boire et se battit avec son beau-père.  A partir de ces incidents Michel L. sera suivi par un délégué de la liberté surveillée du Tribunal Pour Enfants pour un délit de coups et blessures.

 

La mère de Michel L. décédera alors que celui-ci entrait dans sa seizième année.  Il en sera fortement affecté.

 

Quelques mois plus tard, Monsieur L., père, sera convoqué au tribunal pour témoigner. Michel L. aurait voulu violer sa propre sœur devant Monsieur L., père.  Son beau-père désirait le mettre à la porte.  Le résultat de l'enquête de la Brigade des Mineurs, d'après les assistantes sociales, conduira à la décision en justice d'un placement définitif des trois plus jeunes enfants et à l'incarcération du beau-père pour comportement incestueux.

 

Il semblerait que Michel L. lui-même aurait fait une courte peine de prison pour « atteinte aux mœurs » pendant cette période mais ce renseignement ne figure pas dans la lettre des assistantes sociales. Cette information vient de Michel L. lui-même et nous avons des difficultés à la dater.  Nous pensons qu'elle a eu lieu à peu près à la même période, quand il avait seize ans (ce qu'il a affirmé un moment donné) et probablement cette détention a eu lieu en attendant le résultat de l'enquête de la Brigade des Mineurs.  Nous la retiendrons surtout comme faisant partie d'une constellation des temps symboliques précédant le déclenchement de la psychose. A ce titre, il dira à plusieurs reprises : « J'ai mûri en prison. »  Il nous affirme y avoir célébré son dix-huitième anniversaire mais nous ne savons pas s'il s'agit de la détention en question ou de la suivante. En tout cas à en juger par le comportement de Michel L. à sa sortie de prison, nous pensons qu'il croyait être devenu un « homme » et qu’il semblait s’identifier par certains aspects plus étroitement au père.

 

 Nous devons également mentionner que ses affirmations concernant l'incarcération de son beau-père tendent à minimiser la peine de prison de ce dernier afin de disculper celui-ci du crime d'inceste.  Monsieur Michel L. nous a dit que sous sa pression, un ami se serait rendu au tribunal pour avouer que c'était en fait lui le père de l'enfant qu'aurait porté la sœur de Monsieur L. à cette époque. 

 

Nous ne savons pas si la citation de cet ami n’était pas un effet du retour dans le réel du nom propre dans le délire de Monsieur L., ni si sa sœur a un enfant né de l'inceste.  Monsieur L. rejette sa propre responsabilité ainsi que celle de son beau-père dans l'inceste et donc la paternité.

 

Une fois Monsieur L., père, emprisonné, Monsieur L. vivra de manière intermittente au foyer parental dans des conditions « épouvantables ».  Accumulant les retards de loyer, le beau-père donnera congé depuis la prison et Monsieur L. sera expulsé de cet appartement. Il vivra alors de petits larcins, se réfugiant dans des caves de la cité HLM jusqu'au moment où il sera arrêté avec d'autres garçons de sa bande pour le cambriolage d'un magasin. Il passera à peu près un an en prison.

 

A sa sortie, Monsieur L. sera hébergé brièvement dans un foyer.  Pendant un mois, il travaillera avant de quitter de lui-même son emploi.  Au moment de son internement, Monsieur L., toujours sur la voie de la précarisation, se réfugiait tantôt chez des amis, tantôt dans des caves. 

 

Monsieur L. ne verra jamais plus son beau-père.  Celui-ci sera renversé par un camion peu après sa sortie de prison et décédera de ses blessures, pendant l'hospitalisation de Monsieur Michel L..

 

 

 

Description de la Maladie Actuelle

 

Monsieur L. fut admis dans nos services sous placement d'office il y a environ treize ans au moment de notre rencontre pour une bouffée délirante de type mystique aux allures mégalomaniaques avec des propos paranoïdes.  En effet, sous l'influence d'hallucinations auditives et visuelles, dans un état éthylique, il faisait peur aux enfants de la cité HLM où il avait trouvé refuge.

 

Dégrisé, il raconte: « Je faisais peur aux enfants.  Oui.  C'était la soumission de ma doctrine, j'avais une raison de mon esprit.  On m'a mis une doctrine sur la tête pour que je demeure un bonhomme, un arbre de Noël, quoi, j'ai deux personnalités. Je suis un cheval, je suis doctrine cheval, et puis je suis un homme. »

 

Tels ont été les propos tenus par Monsieur L. à son arrivée à l'hôpital.  Son hospitalisation a été maintenue en raison d'une schizophrénie paranoïde .  Au cours des années, l'établissement d'un lien de confiance minime avec l'équipe soignante a permis  un changement de la prise en charge en service libre.  Le syndrome hallucinatoire a cédé en grande partie ces dernières années mais en donnant de plus en plus de place à la conviction inébranlable d'avoir des trous dans le visage.

 

« Je suis un déchet humain, » dit Monsieur L..  « Je ne suis pas comme les autres, si je n'avais pas été marqué par la vérole, j'aurais pu travailler. »  En effet, cet état l'empêche de circuler  normalement, de construire un projet quelconque hors les murs de l'hôpital.  C'est à la limite du supportable de déambuler dans le pavillon de l'hôpital. Croiser le regard d'un autre dans la rue prend une tonalité malveillante et insupportable, et peut être susceptible d'une riposte agressive de sa part.

 

Toute tentative de sa part de réaliser « l'exploit » d'affronter de nouvelles têtes, de sortir à l’extérieur de l'hôpital, se solde dans les jours qui suivent d'un redoublement du ravage qu'il subit, et il est alors sur le point de décider de « se faire la peau » et demande souvent à se faire opérer par un chirurgien esthétique.  Par ailleurs, il passe de longs moments chaque matin à se regarder dans le miroir, sidéré, face à sa propre réflexion.

 

Curieusement, pendant très longtemps, le seul moment où il se sentait soulagé quant à son apparence est celui où il allait à la selle. Le lecteur se souviendra à cet endroit que l’Homme aux loups a connu un phénomène similaire vis-à-vis de son célèbre voile.[85]  Pour Monsieur L. qui souffre également de constipation, les traitements variés pour ce mal lui viennent en secours. Il a été soigné pour un incident digestif important avec aspect pseudo-occlusif auquel on a finalement porté le diagnostic de colites, lors d'un séjour en hôpital général et après divers examens complémentaires.  

 

« Dites-moi la vérité, dites-moi que je suis affreux. »  « Est-ce que vous pensez qu'une femme pourrait m'aimer ? » Sa conviction d’avoir la peau trouée, d’être déformé, est alimentée en partie par des interprétations délirantes du regard d'autrui.  Parfois les réponses elles-mêmes subissent des transformations.  Nous y reviendrons mais nous citerons dès maintenant un exemple : pour « décidément », Monsieur L. entend « dément » -- commentaire injurieux faisant aussi partie de l'ensemble hallucinatoire: « sadique », «  vache », « démon » ou « dément ».

 

Ces propos sont attribués aux infirmiers(e)s, et plus généralement à quiconque se trouve derrière lui ou dans son champ visuel.  Il pense qu'on parle de lui ou qu'on se moque de lui « à cause de (son) mon visage », de sa « sale tronche ».

 

En outre, on compte de nombreux passages à l'acte violents chez ce patient.  Nous étudierons leur mécanisme et leur signification  ultérieurement.  Ainsi il se défend continuellement contre des allusions ou des hallucinations à tonalité homosexuelle, ou contre des « allusions » concernant son visage.   

 

Parmi d'autres plaintes de ce patient on trouve l'insomnie.  Il ne se passe pas une journée où il ne se plaigne de n'avoir pas dormi de la nuit.  Il dit « toute la nuit ça gamberge là-dedans », en indiquant sa tête.  Malgré de fortes doses de somnifère, Monsieur  L. trouve difficilement le repos.  Néanmoins, depuis peu, il semble y avoir une petite amélioration; de temps en temps, il félicite son médecin d'avoir enfin réussi à le faire dormir. Et il rêve.

 

La plainte de Monsieur L. concernant son apparence n'est pas, bien entendu, fondée sur une difformité disgracieuse ni sur une mutilation quelconque.  Néanmoins, avant d'entrer en détail dans l'étude de cette dysmorphophobie, nous mentionnerons aussi que ce patient présente souvent des érythèmes sur la figure et sur le corps, un œdème des paupières et occasionnellement des poussées d'acné.  Ces phénomènes, qui le préoccupent énormément, ont fait l'objet de bilans rénaux et sanguins mais qui n'ont jamais donné de résultats positifs.  En fait, il semblerait qu'ils soient d'origine psychosomatique.  Il a eu beaucoup de mal à accepter des soins locaux au début, « je ne veux pas passer pour une gonzesse ».  

 

Il est parfois également préoccupé par la morphologie de son sexe. Il a eu un phimosis.  Il dit « je suis puceau. » « J'ai le sexe tordu, je ne peux pas pénétrer une femme. »

 

Ses soucis ne se limitent pas à lui-même.  Comme en miroir, il trouve que son frère a « un grand nez tordu », « que son visage est déformé et qu'il est sûrement débile ».

 

 

 

L'entrée dans la psychose

 

Les différents temps symboliques

 

Comme pour d'autres patients, névrosés ou psychotiques, il est difficile pour Monsieur L. de faire une chronologie exacte de sa biographie. Celle-ci recouvre la biographie citée dans la lettre des assistantes sociales et la dépasse par sa vérité plus que par sa réalité.  Ce récit a, en effet, sa propre cohérence si nous tentons de le comprendre par le biais des événements  symboliques, en nous contentant de ne les dater que vaguement. Ces événements sont importants d'une part, parce qu'ils apparaissent spontanément dans le récit du sujet quand il essaie de comprendre sa maladie et d'autre part, parce que c'est au travers d'eux qu'apparaissent des signifiants lourds de conséquence pour le sujet. 

 

Différentes des souvenirs-écrans [86] formulés par les impressions précoces dont le névrosé se sert pour la formation symbolique en vue d'accomplir rétrospectivement un désir actuel, les impressions conservées ici semblent souvent retenues pour leur valeur énigmatique de signifiant pur ou de pure image acoustique.

 

Par exemple, Monsieur L. sera fortement affecté par un déménagement de sa famille qui a lieu pendant son séjour en colonie de vacances « à la Tremblade ».  Ils quittent alors leur logement trop petit et insalubre, rue « Sabot » pour intégrer un appartement bien plus confortable, rue « Hoche ».  Il avait environ neuf ans à l'époque et actuellement il se reproche de ne pas avoir félicité son beau-père de les avoir mieux logés, d'avoir acheté une télévision, etc. Il en parle confusément comme s'il s'interrogeait, en quête de quelque chose qui scellerait la raison de sa maladie.

 

 La locution «à la Tremblade » semble s'attacher aux voix délirantes qui lui disent:  « Tu es né de la peur » ou parfois simplement : « Né la peur ».  Quant à l'importance du nom des rues, nous nous demandons si ce patient n'entend pas qu'il a quitté rue « Sa Beau » pour habiter rue « Moche ».  S'il est vrai que nous interprétons les dires du sujet, il nous semble que cette interprétation ne s'éloigne pas du contexte délirant du malade et souligne la façon dont il se sert du langage.  En outre, nous nous demandons si ce souvenir en lui-même est traumatique ou s'il est devenu traumatique après-coup. En tout cas le contenu délirant semble comme surajouté à la valeur signifiant, comme si après-coup il trouvait lui-même  un sens  à son discours.

 

Monsieur  L. se rappelle ces événements en bloc, les alignant comme s'ils étaient unis, les confondant presque.  Il est clair que pour lui, ils se rapportent à son trouble actuel.   

 

L'histoire incestueuse de cette famille est certainement très importante dans la formation du délire. En effet, Monsieur L. perçoit des voix vociférant des injures, des accusations : « sadique », « démon », etc., l'accusant d'avoir couché avec sa sœur, et des voix qui pourraient être interprétées comme étant moqueuses, défiantes, qui le traitent de poltron : « Tu es né de la peur », « Tu es un chial », etc.  Nous y reviendrons.  Néanmoins nous notons désormais que cette histoire incestueuse, concernant son père, est liée aussi, selon lui-même, à quelque chose de son image en miroir.  

 

 Monsieur L. dit que c'est en prison, qu'il a « mûri », qu'à sa sortie il aurait dû se faire soigner.  Il semble ainsi faire allusion à une sorte de perplexité ressentie à sa remise en liberté, voire, encore en prison, concernant le signifiant.[87] Cette période de malaise a souvent été citée comme une période d’incubation.

 

 Il est sorti de prison avec l'idée de « faire la peau aux Arabes », une façon pour lui de se conduire en homme, mais avant de mettre cette idée à exécution, il est allé solliciter les faveurs d'une prostituée.  Il est monté avec elle, a eu des rapports, semble-t-il, et quand il se préparait à partir, elle l'aurait rappelé,  montré son argent et dit : « Pour toi, c'est gratuit. »

 

Le déclenchement du délire

 

Cette expression venant de la part d'une prostituée a laissé le jeune homme sidéré.  Ne sachant comment répondre à l'énigme qu'était pour lui cette phrase, il fut pris d'angoisse et il partit en toute hâte. Il nous dit : « J'ai pensé qu'elle voulait que je sois son proxénète. » Il semblerait que cette scène répétait déjà quelque chose pour lui qui était lié à la fois à l’imago paternelle[88] ou son histoire  familiale, et à son corps.

 

Dehors, il entendit une voix qui lui disait : « Tu es né de la peur » et il nous dit qu'il avait eu envie de « chialer ».  Il entendait : « Tu es une vache à lait ».

 

Selon Lacan « le délire commence à partir du moment où l'initiative vient d'un Autre, avec un A majuscule, où l'initiative est fondée sur une activité subjective.  L'Autre veut cela et il veut surtout qu'on le sache, il veut le signifier. »[89] Avec l'éclosion du délire nous entrons dans « le domaine d'une intersubjectivité », impliquant « l'immixtion des sujets ». Il y a usage de « l'entre-je, c'est-à-dire du sujet interposé. »[90] C'est-à-dire, le délire proprement dit n'est pas cette période de perplexité précédant mais commence à partir du moment où le sujet entend des voix. 

 

Tout semble se passer comme s'il y avait chez Monsieur L. une perplexité croissante concernant le signifiant.  L'énigme comme une épée de Damoclès qui planait jusque-là, tombe avec cette demande supposée de la prostituée. Le processus en jeu est similaire à celui qui  précipite Schreber dans le délire :  Alors qu'il s'interrogeait sur la paternité, il eut ce fameux réveil où il se dit que ce serait beau d'être une femme subissant l'accouplement et c'est à partir de là qu'il eut des troubles du sommeil pour lesquels il consultât le Dr Fleschig qui lui promettait un traitement efficace, le délire éclata quand Fleschig lui souhaita « un sommeil bien fécond  [91] »

 

Lacan supposait que le sujet « réagissait à l'absence du signifiant par l'affirmation d'autant plus appuyée d'un autre qui, comme tel, est essentiellement énigmatique.  L'Autre, avec un grand A, (...) était exclu, en tant que porteur de signifiant.  Il en est d'autant plus puissamment affirmé, entre lui et le sujet, au niveau du petit autre, de l'imaginaire » (...) « au niveau de l'entre-je (...), du double du sujet, qui est à la fois son moi et pas son moi. » [92]

 

En effet chez notre sujet il s'agit d'un signifiant manquant au sens lacanien, lieu même de l'articulation du réel et du symbolique, qui conduit à l'exclusion de l'Autre.  Les voix et tous les phénomènes de la symptomatologie nous fournissent une indication de cette question du signifiant. En effet, nous pourrions croire que les signifiants concernant l’imago paternelle sont tous réunis, mais ils ne fonctionnent pas de la même façon que dans la névrose. Nous verrons à quel niveau se manifeste le petit autre, le double du sujet plus loin.

 

 

 

La frappe de la scène originaire

 

Monsieur L. semble avoir très bien repéré lui-même son virage subjectif et témoigne que pour lui, désormais, rien n'est plus comme avant.  Ainsi, nous voyons dans les temps symboliques, les manifestations d'un traumatisme de ce que Lacan appelle « l'effraction imaginaire » de « la Prägung de l’événement traumatique originatif. »[93]  Ce noyau autour duquel s'amasse le matériel symbolique se reconnaît par la répétition de ses rejetons, après-coup.

 

 « Le trauma, en tant qu'il a une action refoulante, intervient après-coup, nachträglich.  A ce moment-là, quelque chose se détache du sujet dans le monde symbolique même qu'il est en train d'intégrer.  Désormais, cela ne sera plus quelque chose du sujet.  Le sujet ne parlera plus, ne l'intégrera plus.  Néanmoins, ça restera là, quelque part, parlé, si l'on peut dire, par quelque chose dont le sujet n'a pas la maîtrise.  Ce sera le premier noyau de ce qu'on appellera par la suite ses symptômes. »[94]  

 

Cette Prägung de l'événement que Freud nous explique se situe d'abord dans un inconscient non-refoulé, elle « n'a pas été intégrée au système verbalisé du sujet, » ajoute Lacan, «  elle n'est même pas montée à la verbalisation, et même pas, à la signification »[95] et comme telle serait la source d'un éventuel refoulement. 

 

 Pour Lacan, c'est la forclusion de ce signifiant qui déterminera la psychose.  C’est d’ailleurs dans des termes similaires que Freud envisage l’échec de la projection du type paranoïaque.[96] Nous trouvons l'expression de cette chute symbolique dans la phrase du sujet : « Est-ce que j'étais déjà dans le ventre de ma mère quand mon père est mort ? » Nous remarquons qu'au même moment, il a rejeté tout ce qui est du domaine de la réalisation génitale.

 

En effet, chaque moment symbolique semble se poser comme une interrogation sur la virilité du sujet et essentiellement, comme une interrogation sur son intégrité narcissique.  Il semblerait bien que par le biais de cette Prägung opère un glissement, chez ce sujet, de ce qui est d'ordre libidinal à ce qui est d'ordre narcissique.

 

Nous retrouvons là une manifestation de ce que Freud a épinglé sous l'enseigne de la castration.  Notons comment il formule l'angoisse de castration chez L’Homme aux loups.  Selon Freud, la force pulsante du refoulement qui donne lieu à la phobie du loup « ne pouvait être que la libido génitale narcissique qui par inquiétude pour son membre masculin, se rebellait contre une satisfaction dont la condition semblerait être le renoncement à ce membre.  Dans ce narcissisme menacé il puisait la masculinité avec laquelle il se défendait contre sa position passive envers le père. »[97]

 

La libido et le narcissisme se trouvent ainsi sur le même plan; l'idée est que tout l'être est génital et que cette inquiétude pour le membre masculin recouvre une inquiétude sur le plan narcissique.  La castration sera envisagée ici comme quelque chose qui fait limite à la satisfaction pulsionnelle. Ces précisions nous semblent importantes pour comprendre le sens que prend « la castration » dans la psychose. Dans le cas de l’Homme aux loups, et chez Monsieur L., sur un autre niveau, la  signification de la castration sera « rejetée », verworfen, terme que Lacan a traduit par le mot « forclusion ». Il reste à déterminer comment ce rejet se retrouvera dans l’image chez l’un et chez l’autre.

 

Freud dit au sujet de l’Homme aux loups que le sens premier de ce rejet « est qu'il n'en voulut rien savoir au sens du refoulement.  Aucun jugement n'était à proprement parler, porté par là sur son existence, mais ce fut tout comme si elle n'existait pas. »[98]  Ce premier noyau du refoulé, « au-delà du refoulement » qui est « constitué primitivement » sera le centre d'attraction « qui appelle à lui tous les refoulements ultérieurs ». « Il en est le fond et le support »[99] du refoulement.

 

« Dans la structure de ce qui arrive à l’Homme aux loups, le Verwerfung de la réalisation de l'expérience génitale est un moment tout à fait particulier, que Freud lui-même différencie de tous les autres. »[100]  C’est la signification de la castration qui sera exclue de l'histoire de l’Homme aux loups, ce qu'il sera incapable de dire sans le forçage de Freud.  Elle restera le ressort de l’expérience répétée du rêve infantile et de l'épisode psychotique ultérieur

 

C'est cette incapacité à dire que Lacan fait valoir ici. Incapacité à dire et absence, devons-nous ajouter, d'une parole venant de l'Autre qui met en mots l'expérience vécue par le sujet si en raison de son immaturité il n'y arrive pas par lui-même.

 

 Si nous observons dans le délire une tentative de réintégration du passé par la mise en fonction dans le jeu des symboles la Prägung, l'ampleur du traumatisme chez notre patient semble empêcher l'accomplissement d'un tel projet après-coup.  En effet, il semblerait que de nombreuses tentatives d'intégration symbolique seront particulièrement troublantes et se solderont par des effractions imaginaires.  Les contenus de ces représentations prendront leur valeur traumatique en tant qu'il y a une action refoulante, après-coup.

 

 L’impasse du signifiant qui concerne le rejet de la castration, et du  Nom-du-Père chez notre malade, ne va pas malgré tout, sans  une certaine forme de limite pulsionnelle. C’est dans cette limitation pulsionnelle que le corps va se  trouver marqué.  Nous trouvons dans la notion du Prägung,  l’expression de quelque chose qui marque l’objet a, ou son semblant, autant que le sujet, au moins chez le schizophrène. 

   

Tout comme les phénomènes de répétition du rêve infantile chez l’Homme aux loups, et comme son épisode psychotique, l'inscription sur le corps semble être liée à cette frappe d'une monnaie originale.   Nous verrons plus loin quelques indications de sa structure.

 

Comment un manque symbolique aboutit-il à une impression de transformation corporelle, à une dégradation du langage, aux hallucinations auditives et lalangue?  Si les Noms-du-Père sont exclus pour le schizophrène, il reste tout de même quelque chose de cette « frappe ». Pouvons-nous penser qu’un autre signifiant se met à la place du signifiant du Nom-du-Père, un signifiant qui n’a rien à voir avec l’Autre avec un grand A mais qui sera lié avec l’autre, le petit a. Nous pouvons imaginer ainsi que c’est ce signifiant qui se retrouve dans les rêves de répétition également. Nous notons ici la proximité de ce terme, Prägung, avec un autre terme qu’utilise Freud dans son travail sur le rêve : regung.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vers une logique du discours du schizophrène et l’image de son corps – premiers principes

 

L'inscription sur le corps

 

L'hallucination de base, la dysmorphophobie, la conviction d'avoir un visage atroce, troué, marque la position précaire de ce sujet.  Chaque jour, à multiples reprises il relance sa demande, s'adressant à ses semblables, aux malades, au personnel soignant : « Dites-moi la vérité, est-ce que mon visage est plein de trous ? Est-ce que je suis affreux ? »  

 

Que veut dire cette plainte qui est fondée justement sur ce que les autres ne voient pas, mais qui laisse le sujet sidéré ? Quel est le rapport entre cette hallucination et les autres phénomènes délirants ?

 

Pour répondre à ces questions nous allons étudier le rapport entre le langage du sujet et le corps, son rapport à son image spéculaire et le rapport au miroir de l'Autre, phénomènes liés sans doute entre eux.

 

Comme Freud l'a constaté, l'hallucination doit être « plus que le fait de ramener régressivement des images mnésiques qui sont, en soi, Ics, »[101] et doit être le fait d'une décomposition du moi jusqu'à une chute ou la mise hors de l'activité de  « l'épreuve de réalité ».[102]  C'est ainsi que Freud définit la perte de la réalité dans la psychose, où « le nouveau monde extérieur fantasmatique (...) veut se mettre à la place de la réalité extérieure. »[103]    

 

 

L'évolution du délire: les métamorphoses

 

Quand nous écoutons Monsieur L. parler de sa maladie, nous nous apercevons qu'il a ressenti un changement qui l'a laissé très perplexe. Il dit: « j'ai mûri en prison, » exprimant par-là sa perception de ce processus de transformation.  En effet, c'est derrière ces « murs » qu'il va subir une métamorphose, où la chrysalide prépsychotique se mue et commence à s’inscrire sur le corps.

 

Bien que nous nous exprimions ici comme s'il y avait eu une progression d'un processus œuvrant du début jusqu'à une fin, c'est plus par souci d'exprimer le vécu du sujet que pour en démontrer tout de suite le mécanisme.  Comme nous l'avons dit, nous pensons que le sujet a ressenti une période de perplexité avant l'éclosion du délire proprement dit.  Cependant, c'est surtout après-coup qu'il élabore le vécu de ce processus, où confronté avec ce qui lui est arrivé, il essaie d'en déchiffrer l'énigme.

 

Il dit qu'en prison il s'est mis « dans une formidable colère, et ça s'est inscrit » sur son visage, et c'est « alors qu'il a eu la métamorphose. »  En fait, selon lui il aurait eu « trois métamorphoses », la dernière étant responsable de son état actuel.

 

Pendant la période féconde du délire et dans sa reconstruction après-coup, il aurait entendu une voix qui lui disait : « Tu es une vache à lait. »  Il pensait que cela voulait dire qu'il était « un être irréel », un être spécial, que tout le monde allait le regarder en disant, « il est né d'une vache à lait, il est un être irréel. » Pourtant il savait bien être né « du vagin » de sa mère.

 

 Ne semblant pas adhérer au sens commun de cette expression, c'est-à-dire comme figure de la fortune ou même dans un sens plus péjoratif, comme un naïf que l'on peut traire, notre sujet s'imaginait transformé, que son visage avait pris l'aspect « d'une vache à lait » ou parfois, d'un « cheval » et qu'il était désormais « un dieu ».  Comme « être exceptionnel » il pensait qu'il « contrôlerait tout le monde ».  Il avait un « mage » qui lui aurait donné une « doctrine ».

 

Il dit qu'il a beaucoup réfléchi et que finalement il a décidé qu'il « n'était rien du tout.  Par ailleurs il tient pour responsable de sa dernière métamorphose la « salope », en l’occurrence la prostituée, qui lui aurait donné la « petite vérole ».  En effet selon lui, son visage serait marqué par cette expérience sexuelle.  A vouloir « faire l'homme » à faire comme son père, notre sujet se trouve transformé en « déchet ».

 

Il disait : « Vous voulez que je sois la frite, je vous l'ai entendu dire, Maryse aussi veut que je sois la frite, bagarreur quoi, c'est pour ça que je ne sais plus où j'en suis[104]; je ne sais pas si je veux devenir social avec la famille, la pêche ou marginal, en redevenant la frite. »

 

« J'ai lâché ma frite dans les bordels parce que je ne me connaissais pas.  Je me suis trouvé moins beau parce que je me retrouvais des trous sur la gueule, comme maintenant ». [105]

 

Le mécanisme duquel procèdent ces métamorphoses[106] semble aller au-delà d'une hallucination, ou devons-nous dire que le processus hallucinatoire est bien plus complexe qu'une simple illusion qui se trouve objectivée dans l'espace, tout à fait différent d'une pure perception sans objet, comme décrit Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception.

 

Freud, et Lacan après lui, ont remarqué comment ce processus est intimement lié à la relation à l'Autre, et à la parole de l'Autre, ainsi qu'au langage.[107] La présence de l’Autre dans cette expérience est indiquée par l’hallucination.  Celle-ci n’est pas seulement la présentification d’un besoin.

 

Freud raconte ainsi l'épisode hallucinatoire de l’Homme aux loups, dans les mots du patient, lorsque celui-ci se voit pendant quelques instants s'être coupé le petit doigt. « De douleur je n'en ressentais aucune, mais une grande angoisse.  Je n'osai rien dire à la bonne d'enfants, qui était à quelques pas de là, m’effondrai sur le banc le plus proche et y restai assis, incapable de jeter encore un regard sur le doigt.  Enfin je recouvrais le calme, regardai le doigt en face, et voilà qu'il était tout à fait indemne. »[108]     

 

Nous avons par ailleurs signalé, après Lacan, que l’Homme aux loups s'est trouvé dans l’impossibilité d'en parler sur le moment.  C'est ainsi que ce contenu « si massivement symbolique y doit son apparition dans le réel. »[109]

 

Mais comment la parole se manifeste-t-elle dans le délire de notre sujet ?  Qu'est-ce que les mots ont à faire avec le corps?  Quel rôle jouent les phénomènes langagiers dans le développement d'une dysmorphophobie ? Comment utiliser ce phénomène pour distinguer la névrose narcissique de la psychose ?

 

 Déjà Freud nous signale des pistes dans le cas de l’Homme aux loups : Une des histoires qu’avait entendue l’Homme aux loups concernait une petite fille née avec un doigt surnuméraire que l’on a coupé avec une hache. Il parle aussi de :    « L’impression produite par ces contes sur le petit rêveur se manifesta par une phobie classique d’animaux, phobie ne se distinguant d’autres cas analogues que par ce trait : l’animal d’angoisse n’était pas un objet aisément accessible à la perception (tel un cheval ou un chien) mais n’était connu que par le récit et l’image. »[110] C’est-à-dire, le signifiant « doigt coupé »  semblait trouver son aboutissement dans une hallucination visuelle et le signifiant « loup » suffisait pour déclencher une angoisse de type phobique chez l’Homme aux loups. 

 

 Cependant la névrose narcissique[111] de l’Homme aux loups se distingue de la schizophrénie par son utilisation de certains signifiants au-delà de son propre corps avec des significations  prises déjà ailleurs, comme dans l’exemple que donne Freud concernant l’équivalence fèces-argent.  Nous avons par ailleurs noté d’après Freud et Lacan que la forclusion de la castration comme Prägung reste cependant le ressort de l’expérience psychotique et le rêve de répétition de l’Homme aux loups.

 

Il semble donc que le fonctionnement des signifiants du Prägung ne soit pas le même dans la névrose narcissique que dans la psychose. Chez le schizophrène ces signifiants semblent d’emblée associés avec son image et ils prennent leur appui sur un objet qui est « hors jeu » quant aux associations métaphoriques possibles. Dans la névrose narcissique si cet objet n’est pas tout à fait interprétable, s’il entre en série avec les signifiants, il reste toujours quelque chose de chiffrable, interprétable,  malgré son intimité avec le moi.

 

Ainsi Julien Friedler remarque, d’après Freud et Lacan concernant l’Homme aux loups : « On l’aura compris : du « 6 » au « 5 ». Tout l’indique : l’heure de la fièvre ; le V ; sa réduplication en « W » ; les « rayures » ; le papillon ; la guêpe[112] ; Groucha ; l’ouverture-fermeture des jambes. Concernant ce Chiffre, il y a tant et tant de redondances que le doute n’est plus permis : si Serguéi Pankjeff décrit six loups, et n’en trace que cinq, c’est parce qu’au passage, il se compte. »[113]

 

 L’Homme aux loups se compte mais le chiffrage concerne autre chose que sa propre mise en série avec les signifiants. Freud le disait clairement : « A partir de sa dixième année, il fut périodiquement sujet à des accès de dépression* qui commençaient l’après-midi et atteignaient leur apogée vers 5 heures. Ce symptôme persistait encore au temps du traitement analytique. Les accès de dépression récurrente avaient pris la place des accès de fièvre ou de langueur de jadis ; 5 heures était l’heure de la fièvre la plus forte ou bien celle de l’observation du coït, si tant est que les deux n’eussent point coïncidé.[114] Il se trouvait probablement, à cause même de cette maladie, dans la chambre de ses parents. Cette maladie, dont l’existence est aussi corroborée par une tradition directe, rend plausible de situer l’événement pendant l’été et par là d’attribuer à l’enfant né à Noël l’âge de n + 1 an ½. Ainsi, il venait de dormir dans son petit lit dans la chambre de ses parents et s’éveilla, peut-être à cause de la montée de la fièvre, l’après-midi, peut-être à 5 heures, moment marqué plus tard par un état de dépression. Que les parents se soient retirés à demi dévêtus pour une sieste diurne, voilà qui cadrerait avec l’hypothèse d’une chaude journée d’été. En s’éveillant, il fut témoin d’un  coitus à tergo, trois fois répété, il put voir l’organe de sa mère comme le membre de son père, et comprit le processus ainsi que son sens.[115] Enfin il troubla les rapports de ses parents d’une manière dont il sera question plus tard. » Nous rappelons qu’il s’agit de la production d’une selle. Remarquons que cette mise en série accomplit un comptage qui laisse un vide à la place du sujet. Les signifiants de la série sont repris de la scène primitive, là où les imagos parentales se mêlent.  Retournons vers Monsieur L. pour amorcer une comparaison de ces processus.

 

Langue morcelée et recherche du sens

 

« Va chier ! Allez ! »

« Tu es né d'une vache à lait. »

« Tu es une vache à lait. »

« Tu es un cheval. » 

« J'ai eu envie de chialer. »

« Tu es un chiale. »

« Chie »

« Je(u) de cheval »

 

Ce qui nous a paru singulier chez ce malade est sa façon de se servir du langage et comment ce processus semble intimement lié à sa métamorphose, son impression de transformation corporelle. 

 

Dans un retour aux processus premiers, le désinvestissement d'objet dans la schizophrénie inclut l'apparition d'un surinvestissement[116] du moi propre.  Selon Freud, l'altération du langage suit une désorganisation particulière devenant souvent une forme de langage d'organe différent de la conversion hystérique en ce que les mots subissent certaines des mêmes transformations que dans le rêve.

 

Mais il importe de suivre le développement de Freud pour bien comprendre le sens plein de cette expression.  Freud reprend  les dires d'une malade de Tausk pour expliquer cette formulation : « Les yeux ne sont pas comme il faut, ils sont tournés de travers ». Selon Freud, « elle explique elle-même ses propos, dans un langage cohérent, en lançant une série de reproches contre le bien-aimé : « Elle ne peut pas du tout le comprendre, il semble à chaque fois différent, c'est un hypocrite, un tourneur d'yeux, il lui a tourné les yeux, maintenant elle a les yeux tournés, ce ne sont plus ses yeux, elle voit maintenant le monde avec d'autres yeux. »

 

« Les déclarations de la malade sur son incompréhensible discours ont la valeur d'une analyse; car elles contiennent l'équivalent de ce discours sous une forme d'expression communément compréhensible; elles nous introduisent en même temps sur la signification et la genèse de la formation de mots chez le schizophrène.  En accord avec Tausk, je fais ressortir de cet exemple le fait que la relation à l'organe (l’œil) s’est arrogé la fonction de représenter le contenu tout entier.  Le discours schizophrénique présente ici un trait hypochondriaque, il est devenu langage d'organe. »[117]

 

Avant de continuer, remarquons trois choses.  Premièrement, Freud indique la relation du corps dans la formation des néologismes,  deuxièmement, la représentation de mot devient une représentation de chose par un processus métonymique où la partie représente le tout, et troisièmement, l’expression tourneur d’yeux est prélevée de l’imago  de l’aimé dont elle semble faire corps.

 

Freud souligne la prévalence, dans toute la chaîne de pensées, des éléments qui ont pour origine le corps (ou plutôt la sensation de celui-ci). Pourtant, ces éléments n’existent plus dans la pensée sous leur forme originaire.

 

Lacan dira, à la suite de Freud, que le matériel du discours se rapporte au « corps propre », la relation à celui-ci « caractérise chez l'homme le champ en fin de compte réduit, mais vraiment irréductible de l'imaginaire. »[118]

 

Notre sujet fera le même emploi du langage que le patient de Tausk.  Il dit : « J'ai le visage dévisagé »,  expression similaire à l'exemple que prend Freud, « tourneur d'yeux ». Est-ce qu’on peut trouver à travers son expression une relation avec ses imagos ?

 

Bien que dans la schizophrénie les mots soient soumis à l'élaboration par des processus psychiques primaires, Freud dit que ce processus diffère du rêve où les représentations de choses y sont soumises.  

 

Nous nous interrogeons sur cette subtilité qui nous amène au cœur du problème :  d'où vient cette idée au malade qu'il ressemble à une vache à lait, le visage dévisagé, troué ?  Comment un tel langage d'organe peut-il se former ? Se défend-il contre ces idées ? Si oui, quel processus met-il alors en place ? Si l’Homme aux loups se compte en rêve en mettant un vide à sa place dans la scène primitive, comment participent les imagos chez les schizophrènes dans la formation de leur propre image ?  Existe-t-il une façon complémentaire d’aborder la question concernant la différence entre le délire et le rêve ?

 

L’image homophone

 

Nous avons observé ce type de langage d’organe également chez un enfant de structure psychotique. Cette association de la langue avec le corps peut sembler fortuite si ce n’est la régularité avec laquelle elle revient. Cette fillette de neuf ans est venue me voir suite à la découverte d’automutilations qui jusque là ont été traitées comme des mycoses buccales et vaginales. L’équipe médicale a fini par comprendre ; elle se grattait à l’intérieur des lèvres au point de causer des saignements.

 

 Elle dit un jour en séance, quelques instants avant de les dessiner : « Il y a des fourmis en moi ». Apparemment, la sensation d’engourdissement ou des « fourmis » du corps de cet enfant se termine comme des points qu’elle dessine sur la feuille. De l’expérience sensorielle des fourmis induite par l’engourdissement du corps, aux fourmis qui courent sur la page, il n’y a qu’un pas dans le vécu du sujet psychotique.  

 

Cependant ce qui paraît encore plus curieux est la façon dont cette expérience semble avoir été induite à ses débuts. Les fourmis se sont manifestées en relation avec le mot sourire. Elle semblait avoir pour origine le discours maternel, prononcé lors de cette séance où le sujet était présent :  « Je n’arrivais pas à lui faire faire un sourire». Ces phénomènes se sont produits également, et à plusieurs reprises, quand ce sujet a dessiné un personnage avec un sourire, et des « fourmis » sur la figure.  Nous n’étions pas surpris, plusieurs années et des centaines de dessins plus tard quand elle a nommé le personnage : « Ri »

 

En effet, c’était au moment où la mère de l’enfant a commencé à parler de son sourire, tout au début de la cure,  que nous avons entendu son rire. Or, le mot sourire contient déjà la racine rire. Le verbe sourire, conjugué à la troisième personne de l’indicatif présent (« elle sourit ») et le mot fourmis partagent des phonèmes ou ou mi. Nous savons également avec quelle fréquence l’expression fou rire est employée en relation avec les malades mentaux. L’enfant, malgré sa tentative par le dessin d’intercaler un objet entre elle-même et le regard de sa mère, reste fixé aux mots de celle-ci. La coexistence temporelle de ces mots et de leurs effets semble être provoquée par leur rapprochement homophone.[119]

 

Cette fixation de l’enfant sur les mots de sa mère se rapproche de l’observation de Maud Mannoni, de la dualité mère-enfant qui semble faire un seul corps chez l’enfant psychotique. Selon M. Mannoni en référence à Mireille  : « La place de Mireille est en fait dans la mère. C’est en faisant partie des organes maternels qu’elle colmate l’angoisse. Séparée de la mère, Mireille devient, en tant que sujet, un manque non symbolisable, non signifiable---sa mère n’ayant en effet jamais pu faire son deuil de la séparation à l’accouchement. »[120] L’absence d’écart entre le corps de la mère et l’enfant renvoie semble-t-il à la même co-existence temporelle des signifiants.

 

Nous remarquons par ailleurs que Margaret Malhler a défini un « objet d’amour symbiotique » comme « fusion des représentations de soi et de l’objet ».[121] Elle nous décrit le cas « Stanley » où un enfant psychotique s’animait dans deux sortes de circonstances. D’une part quand il établissait un contact physique avec le thérapeute. D’autre part, quand il se mettait à prononcer certains mots.  Nous y reviendrons.

 

Les voies insolites de la langue

 

Il est difficile de rester insensible aux effets d’une langue qui nous paraît désormais un peu étrangère aux fonctions représentatives habituelles.  Que l’on considère pour un moment l’apprentissage d’une langue étrangère. Les effets de la lecture d’une phrase et son audition ne sont pas les mêmes.  Considérons par exemple les phrases suivantes, entendues hors contexte où l’auditeur n’a pas bien compris ce qu’on lui a dit : What a mess it is ! ou What time it is. Il n’arrive pas à les distinguer.

 

En psychanalyse nous appelons cet usage de langue de l’équivoque mais nous ne sommes pas très loin du problème du sujet schizophrène où, dans une optique de recherche de sens, le sujet retient deux possibilités, très proches par leur rythme et par leur homophonie. Le sujet puise dans son réseau de signifiants anglais pour trouver deux phrases, associées seulement par leur sonorité. Il semble bien que dans le matériel sonore soient recherchées  deux possibilités homogènes avec ce que la psyché connaît déjà. Elles semblent être classées sous le même registre métonymique. Le sujet fait une petite déformation pour les faire coïncider encore plus parfaitement. Au lieu de What time is it ? , il se souvient de What time it is ? , qui est tout de même grammaticalement correct. 

 

Bleuler souligne l’importance des associations de ce type dans son étude des phénomènes élémentaires dans la schizophrénie. Selon lui :

 

« C’est comme si les corrélations et les inhibitions auxquelles l’expérience a ouvert la voie avaient perdu une partie de leur importance. Les associations empruntent beaucoup plus aisément de nouvelles voies, et donc ne suivent plus le chemin tracé par l’expérience, c’est-à-dire logique. Jung attire néanmoins l’attention sur le fait que, même chez des sujets sains, des voies insolites analogues sont empruntées en état de distraction ou au cours de la pensée inconsciente. Mais dans aucun de ces cas cela ne va cependant aussi loin que dans la schizophrénie (dans l’esprit normal, seul le rêve présente vraisemblablement une analogie suffisante.) »[122]

 

Il nous semble que nous devons ajouter l’apprentissage d’une langue étrangère, où figure désormais l’apprentissage de toute langue, parmi des situations où le sujet sain pense par des voies non-liées forcément à l’expérience causale.[123]

 

Ainsi quand un enfant psychotique nous tape en cours de séance, nous disant : « sa/ta/pren/ra », il dit peut-être : ça t’apprendra, mais, nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu’il dit aussi : ça tape, prend ras ou toute autre possibilité intermédiaire, jusqu’au nonsense le plus pur qu’on retrouve dans les phénomènes dits dissociatifs. Un autre jour ce même enfant nous dit : « Tu pue ! N’y va pas !  Dans ton coin ! ». Bien qu’il soit probable qu’il répète des phrases qu’il a entendues chez lui, il nous semble évident que ce sujet pourrait vouloir dire tout autre chose : Tu es punie ! Va dans ton coin !

 

Ce qui présente la plus grande difficulté pour le clinicien (mais aussi pour les mères) est le fait que ce choix entre plusieurs possibilités de sens ne semble pas être stable ni contrôlable par le sujet. Il subit les effets d’une langue chosifiée, représentative seulement de façon très archaïque, mais inventive par sa plasticité et sa possibilité de se nouer avec d’autres complexes.[124]

 

Ainsi, nous pouvons comprendre comment Wolfson arrivait à réinvestir la langue maternelle. Il trouvait par la systématisation des voies associatives homophones une autre manière de lier la signification à la matière sonore.  Il nous explique, en donnant d’amples exemples, la façon dont il s’accommode de l’impossibilité d’investir la langue maternelle sans l’avoir préalablement rejetée puis réinventée :

 

« Pourtant, comme ce n’était guère possible que de ne point écouter sa langue natale, il essayait de développer des moyens d’en convertir les mots presque instantanément (spécialement certains qu’il trouvait très ennuyants) en des mots étrangers chaque fois après que ceux-là pénétreraient à sa conscience[125] en dépit de ses efforts de ne pas les percevoir. Cela pour qu’il pût s’imaginer en quelque sorte qu’on ne lui parlât pas cette maudite langue, sa langue maternelle, l’anglais. En effet il nourrissait des réactions parfois aiguës qui le lui faisaient même douloureux que de l’écouter sans qu’il pût vite en convertir les vocables en des mots pour lui étranger ou en détruire en esprit d’une manière constructive, pour ainsi dire, les vocables qu’il venait d’écouter de cette sacrée langue, l’anglais. »[126]

 

Wolfson cherche à démembrer les objets sonores de la langue maternelle qu’il ne pouvait, selon Aulagnier, entendre et appréhender « que comme un corps étranger[127], précieux pour les acquisitions et la participation qu’il permettait entre lui et le maître, mais totalement privé de cette intrication qui doit exister entre l’ordre du monde et l’ordre du discours pour que ce dernier se donne au sujet comme logos et devienne le noyau qui fonde toute subjectivité. » Elle remarque plus loin que les objets réunis dans la langue maternelle que Wolfson tente de fuir ne sont autres que la voix et la langue maternelle, dans son sens anatomique. [128]

 

Aulagnier remarque, après Wolfson lui-même, comment la langue semble pénétrer la conscience du sujet : comme un corps étranger, en l’occurrence, le corps de la mère. Désormais, il nous semble possible de poser autrement la question de l’origine du langage d’organe. Notons à nouveau cette absence d’intervalle entre le corps de la mère et le corps du sujet. Continuons notre développement pour préciser ce point. C’est Wolfson lui-même qui nous indique la voie :

 

« Le mot mad (fou) faisait au schizophrène la plupart du mal causé par la phrase anglaise ci-dessus[129], et sans doute ce serait tout au moins déconcertant à quiconque que d’avoir un mot signifiant « fou » revenir souvent et involontairement à la pensée. Et le psychotique, lui, se poserait les questions : « pourquoi ai-je pensé cela ? Comment vais-je apprendre toutes ces langues étrangères si je continue de penser en anglais ? »

 

« Quelque ironiquement , malgré cette récrimination de soi-même au sujet du monosyllabe mad, c’était une semaine, peut-être même un mois plus tard, l’étudiant des langues rencontra une fois de plus dans sa lecture le mot français malade, bien connu à lui depuis longtemps ; mais cette fois-ci il pensa immédiatement que l’on considère l’aliénation comme une maladie et donc un fou comme un malade. Ainsi avait-il l’idée d’associer d’une certaine manière l’anglais mad (=fou) au français malade : dès lors, quand il penserait au monosyllabe ad, quand il l’écouterait, quand il serait frappé dans les yeux[130] par lui, possiblement comme suite de jeter accidentellement un regard sur une manchette de journal (beau malheur !), il n’aurait qu’à intercaler sur-le-champ dans ce mot les deux lettres la, une seule syllabe, soit phonétiquement, soit visuellement, soit même en utilisant ces deux moyens à la fois, mais toujours dans son imagination, et il aurait instantanément un vocable étranger, tout au moins dans l’essentiel, un vocable donc relativement inoffensif à son esprit perverti, à savoir le mot malade, qui a pour le schizophrène un sens suffisamment proche de celui de mad(=fou) pour qu’il ne souffrit guère de la pensée de ce dernier ou de la perception du même, ou en d’autres termes, par l’interposition ou l’épenthèse dans mad des deux lettres ou de la seule syllabe la, l’aliéné se soustrairait au sentiment de culpabilité d’avoir pensé (comme dans ce cas-ci) à ce vocable anglais ou, dans d’autres circonstances, de l’avoir vu ou même de l’avoir écouté. »[131]

 

Cet extrait du texte de Wolfson illustre certains de nos propos. Il montre bien le souci de Wolfson de trouver un mot étranger qui conserve la sonorité originale aussi bien que le sens. Il montre également les procédés par  lesquels il s’accommode de l’ordre partagé du discours pour obtenir un mot qui maintient une signification. Pour ce qui concerne l’homophonie, le choix du mot français malade, quoiqu’il semble satisfaire Wolfson, s’éloigne quelque peu de son exigence habituelle de trouver une combinaison des sonorités correspondant au plus près au matériel sonore anglais.

 

La recherche d’une paraphasie formelle ressemble un peu à ce que fait accidentellement l’étudiant des langues étrangères mais aussi à ce que ferait un ordinateur, programmé pour simuler la production des paraphasies phonémiques.[132] Cependant, nous sommes intrigués par le fait que Wolfson se satisfait ici d’une approximation d’homophonie malgré ses propres exigences. Or il  déploie une véritable recherche pour trouver des équivalences.

 

Cette recherche indique quelque chose d’une intentionnalité, d’une véritable réinvention de la langue. Lacan remarque : « On crée une langue pour autant qu’à tout instant, on lui donne sens. Elle n’est vivante que pour autant qu’à chaque instant elle se crée. »[133]  Pour Wolfson, à la différence de Joyce, le langage sert à créer du sens mais plus encore. C’est la trame même de l’existence où il peut exister séparément de l’Autre de la langue maternelle. Or dans cette séparation, Wolfson trouve malgré tout, un nouvel élément qui le lie toujours à cet Autre, autre-même.

 

L’idée qu’on pourrait être frappé dans les yeux par un texte, qu’on peut méconnaître comme faisant partie d’une langue embellie par sa figuration, montre au contraire comment le mot touche quelque chose de sensoriel, au moins pour le schizophrène.

 

Quoiqu’il en soit le corps semble être engendré par l’ensemble des signifiants de langue étrangère que Wolfson rencontre. Comme pour l’enfant de structure psychotique, en corrélation avec un vécu sensoriel, réel pour ainsi dire, le langage sert à créer une image, un corps nouveau. Et le psychotique essaye de construire ce corps à l’écart du corps maternel.

 

Lacan note dans ce qu’écrit Joyce : «  l’encadrement a toujours, avec ce qu’il est sensé raconter comme rapport à l’image, au moins un rapport d’homonymie. Que chacun des chapitres d’Ulysse se veuille être supporté d’un certain mode d’encadrement qui est appelé dialectique ou rhétorique ou théologique est pour lui lié à l’étoffe même de ce qu’il raconte,.. »[134] Lacan insiste ici surtout sur la notion d’image en rapport avec l’encadrement. Cet encadrement, qui délimite ainsi le réel, est fait lui-même d’une sorte  d’homophonie des signifiants. Ces signifiants sont liés à l’étoffe même, à un contenu qui est de l’ordre constitutif de ce que raconte Joyce.  

 

Cela ne revient-il pas à dire que l’image, et le corps même dans la psychose, sont  portés, voire même arrachés au réel, constitués par le langage ?  Mais bien plus encore, le schizophrène utilise le langage pour créer quelque chose qui ressemble au corps, le sien  et celui de l’autre. Fedida développe l’idée d’une invention du corps, même dans l’analyse, dans son article : « Par où commence le corps » en rappelant d’après Freud que les analystes ne gagnent rien à faire appel aux connaissances acquises par eux sur les organes : « C’est la langue et son usage qui donnent forme aux organes dont le malade se plaint. C’est le mot prononcé à l’ouverture de la bouche qui – tel dans l’image du rêve- invente l’organe ».[135] C’est bien ce que disait Freud à propos de l’Homme aux loups, puisque personne n’était là pour lui donner le mot.

 

Pour reprendre les termes de Lacan : « La parole en effet est un don de langage, et le langage n’est pas immatériel. Il est corps subtil, mais il est corps. Les mots sont pris dans toutes les images corporelles qui captivent le sujet ; ils peuvent engrosser l’hystérique, s’identifier à l’objet du penis-neid, représenter le flot d’urine de l’ambition uréthrale, ou l’excrément retenu de la jouissance avaricieuse. »

 

« Bien plus les mots peuvent eux-mêmes subir les lésions symboliques, accomplir les actes imaginaires dont le patient est le sujet. On se souvient de la Wespe (guêpe) castrée de son W initial pour devenir le S.P. des initiales de l’Homme aux loups, au moment où il réalise la punition symbolique dont il a été l’objet de la part de Grouscha, la guêpe….Le discours prend alors une fonction phallique-uréthrale, érotique-anale, voire sadique-orale... Ainsi la parole peut devenir objet imaginaire, voire réel, dans le sujet et, comme tel, ravaler sous plus d’un aspect la fonction du langage… »[136]

 

Or au-delà de l’arrachage de l’image du réel, est-ce que  l’homonymie ou l’homophonie, pour  peu que celle-ci ait un rapport avec les processus premiers et le corps, peut nous renseigner sur l’image de soi dans différentes pathologies narcissiques ? Nous aimerions distinguer  la schizophrénie de la névrose narcissique sachant que les deux peuvent présenter des phénomènes dysmorphophobiques.

 

 

L’image arrachée au réel 

 

Il nous est apparu intéressant d'étudier aussi dans un premier temps le délire de Monsieur L. pendant la période féconde pour élargir notre compréhension de ce qui pourrait être son « image » au-delà de ce qui apparaît dans sa question quotidienne et de comparer aussi cette notion de construction du corps, ou tout au moins de formation de l’image, dans la psychose et dans la névrose narcissique à partir du discours des malades. 

 

Parmi les phénomènes du délire schizophrène se trouve une qualité langagière qui nous semble être donnée au début essentiellement par sa densité propre, par le rapprochement homophone des mots : « On m'a pris pour un lion par l'adjectif trop parfait de moi, pour ma clé, mon échappée, ma naissance, mon accident.  Je suis l'adjectif parfois, je refuse tout traitement, je suis un mage, une étoile, l'échappée, je suis un peu un pur, un adjectif parfait. Je me bats depuis un an avec mon visage, mon image, quand j'étais encore dément, je n'étais pas encore démantelé par la doctrine. » etc. 

 

De ces propos, nous pensons comprendre que le sujet parle de sa naissance, de sa maladie, de ses croyances.  Cependant au début il n'était pas question d'une dysmorphophobie. Et ce qui nous a frappé, c'était la répétition de certains phonèmes qui semblent faire « moteur » pour la suite du discours.  Par exemple, le phonème (age) qui réapparaît six fois dans cette séquence parlée, en « adjectif », « mage », « visage », « image ».  Cependant, s'il est question de naissance, il ne semble pas être question d'âge ou d'atteindre sa majorité. Le signifiant ne semble pas venir à la place d’un autre signifiant.

 

Or Monsieur L. dit avoir ressenti des changements en lui-même déjà lorsqu'il était en prison, à partir de son dix-huitième anniversaire.  Le signifiant[137](age) semble déterminer, au moins en partie, l'expression de sa maladie et son rapport avec son visage.  Nous avons par ailleurs observé chez ce sujet, dans les cinq jours précédant son anniversaire, de façon commémorative semble-t-il, une recrudescence d'acné et de plaques érythèmes, vécue avec beaucoup d'angoisse.  A noter également le passage à l'acte violent avec un infirmier qui a eu lieu pendant la même semaine. Nous nous rappelons des accès de fièvre de l’Homme aux loups surgissant toujours à la même heure.

 

Cependant nous ne pouvons pas dire que ce signifiant en lui-même a été conscient pour notre patient.  Monsieur L. ne dira pas, par exemple, « dix-huit ans, c'est l'âge d'être un homme », même s'il en ressent les effets.  Ce signifiant (age) apparaît comme vidé de son contenu. Il nous semble pourtant signaler la présence d'un mécanisme qui nous aidera à comprendre le fonctionnement de ce sujet.

 

Lacan souligne un phénomène analogue chez Schreber où ce sont les oiseaux du ciel, le discours des jeunes filles, auxquels le malade lui-même dit n'accorder aucune signification.[138]  Lacan dit qu'il « faut rattacher le noyau de la psychose à un rapport du sujet au signifiant sous son aspect le plus formel, sous son aspect de signifiant pur, et que tout ce qui se construit là autour n'est que réactions d'affect au phénomène premier, le rapport au signifiant. »[139] 

 

Or chez le névrosé narcissique dysmorphophobique l’arrachage de l’image se fait péniblement par des voies qui retiennent quelque chose d’une signification. Considérons les propos de cette jeune femme, que nous allons appeler Mlle M.,  pour laquelle le premier diagnostic était la schizophrénie : « C’est comme s’il me manquait un organe vital et qu’il fallait qu’on me le greffe pour continuer à vivre. Pour moi, me maquiller le soir c’est pour protéger mon ami, qu’il ne me voie pas sans le maquillage le matin – pour lui éviter d’avoir peur, pour lui éviter l’horreur. C’est comme pour un bébé à qui on met une couche le soir pour qu’il n’ait pas fait pipi le matin.… Quand mes yeux ne sont pas maquillés ils sont trop petits pour mon visage. C’est comme une anomalie, une malformation, comme s’ils n’étaient pas terminés…c’est comme s’ils n’étaient que des orifices. »

 

Cette jeune femme, plutôt jolie, se lève tous les jours à cinq heures du matin pour se maquiller, surtout les yeux et la bouche. Elle envisage de se faire tatouer pour les souligner. Ce tatouage viendrait  combler ce qu’elle pense lui manquer. Un jour elle s’est faite une petite entaille avec un canif sur la joue pour « ajouter une belle marque », « peut-être pour attirer l’attention des gens ». Cette marque se voit à peine, et pas du tout lorsqu’elle est maquillée.

 

Elle s’insulte également devant le miroir se traitant de libertine. Elle s’accuse de libertinage. En outre elle dit que sans maquillage ses yeux sont comme ceux d’un cochon. « Si je ne suis pas fardée je préfère me cacher, j’ai des yeux de petit cochon. Surtout si l’on me regarde. Puis je me dis ce n’est pas moi sans maquillage. Ce n’est pas une personne. Et je veux voir. Il m’arrive de m’insulter devant le miroir, pour les sorties, le libertinage. »

 

«  J’ai peur de mon vrai visage. Je ne supporte pas cette personne, le visage quoi, les yeux. Je m’angoisse, je hurle. Des cris primitifs. J’ai peur qu’on me prenne pour un animal. Un animal féroce. J’aurais tendance à être plutôt calme. Ma mère disait que j’étais plutôt calme. »

 

 Une de ses préoccupations est son idéal du mariage. Son premier mariage s’est soldé par un échec dû, selon elle, à la stérilité de son mari. « La stérilité a déclenché le divorce de mes parents. J’ai essayé de résister. Je me suis mariée pour rassurer mon mari en vue d'une adoption. J'ai eu des malaises. Au bout de trois ans c’est ma mère qui est venue me chercher et a dit que je devais divorcer. Je sortais beaucoup. Mais j’avais toujours ce malaise, ce malaise à être…. »

 

« Mon ami m’aime vraiment. Il veut avoir un enfant. Le problème est que je souffre par rapport à ce physique…Je suis trop jalouse. S’il y a quelques jolies filles autour de moi, autour de nous, j’ai envie de me sauver. Je pars. Je ne les supporte plus. Hier soir en rentrant, j’avais envie de rompre avec mon ami… C’est après l’acte sexuel avec mon ami que j’adore, que j’ai pensé à me suicider. Je voulais arrêter de lui gâcher la vie, de gâcher sa vie à lui. Je suis exécrable. »

 

« Je n’arrive plus à être gaie. Je voudrais  qu’on me trouve en robe de mariée avec des fleurs. Quelque chose de très, très beau. Suicide ou mariage avec mon ami, je veux que ça soit beau. Je ne veux pas un suicide banal. Je veux que ça soit beau. C’est la meilleure chose qui puisse m’arriver. Je ne veux pas que ma mère souffre. C’est comme pour le mariage avec mon ami. Je veux qu’elle l’interprète comme ça. Je ne vais pas louer la salle des fêtes. Ce n’est pas un drame. C’est sûr que ça marque. Je ne veux pas que ça soit pour elle une mort, un voyage sans retour, qu’on a eu une fille et on l’a perdue, quoi. »

 

Il est tout d’abord frappant pour nous de noter avec quelle fréquence ce même signifiant age revient dans les propos  de cette jeune femme comme chez le schizophrène, et de surcroît en relation avec une dysmorphophobie. Cependant, ici ce signifiant revient dans ses paroles en  relation avec quelque chose qui manque, qu’elle pense vital de se greffer.  Il n’est pas vidé de son sens. Son sens concerne ce vide. La présence des processus premiers d’un mécanisme inconscient de déplacement est certainement responsable de sa fréquence, or il y a toujours une polysémie d’éléments qui vient donner des significations nouvelles.  Il y a non-coïncidence des signifiants, l’établissement d’un vide, qui permet la dimension de la métaphore.

 

Elle associe elle-même la couche de maquillage avec la couche du bébé, sans redoubler le signifiant. Dans chaque sens cette couche est une couche protectrice hors corps pour protéger l’Autre, en l’occurrence sa mère, contre les excréments, contre l’outrage. Sa mère s’est plainte d’avoir dû supporter un homme que sa fille décrit d’ailleurs, comme étant « un libertin ».   Mlle M. s’exprime fortement contre ce que son père « faisait avec ses maîtresses», faits rapportés par sa mère. « J’ai trouvé ça répugnant, ma mère a été écœurée».

 

En filigrane nous retrouvons les associations : litige de la mère signalé par l’emploi des signifiants concernant le mariage de celle-ci, de sa stérilité, de son écœurement et de son mari libertin (père de notre sujet), cochon, petits yeux…avec lesquels elle se met elle-même en série. Cette mise en série du sujet avec les signifiés par le biais de l’association des signifiants ressemble un peu au chiffrage chez l’Homme aux loups. Ces signifiants homonymes : mariage, visage, maquillage, tatouage, libertinage,  forment un cadre,  un cadre qui délimite un espace où Mlle M.  peut presque se voir, et semble signer une structure. C’est une extériorisation du signifiant qui ne fait pas corps mais qui construit  ou qui maintient un vide.  Ces signifiants rappellent surtout une autre homonymie, l’homonymie de son nom et celui de son père.  Nous aurons à y revenir.

 

Le manque décrit par Mlle M., en relation avec l’image spéculaire attire particulièrement notre attention. Qu’est-ce que ce manque qui apparaît chez un sujet envahi par des sentiments de négativisme et de dépersonnalisation dont l’image correspond à quelque chose de non terminé, de presque inhumain ? Ses yeux, sa bouche, sans maquillage lui paraissent n’être que des orifices, une anomalie à cerner.

 

Les trous décrits par Monsieur L. ne correspondent pas à des orifices mais aux trous vides. Les signifiants ici sont coïncidents avec ce qu’il voit comme trou. Aucune faille, ni intervalle ne semblent permettre une dimension métaphorique.  Ici, le signifiant désigne lui-même.  Cependant c’est seulement sous cette enseigne qu’il pourrait reconnaître une image comme sienne par un processus de construction d’image.

 

Empreinte sensorielle ?

 

Nous continuons notre réflexion  à propos du concept de langage d’organe en relation avec la densité propre à la langue en employant la notion d’empreinte sensorielle[140]pour mieux saisir les processus de construction d’image. Piera Aulagnier,[141] avait déjà emprunté les éléments et l’organisation du modèle sensoriel pour concevoir ses pictogrammes. [142]Cette construction aboutit à une conception très riche du fonctionnement qu’elle pensait originaire de la psyché. Ce concept réunit la notion d’image, ou quelque chose comme une image, avec la notion d’absence d’intervalle entre le corps maternel et l’infans. Nous allons pousser cette réflexion plus

 

loin par l’étude de l’empreinte sensorielle qui pourrait jouer un rôle important dans la formation du langage d’organe, ou alors dans la fonction du cadre. 

 

Avant de continuer à explorer la nature de cette entité engendrée nous soulignons quelques points.   Tout d’abord nous remarquons que Carl Jung, dans son travail sur la schizophrénie, avait développé la notion du « complexe » qui concerne, comme le pictogramme d’Aulagnier, une unité qui lie l’affect à un autre contenu, généralement verbal, mais aussi sensoriel. 

 

Freud aussi a essayé de trouver la trace d’un événement originaire chez ses patients adultes, particulièrement dans les affections narcissiques, et de développer un appareil psychique à partir de la notion du traumatisme. En effet les pathologies narcissiques semblent dévoiler un mode de fonctionnement primaire. Tout le développement de son appareil psychique en est affecté.

 

Notre point de vue sur l’empreinte sensorielle se rapproche de celui adopté par Freud[143] venant de Breuer dans les Etudes de l’hystérie où Breuer parle de  l’appareil psychique en ces termes : « Cet appareil de perception (y compris les sphères corticales sensorielles) doit être différent de celui qui reproduit, sous la forme d’images mnémoniques, les  impressions sensorielles[144]  »[145] Freud n’a pas exactement la même conception de ces impressions sensorielles malgré leurs origines apparentées. Pour notre part nous maintenons pour le moment la notion d’empreinte sensorielle comme quelque chose qui s’inscrit dans le psychisme, venant du contact avec le monde extérieur mais non encore comme image mnémonique.

 

Nous rappelons que c’est à partir de la dysmorphophobie que nous nous intéressons à l’image pré-spéculaire ou l’image de soi telle qu’elle pourrait être au début de la vie. Cependant, à ce stade nous ne pouvons pas affirmer que ces hypothèses, qui comparent le fonctionnement psychique du tout jeune enfant avec celui des schizophrènes, aussi attrayantes soient-elles, démontrent quelque chose d’un monde originaire.  Nous nous contentons de rapporter nos observations cliniques d’adultes ou d’enfants déjà grands et de comparer des processus théoriques. Cependant, notons que l’orientation clinique de ces auteurs à partir de leurs observations des pathologies narcissiques les a peut-être conduits à formuler des théories basées sur une absence de distance ou de différenciation.

 

 

 

 

Une origine somatique ?

 

Pour Piera Aulagnier, un pictogramme est une représentation originaire d’un objet-zone complémentaire dans laquelle existe une relation d’auto-engendrement entre représentant et représenté. Selon cet auteur :

 

« L’activité de représentation est l’équivalent psychique du travail de métabolisation propre à l’activité organique. Le propre de la psyché est de métaboliser, en des éléments d’auto-information, les excitations à source corporelle, comme les stimuli qui lui parviennent du monde extérieur. »[146]

 

Nous pensons connaître cette transformation, depuis le travail de Freud sur la pulsion et même avant si nous reprenons l’Esquisse. La reprise et reformulation de ces concepts pose quelques problèmes que nous nous efforcerons d’éclaircir. Aulagnier pousse, par exemple, peut-être un peu trop loin, comme les auteurs anglophones, l’idée que la relation du somatique au psychique est celle d’une causalité. Néanmoins suivons Aulagnier dans son développement de l’auto-information.

 

Cette auto-information, à ce stade ne concernait que l’auto représentation  que la psyché se forge d’elle-même comme « capacité d’éprouver l’affect résultant de sa rencontre avec l’espace corporel et l’espace du monde (le premier représentant de ces deux espaces nous renvoyant, bien entendu, à ce qui est à l’œuvre et à ce qui se manifeste dans et de l’espace psychique maternel).  La seule qualité* propre à ces deux espaces dont la psyché puisse être informée est la qualité de plaisir ou souffrance accompagnant leur rencontre et, comme dans ce temps inaugural, l’existence d’un ailleurs est totalement ignorée, plaisir et souffrance se figureront comme auto-engendrés par le représentant lui-même. Le caractère essentiel et spécifique du processus originaire est donc de poser l’éprouvant comme engendrant l’éprouvé qui affecte l’espace psychique. »[147]

 

En effet, nous pouvons aussi bien démontrer la relation de causalité dans le sens contraire, cette fois-ci en nous appuyant sur les études du schéma corporel. Depuis Descartes, bien des auteurs se sont intéressés au phénomène du membre fantôme. Beaucoup de ces auteurs pensent que cette notion recèle l’explication des origines du psychisme à partir du somatique.   Dans son travail sur l’image du corps par exemple, Paul Schilder décrit d’après Head, comment l’amputé ressent toujours le membre fantôme longtemps après l’amputation du membre matériel. Il fallait, pour le patient décrit, une lésion cérébrale pour enfin détruire le fantôme.[148] Dans ce cas ce qu’Aulagnier appelle  l’éprouvant n’apparaît pas engendrer l’éprouvé, il semble même lui faire défaut. 

 

Nous pouvons peut-être essayer de réduire l’expérience à un cas de refus de la réalité en lien avec le principe de plaisir mais cela ne nous amènerait pas très loin. Le sujet averti qui accepte l’amputation et même qui peut en parler après, ne ressent pas moins le membre amputé. Il doit faire tout un travail d’adaptation au mouvement sans un membre qui tout en n’étant pas là y est toujours.  Le membre fantôme semble démontrer, au contraire et d’après ces auteurs, que l’image du corps persiste après des traumatismes ou des mutilations de toutes sortes.  Il y a sans doute la formation d’un ou de plusieurs éléments psychiques qui résistent à l’inclusion de nouveaux éléments, même ceux d’origine somatique.  Si le pictogramme est engendré par l’expérience, cet engendrement doit être  réservé effectivement pour le tout début de la vie, ou pour une structure pathologique.   

 

Par ailleurs, Julien Friedler accomplit un travail considérable de mise en corrélation entre la biologie et la psychanalyse, son hypothèse de départ étant de trouver les fondements biologiques du psychisme tel que l’a fait Freud dans l’Esquisse. Il s’intéresse, en outre, aux phénomènes du membre fantôme par son « fort particulier, aux frontières du psychisme et du biologique. » Pour Friedler, « ce symptôme pose la question d’une origine. »[149]

 

Il serait désigné par une « régression dans le réel ».[150] Cette forme de régression  n’est ni formelle, ni temporelle, ni topique. Friedler le met en opposition à « une régression relevant du signifiant ». « Nous supposerons, » dit-il, « que,  dans certains conditions particulières (symptôme, délire, rêve, lapsus, etc.), alors même que se déstructurent les fonctions supérieures, quelque chose puisse émerger de l’organe.  On admettra la possibilité d’un dévoilement progressif de l’encéphale. On considérera l’éventualité d’une implication profonde du cerveau, propre à signaler ses structures de base. Il y aurait des voies privilégiées, des frayages plus praticables que d’autres. Le Symptôme, tel que nous l’avons envisagé, serait alors un cas d’espèce : plus simple, plus épuré, plus facile à appréhender. Tout ne pouvant pas se dire, un facteur déterminant se trouverait ainsi être de pure anatomie*. L’idée est celle d’un feed-back, d’un retour de parole, par lequel l’expéditeur, généralement considéré comme silencieux, s’engagerait sur le devant de la scène. »[151]

 

Friedler s’arrête sur le terme « neurosignature »[152]de Ronald Melzack. Selon Friedler, Melzack tiendrait pour source du phénomène du membre fantôme  an abnormal signature pattern . Friedler associe cette signature aux tâches anatomiques de tout ordre les faisant l’équivalent du signifiant.  Le Boiteux, d’Œdipe à  Héphaïstos[153], serait marqué dans son anatomie (que Friedler fait l’équivalent du réel) d’une tache pigmentaire physique qui fait signifiant et trouve son écho dans le nom propre. Bien qu’il fasse la distinction, du pénis (l’organe) et le phallus (imaginaire) en citant Lacan, Friedler revient tour à tour amalgamer ces notions comme celle de l’anatomie et du réel. [154]

 

Nous citons Friedler, trouvant par moment que ses associations fécondes ouvrent la voie d’une nouvelle réflexion concernant la psychanalyse et les neurosciences.  Cependant, nous voulons être clairs; quand nous proposons une empreinte sensorielle, nous ne pensons pas a priori à un ancrage du psychisme à partir de quelque chose originairement organique. Nous ne suivons pas Freidler dans cette recherche. Nous serions plutôt tentés de dire, d’après Freud, que cette empreinte forme le relief de l’organique.

 

Pour Aulagnier le somatique semble causer l’affect ou la capacité d’éprouver l’affect. Nous nous demandons si ce n’est pas plutôt l’absence de distance pathologique entre le corps maternel et la zone corporelle concernée qui est en partie responsable de cette théorisation de relation de causalité. Le plaisir ou déplaisir ressentis, selon Aulagnier engendraient le pictogramme, sorte de représentation primitive de la rencontre de l’espace maternel. Le psychisme se vit comme auto-engendré puis qu’il recueille les sentiments[155] (provenant de l’extériorisation des pulsions).

 

 Nous serions tentés d’imaginer comme Freud que ce signe, [156] apparaît comme la part du sentiment venant de la pulsion. Freud l’appellera le représentant. Nous ne le concevons pas comme équivalant à la source d’excitation pulsionnelle, tel qu’il est pris en compte dans certains ouvrages, mais comme un élément qui du fait de son contact avec le langage venant du monde extérieur, fait empreinte. Nous ne retenons donc pas une théorie somatique causale du psychisme, même si parfois Freud n’est pas aussi clair sur ce point.

 

C’est peut-être un élément restant des signes, que  Pierre Fedida  appelle l’empreinte minérale du vivant.  Cette empreinte minérale serait conservée, selon Fedida par quelque chose du psychisme sous une forme inanimée, une sorte de fossile. [157] Pour Fedida cette empreinte garde quelque chose de somatique, pouvons-nous dire, mais sous une forme inactive, susceptible d’être réactivée.

 

Absence de distance

 

L’œuvre de Freud montre quelques hésitations[158] sur la notion du représentant, désigné par Aulagnier sous le terme : éprouvant.  Pour Aulagnier le premier représentant est posé par l’espace maternel défini également par sa capacité de causalité. Le pictogramme lie donc, selon Aulagnier,  l’objet et sa zone complémentaire à un affect, celui-ci étant de l’ordre du plaisir ou du déplaisir engendré par les zones corporelles, et ce, dans une relation de non-savoir. La notion d’image engendrée nous intéresse, cependant, il nous semble important de souligner que nous ne suivons pas Aulagnier dans sa conception de l’attribution d’une qualité telle le plaisir ou le déplaisir comme étant un affect produit par un  ressenti à partir du somatique.

 

Un premier représentant de l’espace psychique maternel rencontre donc un espace infantile où une absence de distance entre les deux engendrait , selon Aulagnier une auto-représentation chez l’infans. C’est cette nouvelle représentation qui serait forgée de ce représentant maternel et de l’affect éprouvé par l’enfant au moment de cette rencontre et qui sera représenté comme étant auto-engendré.

 

Aulagnier ne semble pas distinguer ce qui apparaît comme étant deux processus différents. La notion d’auto-représentation ici nous paraît relever d’un processus différent qui appartient peut-être seulement à la schizophrénie. Aulagnier aborde ces processus sans distinguer ce qui pourrait être de l’ordre pulsionnel de ce qui est de l’ordre de la mémoire, ou ce qui est de l’ordre perceptif, de ce qui est de l’ordre somatique. Ces amalgames reflètent peut-être aussi des processus pathologiques narcissiques. Ils correspondent également à une absence de distinction entre les systèmes Préconscient( Pcs) et l’Inconscient(Inc), tel l’appareil freudien dans ses débuts.

 

La notion d’auto-engendrement de déplaisir et de plaisir nous semble être un mécanisme qui dépendrait de l’attribution et du jugement de la réalité. [159] Elle aboutirait pour des raisons constitutionnelles à un non-savoir généralisé du psychisme par lui-même.

 

Dans la première expérience de satisfaction, l’objet se présente, donc, selon Aulagnier,  sous forme d’une qualité.  Celle-ci correspond donc au chiffrage, puis à l’attribution, tel que Freud l’a envisagé. Cette distinction d’une qualité participerait donc à l’engendrement de l’image. Il nous semble qu’elle participe surtout à son arrachement du réel, et d’une certaine façon serait corrélative à la fonction du jugement de la réalité.[160]

 

Reprenons l’Esquisse même si les connaissances neurologiques d’aujourd’hui permettent une vision tout à fait différente et  que Freud lui-même rejettera une partie de son projet scientifique plus tard. Le statut qu’il donnera à chacun de ces éléments gardera la trace de ce premier jet où nous trouverons peut-être des éléments circonscrits qui nous aideront à comprendre ces processus pathologiques. Dans ce travail il sera question de la somme des excitations au sens d’une physiologie nerveuse dont la source majeure proviendrait des excitations extérieures. Cette quantité dépendrait d’une tension créée sur la membrane nerveuse.

 

Grâce à  une résistance qui s’oppose à la décharge, l’emmagasinement des quantités modifierait de façon permanente la membrane pour créer une barrière de contact, l’énergie  à l’état liée. Cette nouvelle membrane différenciée sera plus propre à la conduction des excitations.[161] Cette barrière de contact semble correspondre à ce que Aulagnier appelle l’éprouvant dans le sens qu’il correspond à une première modification dans un espace non-différencié. Nous aurons à y revenir .

 

Corrélation des signes

 

La création du psychisme dans le système physiologique nerveux deviendrait dans sa lettre 52  à Fleiss, celle d’une économie générale. Cependant dès l’Esquisse, les excitations endogènes concernant le psychisme, proviendraient d’une poussée[162].  Freud distingue cette notion ainsi que d’autres qu’il regroupera sous son concept de la pulsion. La poussée concerne donc les excitations endogènes.

 

 Le recueil des sentiments ou la volonté pulsionnelle venant de la pulsion ne peut avoir lieu, selon Freud, que par l’intervention d’un nouveau facteur qui permet le phénomène de la mise en relation des systèmes j (système des neurones perméables) et y (système des neurones imperméables).[163] La notion d’un représentant pulsionnel par lequel ces excitations se feront  connaître par le reste du système psychique paraît être corrélée à ce nouveau facteur.

 

Freud explique la formation de la mémoire ainsi que celle de la conscience par la notion du frayage (Bahnung) qui améliorait la qualité de la conductibilité de la membrane. Selon Freud, c’est de cette loi fondamentale de l’association par simultanéité qu’il s’agit lors de l’activité y pure, durant la reproduction par le souvenir, et qui est « le fondement » de toutes les liaisons entre les neurones y.[164] Apparemment les inscriptions sont corrélées entre elles parce qu’elles se présentent de façon simultanée.  

 

Selon Freud, la capacité de la mémoire de représenter (darstellen) proviendrait de la modification de l’état de perméabilité de certains neurones. [165]/ [166][167] La mémoire consiste au départ  en une mise en relation, un frayage entre des éléments, des signes. [168] Et les frayages dépendent d’un facteur  « qui est l’intensité de l’impression reçue et aussi de la répétition plus ou moins fréquente de cette dernière. »[169] Nous remarquons que la notion de traumatisme semble très présente à l’esprit de Freud à la rédaction de ce travail.

 

La première fonction du système y serait celle de cette mise en relation d’éléments différents pour faciliter la décharge des excitations. 

 

Toujours d’après la théorie freudienne, la conscience[170] « représente ici  le côté subjectif d’une partie des processus psychiques qui se déroulent au sein du système neuronique, c'est-à-dire des processus perceptifs (processus w) ; l’absence de la conscience ne serait pas sans influencer les faits psychiques mais impliquerait la non-présence d’un élément émané du système  W[171]. »[172] Il y aurait donc également une corrélation entre la perception et la conscience,  système intermédiaire entre y et j qui, par suite d’une ramification du système de y , permet au psychisme de fonctionner sans le système w(W).

 

Ce processus  permettrait alors au psychisme de se renseigner sur lui-même. Mais ce n’est pas pour autant dire que le sujet  serait conscient de ces processus. Il faudra attendre l’Interprétation des rêves pour la distinction en sous systèmes de l’inconscient et du préconscient. Freud  modifiera le rôle que joueraient les neurones w qui ne recueillent pas la suite des excitations extérieures mais servent de guide.  Au moment de l’écriture de l’Esquisse,  Freud met l’accent sur la perception des inscriptions venant du monde extérieur. Ces perceptions sont déjà autre chose qu’une transposition du monde extérieur, elles sont des traductions. Cette conception aura des conséquences majeures sur sa théorisation ultérieure et déterminera, en outre, la théorie traumatique du psychisme.  Or nous notons ici que l’impact de la perception outrepasse la question du traumatisme. Le processus de frayage lui-même est concerné. Peut-être le manque de distinction entre les frayages, entre les systèmes, explique-t-il en partie les processus schizophréniques ?  Quoi qu’il en soit, la perception telle que Freud l’envisage : la mise en corrélation par simultanéité, les frayages, nous fournit déjà l’idée de quelque chose de l’ordre d’une commémoration.

 

Le pictogramme et l’entre-deux hallucinatoire

 

Dans sa première description de l’expérience de satisfaction  décrite par Freud, un frayage des  signes  précède la notion des traces.[173] Les pictogrammes, ou certains des pictogrammes et l’expérience de satisfaction semblent être situés pour Aulagnier, entre les deux notions freudiennes : l’expérience d’inscription des signes et la corrélation des traces de l’événement de satisfaction. Pour Freud il n’était peut-être pas nécessaire de distinguer la notion de signe de la notion de la trace au moment de la rédaction de l’Esquisse, cependant, nous remarquons qu’il exclut déjà la notion de trace du système de la perception.

 

Dans l’Esquisse, Freud ne parlera des affects que dans deux chapitres suivant son chapitre sur la satisfaction. Il ne s’agit donc pas, au moment où il écrivait l’Esquisse d’un état premier. Il dit « Les traces laissées* par les deux sortes d’expériences vécues [celles engendrant une satisfaction et celles provoquant du déplaisir] sont les affects[174] et les états de désir. »[175] 

 

Par expérience de satisfaction, il s’établit donc un frayage, entre deux images de souvenir et les neurones du noyau qui sont investis en état d’urgence.  « Dès la réapparition de l’état de tension ou de désir, la charge se transmet aussi aux deux souvenirs et les réactive. Il est fort probable que c’est l’image mnémonique* de l’objet qui est, la première, atteinte par la réactivation· »[176] 

 

La notion d’affect et l’état de désir correspondent aux traces. Celles-ci concernent l’ensemble de l’expérience que Freud désigne comme formant des images. La formation d’image se fait par suite des frayages, par la corrélation de signes simultanés, et leurs traces en mémoire après l’attribution d’une qualité.. Les signes seraient des inscriptions qui concernent des quantités d’excitations : de déplaisir quand elles sont trop nombreuses, de plaisir quand elles sont réduites au néant, ou alors des qualités parce qu’elles sont justement affectées d’un signe.

 

 Malgré les difficultés présentées par ce texte, nous poursuivons avec Aulagnier où l’auto-représentation  semble être véhiculée  sur un mode de non-savoir.  Nous reconnaissons  les structures  cliniques différentes selon la position du sujet par rapport à la réalité : la (dé)négation, le déni, la forclusion. 

 

Remarquons que le pictogramme, entre le signe et la trace, pour autant  qu’il  lie par corrélation les représentants pulsionnels à une non différenciation de l’objet-zone ne peut que participer à une fonction hallucinatoire de formation d’image, telle que Freud l’imagine.  Ce retour des processus primaires aboutirait à une confusion entre les images (affects et représentations) et les perceptions (les signes) par manque de distinction des frayages. Le sujet dans ce cas de figure ne peut effectivement que s’imaginer comme faisant partie de l’image lui-même, s’auto-représentant comme faisant tableau, non distinct du cadre.  Nous y reviendrons.  

 

 

 

 

Attribution d’une qualité

 

 Nous voulons essayer de comprendre ce qui se passe au niveau langagier pendant ce temps originaire pour retrouver comment des signes posent l’empreinte sensorielle, (différente des perceptions puisqu’elles sont permanentes et forment quelque chose par cette permanence qui n’est pas encore une image, pas encore mémoire, pas tout à fait trace), et comment cette empreinte deviendrait quelque chose qui pourrait véhiculer d’après Aulagnier un état  de non-savoir tel l’auto-représentation.

 

En dehors de ce moment hypothétique de l’infans ou peut-être dans certaines pathologies, nous avons remarqué avec le phénomène du membre fantôme que la qualité de renseignement que pouvait fournir l’éprouvant n’est apparemment pas suffisante pour engendrer les auto-représentations telles que celles qu’imagine Aulagnier.

 

Freud a longtemps noté l’existence d’un noyau dans la psyché qui persiste et donne l’impression d’avoir toujours été là. Cet élément qui reviendrait de façon périodique, pouvons nous dire, apparaît en lien avec les perceptions et serait a priori exclu de la mémoire en tant que telle. Nous avons déjà cru  comprendre que cet élément se présentait comme une qualité, prélevé à partir des perceptions et participerait d’une certaine façon à délimiter le réel.

 

D’après Freud dans l’Esquisse : « l’état conscient nous fournit ce que nous appelons des « qualités » --- des sensations, très variées, de « différences » et ces dernières dépendent des relations avec l’extérieur. Parmi elles se trouvent des séries, des similitudes,* etc., mais on n’y découvre rien de quantitatif .»[177] Le fait que ces qualités soient liées à la perception mais ne semblent pas appartenir au système j (système des membranes non-différenciées) parce qu’il situe le conscient considéré comme  «niveau supérieur » et que seulement la reproduction ou la remémoration ont lieu dans le système y fait admettre à Freud l’existence de son troisième système de neurones, le système w.

 

Dans sa lettre numéro 39 à Fleiss du 1 janvier 1896, il apporte une modification à l’appareil : « …les  processus de perception impliqueraient eo ipso  un état de conscience et ne produiraient d’effet psychique qu’après être devenus conscients. Les processus y seraient, de par leur nature même, inconscients et n’acquerraient qu’ensuite un état conscient secondaire, artificiel, en se trouvant liés à des processus de décharge et de perception (associations verbales)[178]. Une décharge de w, telle que je l’ai exposée dans mon autre description, devient inutile. Les phénomènes hallucinatoires, toujours si difficiles à expliquer, ne constituent plus une rétrogradation de l’excitation vers j, mais seulement vers w. »[179] La notion d’image, sensorielle ou autre, surgissant dans la conscience est donc pour Freud un processus secondaire. Celle-ci est liée à l’association verbale dont l’origine se trouve alors dans les perceptions. Les phénomènes hallucinatoires tombent du même coup sous le processus d’association verbale. Nous verrons plus loin d’autres implications de ce processus régressif.

 

C’est avec la distinction d’un système préconscient que Freud va modifier sa conception de l’appareil psychique et dira clairement dans l’Interprétation des rêves :  « Les processus des systèmes y, y compris ceux du préconscient, manquent de qualité psychique, c’est pourquoi ils ne peuvent apparaître comme un objet à la conscience que dans la mesure où ils offrent, à sa perception, du plaisir ou de déplaisir. Il faudra nous résoudre à admettre que ces déclenchements de plaisir ou de déplaisir règlent automatiquement la marche des processus d' « investissement ». Mais, ensuite, pour obtenir des activités plus délicates, il a été nécessaire de rendre la marche des représentations plus indépendantes des signes du déplaisir. Il fallait pour cela que le système préconscient eût des qualités propres qui pussent attirer la conscience ; il les acquit très probablement en rattachant ses processus au système de souvenirs des signes du langage qui était, lui, pourvu de qualités. Grâce à des qualités de ce système, la conscience, qui n’avait été jusque-là que l’organe du sens des perceptions, devint aussi l’organe du sens d’une partie de nos processus de pensée. Elle avait dès lors en quelque sorte deux surfaces sensorielles, l’une tournée vers la perception, l’autre vers les processus de pensée préconscients. »[180] C’est en se rattachant au système de souvenirs de signes du langage que le préconscient parvient à acquérir des qualités et que la conscience devient l’organe de sens d’une partie de nos processus de pensée.

 

Nous sommes saisis par le rapprochement que Freud fait ici des signes du langage avec la notion d’organe de sens. Pensait-il déjà à cette époque à une notion telle que celle qu’il adopte de Tausk concernant le langage d’organe ? Le préconscient semble se développer à partir de la nécessité de rendre des processus psychiques y , processus de représentation, indépendants d’une qualité, le déplaisir. Il n’est pas doté lui-même des qualités mais de la capacité d’en acquérir par son rattachement au système de souvenirs des signes verbaux.   Nous reviendrons à la conception freudienne mais continuons encore avec Aulagnier.

 

Nous voulons tenter de saisir comment l’éprouvé, ou le représenté, s’il vient du discours maternel, ne sera métabolisé par l’originaire qu’en reprenant préalablement une qualité d’homogénéité originaire.

 

Aulagnier note que les  éléments nouveaux ne semblent pas pouvoir s’inscrire s’ils ne deviennent homogènes au reste du matériel psychique. Cet auteur ne semble pas distinguer la fonction de la mémoire de la fonction de cet autre système décrit par Freud. Celui-ci propose bien l’existence d’une mémoire archaïque mais il présente dès l’Esquisse un autre système, où des signes s’inscrivent mais ne laissent pas de traces. Ce qu’il appelle le système w fonctionnerait comme interface entre le psychisme et le monde extérieur. Celui-ci concernerait donc la perception, ou plutôt la mise en rapport de la perception avec le recueil des éléments venant du système endogène, les représentants de la pulsion. A partir de là, Freud développera plus tard le système du préconscient. A ce moment-là, il concernait un type de symbolisation, celle d’une logique des signes venant du langage et leur inscription dans un espace, non encore situé comme mémoire, là où Aulagnier souligne la nécessité d’une homogénéisation afin de rendre le système plus indépendant des signes de  déplaisir.

 

Au moment de l’écriture de l’Esquisse, Freud envisageait une fonction d’écran pour le système y. Cet écran, appelé barrière de contact, était fait, nous le rappelons, des excitations sous une forme liées. Cette barrière de contact, nous la retenons comme

négativée[181] dans son action. Elle a une fonction de cadre,[182] comme formé par des signifiants qui se répètent. Cela donne une indication des processus d’attribution puis du jugement de la réalité et des processus secondaires qui seraient déjà  en jeu. Or ici dans le schéma d’Aulagnier, ces processus restent marqués paradoxalement par une absence de différenciation. Est-ce que nous pouvons dire que c’est par l’absence de distance entre l’objet et la zone que serait posée une absence de différenciation avec ce cadre et son tableau ?

 

Cette remarque rappelle celles de Marie-Claude Lambotte concernant le cadre et le tableau d’après le rêve du patient d’Otto Rank. Il y est question de ce cadre fait du contenu central du rêve et du tableau de la scène narcissique de contemplation constitué par la projection de l’état intérieur de la patiente hors de son inconscient. M.-C. Lambotte[183] insiste sur certains facteurs ignorés par Rank : « Il semble que Rank, si sensible pourtant au transitivisme[184] de la relation mère-enfant dont il perçoit surtout chez sa patiente la composante agressive de la rivalité --- et qu’il compare à Blanche-Neige et à sa marâtre ---, n’ait pas bien saisi ce qui constituait en somme l’intérêt de l’auto-portrait et la fascination qu’il continue d’exercer non seulement sur le peintre, mais encore sur le spectateur. Bien plus qu’une simple projection de sa propre image comme il le définit, c’est de voir devant soi ces mêmes yeux par lesquels on a été vu une première fois qui donne toute sa valeur à l’auto-portrait. En d’autres termes, le peintre se « trace » ou se « retrace » comme il s’est vu prendre corps à travers le regard de la mère, par un processus d’identification qui fait dorénavant partie de sa structure. Et ce même regard constitutif à la fois de son image et de son rapport au monde lui a légué le cadre* en fonction duquel a pris forme l’expression de son désir. »[185] Ainsi, selon M.-C. Lambotte,  le regard dont la mère investit l’enfant lui laisserait en héritage un cadre où l’expression du désir de la mère a pris forme dans l’image de l’enfant. Nous reviendrons par la suite sur la notion de transitivisme et la question du tableau, mais nous notons encore comment cette absence de distance opère dans une reprise de repères de l’histoire du sujet dans le désir de sa mère sur l’image de son propre corps.

 

La fonction métabolique de la psyché

 

Dans son article, « Le refoulement », Freud parle du représentant dans ces termes : « Nous sommes donc fondés à admettre un refoulement originaire, une première phase du refoulement, qui consiste en ceci que le représentant psychique (reprèsentant-représentation) de la pulsion se voit refuser la prise en charge dans le conscient . Avec lui se produit une fixation ; le représentant correspondant subsiste, à partir de là, de façon inaltérable et la pulsion demeure liée à lui. »  [186] Freud insiste ici sur le fait que cet élément psychique est quelque chose de l’ordre de l’imaginaire, voire même du symbolique, par l’usage du terme : Vorstellung, représentation ou idée. Or il semble exister déjà quelque chose de cet élément, qui fait empreinte, même hors refoulement, avant la notion de trace. Nous tenterons de dégager ces notions et de distinguer ce qui pourrait être refoulé, ou à l’occasion rejeté, de ce qui fait empreinte.

 

Nous travaillons essentiellement avec le concept freudien de mêmeté, c’est-à-dire : « Le mauvais, l’étranger au  moi, ce qui se trouve au-dehors est pour lui tout d’abord identique. »[187]  Quand nous pensons à la notion d’empreinte, nous retenons l’idée qu’un élément, venant du dehors (non pas la perception parce qu’il est teinté d’une qualité) empreigne le lieu du psychisme (sans faire d’équivalence avec un lieu somatique) d’une certaine façon.

 

Nous soulignons surtout la capacité de cette empreinte à servir comme modèle et l’effort du psychisme à rendre tout nouveau matériel homogène, l’assimilant au psychisme. Nous le qualifions de sensoriel par la capacité de cette empreinte à assimiler ce qu’Aulagnier appelle l’éprouvé, ou le représenté, et par le fait que Freud lui-même dit : « Les neurones perceptifs se comportent comme des organes de sens...* ».[188]  Or Freud dit que « nous ne saurions y situer la mémoire. »[189] Ici, le frayage n’émane pas des quantités mais d’une périodicité. [190] Peut-être ressemble-t-il à une sorte de commémoration ?  Dans l’Interprétation des rêves, Freud dit clairement comment s’organise ce système à partir du langage. Ce qui n’a été auparavant que commémoratif, émanant d’une périodicité, trouve maintenant un moyen d’expression par les qualités verbales enregistrées dans le système des souvenirs.

 

Le concept de mêmeté a été retravaillé aussi par Lacan[191] et bien d’autres auteurs. Il nous paraît toujours très fécond. Ce concept souligne que la psyché au stade originaire logique est peut-être déjà capable de distinguer entre des qualités autres que le plaisir et le déplaisir. Pour rester fidèle au concept freudien, nous devons garder à l’esprit ce qui sera Au-delà du principe de plaisir et conclure que ce qui sera reconnu par la psyché, en premier lieu, sera ce qui lui ressemble.   Nous remarquons en même temps que la notion de ressemblance inclut en elle le concept d’image. Or Freud ne semble pas parler ici d’image mais de répétition, de simultanéité, de corrélation et de périodicité. Pourtant, selon lui-même, le système préconscient se constitue par sa capacité à se rattacher au système de souvenirs des signes verbaux. 

 

Aulagnier remarque : « Le début de la vie somatique, comme de la vie psychique, coïncide avec la rencontre entre un organe sensoriel et un objet extérieur ayant un pouvoir de stimulation à son égard. »[192] C’est ce modèle sensoriel que le processus originaire reprendrait dans ses mises en forme. Selon Freud cette fonction d’organe sensoriel est celle d’un écran contre  des quantités trop importantes.[193] La notion d’écran concerne une mise en relation, ou un choix, de signes verbaux, afin de permettre les processus conscients sensoriels. C’est par une fonction de proximité, d’écran ou de tamis, qu’Aulagnier distingue l’objet-zone complémentaire : « la représentation d’un état de jonction, de mêmeté, d’indifférenciation entre zone érogène (cavité orale, zone auditive, zone visuelle, surface tactile…) et l’objet source d’une excitation qui, dans une rencontre inaugurale, a été source de plaisir »[194] Or comment une absence de distance a-t-elle le pouvoir de servir de modèle ? Freud nous dit que les éléments qualitatifs ne laissent aucune trace d’images,  dans la mémoire .

 

En effet la notion d’objet psychique produit par les processus originaires perd du poids en acquérant son statut de représentation.[195] Nous soulignons la présence de cette difficulté qui semble parfois n’être que sémantique, pour mieux comprendre comment la pensée pourrait se saisir d’un objet hétérogène à ses premiers stades, le transformer en matériel homogène, alors que rien ne lui ressemble a priori, et comment de cette empreinte homogène, un objet hétérogène sera enfin créé pour une  psyché qui ignore, à ce stade, la différence entre l’empreinte  et l’objet.  Il ne s’agit donc pas de  dévaloriser la notion de représentation mais d’explorer en détail l’idée que le mot est la chose, au moins pour certains sujets.

 

 Dans la schizophrénie, l’investissement psychique préalable à l’éclosion de la pathologie nous semble retrouver un ancrage, une empreinte sensorielle, qui semble être située dans la zone psychique concernée par l’organe investi lors du délire.

 

Selon Piera Aulagnier, la fonction de la psyché est de métaboliser des éléments hétérogènes en éléments qui lui sont homogènes : « rien ne peut apparaître en son champ qui n’ait pas été d’abord métabolisé en une représentation pictographique ».[196] Ainsi, la psyché ne peut-elle connaître les objets que par ses représentations qui dans l’originaire seront des représentations pictographiques où l’affect et l’éprouvé corporel sont désormais liés, où le matériel sensoriel doit devenir homogène au matériel psychique pour être connaissable par la psyché. Pour nous ces pictogrammes ne correspondraient pas aux représentations originaires mais à une structure narcissique, que nous avons préféré appeler empreinte sensorielle d’après ses origines sensorielles (selon la notion freudienne) et d’après les notions concernant l’inscription.  La notion d’homogénéité semble bien illustrer la mise en corrélation des éléments et le manque de distance et de distinction entre ceux-ci.

 

Au niveau du langage, ce matériel sensoriel se voit également lié à un concept inconscient représentatif du désir de celui qui parle à l’infans lors des premiers soins. Or ce concept, pour inconscient qu’il soit, parvient aux oreilles du sujet sous la forme réelle d’un matériel sonore, impossible,  non-homogène au matériel psychique, puisqu’il n’y a rien qui lui ressemble préalablement.

 

En effet, s’il s’agit de la voix, l’empreinte sensorielle sera le résultat de la combinaison des éléments que véhicule une langue ; la tonalité, le rythme, le son, l’affect associé, la périodicité, qui se combinent pour produire finalement un objet, bien matériel à ce stade, associé à l’autre privilégié et ses zones corporelles complémentaires, et non encore métabolisé par la psyché du sujet.

 

 

De l’empreinte à l’organe

 

 « La notion d’objet ou de matière sonore est ici préférable à celle d’image ou de représentation puisqu’elle permet d’envisager comment la langue pénètre le sujet, comment elle passe par un mode de contiguïté d’un sujet à l’autre, comment elle laisse des traces, avant d’être comprise en tant que contenu homogène, et surtout, comment elle fonctionne comme organe, contiguë avec les autres parties du corps,  du sujet à l’autre privilégié, de l’environnement au sujet. » [197] D’après Freud pour l’élément déterminé par ce qu’il appelait à cette époque les neurones perceptifs, la notion de trace de mémoire était exclue. En effet, le signe, tel qu’il est repris comme un organe de sens, d’écran ou de tamis, semble s’inscrire, se répéter d’une manière qui n’inclut la mémoire que par un processus secondaire.

 

Cette notion rappelle également, si nous ne distinguons pas le corps du somatique, celle de Pierre Fedida quand il parle de la nature pulsatile de la vision, selon Rosalind Krauss. Il note que Krauss fait clairement de « celle-ci un modèle de fonction littéralement psychophysiologique : c’est une fonction de l’organe génital et la vue est un affect de l’organe.* »[198]Peut-être faut-il voir l’ouïe également comme affect de l’organe ? En effet les sons se répètent dans la schizophasie comme le battement du cœur et nous pourrions peut-être y trouver les bases d’un fonctionnement originaire à partir de sa nature pulsatile. Nous avons remarqué son lien avec la périodicité.

 

Or pour notre part nous avons dit que nous ne nous intéressons pas pour le moment à une qualité somatique de l’organisme. Par ailleurs, nous avons noté, d’après Freud, que l’affect est déjà un élément qui fait image. Nous nous efforçons de comprendre comment le psychisme peut faire justement la confusion entre ce qui est de l’ordre du somatique et ce qu’il est de ses productions psychiques. Quand nous disons que cet objet, ou la matière sonore, fonctionne comme un organe, il est clair qu’il ne prend aucun rôle d’organe, sauf dans le psychisme, où il prend, à ce stade ou en certaines pathologies, tous les droits, grâce  à cette contiguïté, cette simultanéité.

 

Aulagnier met en évidence, après Freud, l’écart entre la représentation et l’objet de celle-ci : « Si nous imaginons une représentation de l’unité bouche-sein accompagnant l’expérience d’allaitement nous avons une conformité entre l’affect et l’éprouvé du corps. Si nous envisageons, à l’inverse, la représentation hallucinatoire d’une union bouche-sein qui impose momentanément un silence psychique à l’état réel du besoin, nous aurons une contradiction objective entre affect et éprouvé corporel, mais contradiction totalement ignorée de la psyché et n’existant au mieux que pour l’observateur. »[199]

 

L’infans, le sujet aux premiers stades de développement, semble apercevoir l’empreinte sensorielle auditive (que nous évitons d’appeler hallucination ou représentation auditive ici) comme auto-engendrée, si l’on suit Aulagnier, comme faisant partie de lui-même (tel le pictogramme). Il ne semble pas distinguer l’objet de sa représentation, si l’on admet le modèle freudien de l’hallucination de l’objet alimentaire. 

 

 D’un certain point de vue, ces empreintes sont elles-mêmes comme de véritables objets ou tout du moins fonctionnent comme tels pour les sujets qui ne les distinguent pas des représentations.  Pouvons-nous dire que les objets, ou les images engendrées par ces empreintes ne sont ni objet ni représentation mais l’occurrence d’un reste sensoriel d’un certain type ?

 

Quand le sujet schizophrène dit que la langue lui pénètre les oreilles nous pourrions croire qu’il ressent cette expérience douloureuse comme tel !  L’expression « le mot est la chose » pouvait être reformulée  pour dire que chez le schizophrène le signifiant  est homogène à l’objet, ou tout au moins apparaît comme tel.

 

 Nous évitons pour le moment d’aller plus avant dans les comparaisons entre l’infans et le psychotique et nous reportons notre attention sur la fonction du signifiant dans le délire. Néanmoins nous maintenons pour le moment la notion d’empreinte sensorielle qui rejoint peut-être celle d’autres auteurs.[200]

 

 Cette notion nous intéresse particulièrement par le fait qu’elle fait jointure entre le sensoriel et le langage tout en laissant prévaloir l’idée que cette articulation fait cadre, peut-être même, modèle. C’est ce que Lacan appelle la densité propre de la langue qui nous amène à réfléchir sur ces notions. Cette densité se repère chez les sujets que nous avons étudiés dans la répétition du signifiant et la façon que celui-ci se fait homonyme et même parfois par sa répétition, métronome. C’est peut-être une construction logique que nous pouvons nous poser pour le nouveau-né à partir de l’étude des affections narcissiques. Elle ne correspond pas cependant à une existence aisément démontrable chez l’infans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De Lalangue au Discours

 

Des séries

 

Le signifiant est ainsi retenu pour faire des séries, séries d’empreintes homogènes.  Le noyau de la psychose apparaît sous forme de signifiant pur, vidé du signifié, posant cependant les jalons du délire qui se construit autour.  Par exemple chez Schreber, la correspondance terme à terme d'éléments de discrimination très voisins, comme Chinésenthum ou Jesus-Christum ne sont équivalents que dans la mesure où, en allemand, la terminaison tum a une sonorité particulière.[201]

 

Lacan ajoute à ses propos, « la promotion du signifiant comme tel, la venue au jour de cette sous-structure toujours cachée qu'est la métonymie, est la condition de toute investigation possible des troubles fonctionnels du langage dans la névrose et la psychose. »[202]

 

Nous avons par ailleurs vu que la métonymie, et même l’homonymie ne sont pas l’apanage de la psychose même si celle-ci se distingue par sa prévalence. L’homonymie souligne  quelque chose du fonctionnement du cadre, d’une extériorité que les sujets psychotiques ou névrotiques cherchent à maintenir ou à construire. Cette homonymie semble être commémorative.

 

Néanmoins, pour Schreber, ces paroles répétées, dites sans signification aucune, font surgir en lui des images, « images d'identification féminine, auxquelles il ouvre la porte, il les laisse prendre, il s'en fait posséder, remodeler. »[203] Schreber « admet peu à peu que la seule façon d'en sortir, de sauver une certaine stabilité dans ses rapports avec les entités envahissantes, désirantes, qui sont pour lui les supports du langage déchaîné de son vacarme intérieur, est d'accepter sa transformation en femme. »[204]

 

Dans l'exemple que nous avons donné, de Monsieur L., le malade schizophrène fait aussi surgir en lui des images.  Dans un premier temps, ce sont des images d'identification avec le mage lui-même, ce qui détermine la première métamorphose.  Dans un deuxième ou troisième temps, ce problème du visage trouve son expression à partir du même signifiant (age) devenant responsable des métamorphoses du visage. Ces signifiants semblent faire surgir des images. Cependant, pouvons-nous dire qu’ils soient pour autant stabilisants  ?

 

De cet ordre d'idées nous retenons, tout comme Freud, mais de façon plus précise quant au mécanisme : en premier lieu, la manière par laquelle le langage peut faire surgir des images qui trouvent finalement leur expression dans les transformations corporelles dans la psychose et, en deuxième lieu la prégnance de la métonymie dans les formations narcissiques, psychotiques ou névrotiques.  Les pratiques corporelles chez le schizophrène témoignent, semble-t-il, d’une certaine mise en série signifiante. Les répétitions chez le névrosé narcissique aussi. Néanmoins, nous soupçonnons le fonctionnement d’un autre élément déterminant.

 

Chez le névrosé narcissique dysmorphophobique, Mlle M., nous avons remarqué une mise en série des signifiants. Nous avons déduit que cette mise en relation avait  peut-être quelque chose à voir avec l’empreinte sensorielle.   Néanmoins dans cette série, chez le névrosé narcissique, le signifiant opère autrement. Il ne semble que former le cadre où se distingue l’image qui rappelle pour Mlle M. la haine de sa mère pour son père, voire les jalons de sa propre histoire. 

 

Cette image-là, cette histoire, elle tente de l’effacer, de la cacher par des couches de maquillages. Faut-il y voir une pratique corporelle  qui mettra le sujet en série avec les autres signifiants ? Si oui, le sujet s’effacerait lui-même pour que son histoire s’inscrive en blanc. Peut-être est-ce ainsi que fait l’Homme aux loups qui ne se dessine pas, même s’il se compte, dans le trou de la fenêtre qui s’ouvre devant lui dans son rêve. Nous aurons à y revenir.

 

 

 

 

Les oublis et les oblitérations

 

Signalons, cependant, que chez notre malade schizophrène, ces phénomènes langagiers ne sont pas encore complètement élucidés par les remarques concernant les séries.

 

Il se produit chez Monsieur L., par exemple, certains phénomènes qui à première vue ne semblent pas éloignés de ceux qui ont été décrits par Freud dans un chapitre de Psychopathologie de la vie quotidienne, à propos de l'oubli des noms, concernant une parole non dite par Freud qui contiendrait le secret le plus profond de son être. 

 

C'est dans la mesure où cette parole, touchant à la sexualité et à la mort, n'est pas dite que Lacan écrit que Freud, « ne peut plus s'accrocher à l'autre qu'avec les chutes de cette parole.  Ne restent que les débris.  Le phénomène d'oubli est là, manifesté par littéralement, la dégradation de son rapport avec l'autre. »[205] Ici Freud a perdu la disposition du signifiant et il se produit un « glissement entre Herzégovine et Bosnie » dont il fait l'intermédiaire de la métonymie pour trouver la réponse Trafoi, Boltrffio, Botticelli, au lieu de celui souhaité, Signorelli.  Une désintégration a lieu "jusqu'à l'intérieur du mot Signorelli qui n'y est relié que de la façon la plus lointaine -- Signor, Herr. »[206] Et la phrase prononcée par un passant, « Herr, que peut-il y avoir à dire maintenant? »[207]contiendra la pièce maîtresse du signifiant refoulé, Herr, dans cet énoncé au sujet de la mort d'un malade, devant quoi un médecin ne peut rien.

 

Monsieur L. nous a fourni un exemple comparable où  apparemment la disposition du signifiant est perdue.  En entretien un jour nous avons remarqué que le malade entend « dément » quand il est dit : « décidément ».

 

Doit-on dire qu'à l'instar de l'exemple précédent, se produit un refoulement et un glissement métonymique du même type ?  Ainsi dirait-on qu'une partie du mot se trouve exclue, le déci par exemple.  En poussant cette analyse plus loin on peut même dire décide est élidé, puis le mot se recompose en décide-dément, ou se déforme plus pour donner décède-dément.  Le décède sera ainsi finalement troqué contre un dément que le sujet semble plus prêt à reconnaître.  Il dit lui-même au décès d'un autre patient : « Mieux vaut avoir une figure atroce que d'être mort »  Avec un raisonnement semblable nous trouvons la formule : « Mieux vaut être dément que d'être mort. »  Nous notons par ailleurs que dément, et aussi démon font partie des voix injurieuses qu'entend ce patient.

 

Bien que nous développions cette interprétation un peu loin sans la confirmation du malade, nous ne doutons pas de ce genre de décomposition et recomposition de mot chez le schizophrénique, où depuis Le Schizo et les Langues de Louis Wolfson, nous avons appris à reconnaître que les mots peuvent être démembrés ou dissous par morceaux ou répétés par vocable pour être désamorcés.

 

Prenons par exemple ce paragraphe relevé au hasard : « Ainsi son appétit, son hypochondrie au sujet de sa pression artérielle, son besoin compulsif d'éviter les mots anglais ou du moins de les changer instantanément en mots étrangers ayant à la fois un sens et un son similaire au mot correspondant en anglais, sa psychose en général contraignaient le malade mental à prendre de fortes mesures pour se débarrasser et pour pouvoir se débarrasser à l'instant de l'embêtant vocable anglais signifiant abréviation aussi bien que graisse (à pâtisserie), même s'il lui fallait doubler en quelque sorte, même tripler préalablement, la première consonne (le son ch) et ainsi créer pour un instant la monstruosité : shshshortening (c'est-à-dire ayant une longue initiale, prononcée chchch), pour pouvoir enfin vraiment démembrer le vocable anglais, maintenant sans doute hideux en vérité, et l'anéantir ».[208]

 

 

Tout le symbolique est réel

 

Il nous semble que la mort soit forclose chez Monsieur L. Elle revient dans la parole sous forme de débris, réelle pour ainsi dire. Les mots signifiant la mort apparaissent non comme signifiant la perte mais comme vidés du signifié, comme bouchant un trou.  Or, dans l'ordre symbolique, Lacan dit, « les vides sont aussi signifiants que les pleins; il semble bien (...),que ce soit la béance d'un vide qui constitue le premier pas de tout son mouvement dialectique. » [209] Qu'est-ce à dire sinon que la mort, la perte doit apparaître sous une forme d'absence, c'est-à-dire représentée sous une forme imaginaire?

 

« C'est bien ce qui explique, semble-t-il, l'insistance que met le schizophrène à réitérer ce pas.  En vain, puisque pour lui tout  le symbolique est réel. » [210]/[211] En vidant les signifiants de leur signifiés, le schizophrène, n’essaye-t-il pas de récupérer quelque chose de ce vide qu’il a, dans un temps jadis, comblé ?   Pouvons-nous voir dans l’effort de recouvrir le figure d’une épaisse couche de maquillage un effort de maintenir ce vide  en enserrant un objet (la couche), face à un image qui ressemble trop à ce qui est rejeté ou dénié dans l’histoire de Mlle M. ?  Que dire de l’Homme aux loups qui se compte dans une fenêtre où il n’apparaît pas ?  Continuons par l’examen du langage du sujet schizophrène pour mieux comprendre ces processus.

 

A ce point de notre exposé, nous croyons pouvoir qualifier le langage de Monsieur L. de morcelé.  Tachons d'éviter toute confusion qui pourrait résulter de la tentative de ramener cette expression en ligne directe à l'expérience du schizophrénique du corps morcelé bien que nous commencions à comprendre l'effet que pourrait avoir le langage sur le corps.

 

Continuons notre examen des phénomènes langagiers pour préciser ce que veut dire cette expression de Lacan « tout le symbolique est réel. »[212]  En effet nous rapprochons cette expression d'une autre, du même auteur qui dit : ce qui a été forclos du symbolique revient dans le réel.  Démontrons par ailleurs que la répétition d’un phonème, la réitération d’un pas, peut avoir d’autres effets.  Rappelons qu’une absence de distance dans l’entre deux corps mère-enfant  instaure un trouble au niveau de la distinction ou la différenciation des qualités de l’objet.  Il en découle un sentiment d’auto-engendrement, puisque l’autre se présente comme une qualité.

 

Il convient de reprendre cette étude au plus près des phénomènes hallucinatoires vécus par Monsieur L. au début de son délire.  Souvenons-nous que le sujet a entendu au début de son délire une voix qui lui disait : « Tu es né d'une vache à lait » et « Tu es un cheval ». Il n’apparaît pas que ces hallucinations ressemblent aux répétitions que nous avons étudiées précédemment. 

 

Comparons cette hallucination à un commentaire de la pensée ou automatisme où est exprimé l'impératif : « Va chier! Allez! ».  L'existence de cet impératif est une hypothèse que nous formulons pour le développement de notre thèse.  Cette interprétation ne semble pas provenir d'une « confusion de langues »[213] sachant que Monsieur L. se trouve normal après avoir déféqué et après les propos qu'il tient : « Je suis un déchet humain. »  Une partie de cette même succession de vocables se retrouve dans l'hallucination auditive et un néologisme y prend sans doute sa source : « Tu es un chial ».

 

Ce qui nous sert de pivot pour faire ce rapprochement est le phonème et signifiant -- sit venia verbo -- chi, qui apparaît dans les différentes hallucinations.  Egalement se répètent les phonèmes, que nous écrivons en français :  tu, é, va, a, et .

 

Dans cette séquence parlée, une coordination phonétique apparaît où tous les niveaux de la fonction signifiante sont dénudés.  Il y a  néanmoins une solidification de la séquence parlée.

 

Il peut paraître futile d'introduire ce que Clerambault a nommé les automatismes du langage pour étudier les phénomènes délirants de notre malade.  Outre la ressemblance homophone par laquelle nous justifions notre introduction à cette idée, nous pouvons nous demander quel intérêt il pourrait y avoir à étudier ces phénomènes.

 

Pourtant, il nous semble que nous pourrions y reconnaître une sorte de ressort du symbolique ou dernier boulon entre l'imaginaire et le symbolique.  Lacan dit « l'automaton,  c'est ce que pense vraiment par soi-même, sans lien à cet au-delà, l'ego, qui donne son sujet à la pensée » [214] Il explique le fonctionnement de ces automatismes, comme étant le seul moyen pour un malade de se rattacher à l'humanisation qu'il tend à perdre.  « Le sujet qui a franchi cette limite n'a plus la sécurité significative coutumière, sinon grâce à l'accompagnement par le perpétuel commentaire de ses gestes et actes, » où il peut se présentifier. [215]

 
Lieu de Métaphore

 

C'est en effet, dans ce maigre reste du langage que nous trouvons la base de ce qui ressemble à une métaphore délirante, c'est-à-dire un mécanisme par lequel le signifiant et le signifié se stabilisent.[216] Or nous comprenons d’après Lacan que pour le schizophrène « tout le symbolique est réel ». [217] Nous démontrerons qu'il y a ici une difficulté sémantique concernant l'utilisation du terme « métaphore » en tant que stabilisateur pour notre patient.  Pour Lacan la métaphore semble être l’expression symbolique d’un fonctionnement du registre imaginaire.  Un premier signifiant vient à la place d’un vide.

 

Par ailleurs, dans la paranoïa et certains autres délires dits partiels, Lacan définit la notion d'Un-Père qui peut subvenir à la place du Nom-du-Père comme métaphore délirante.[218] Le déclenchement de la psychose se produit quand le sujet fait appel au Nom-du-Père et n'obtient pas une réponse, puisque forclos il est exclu du registre symbolique.  Chez Schreber par exemple, c'est Dieu (Gott) lui-même qui subvient à cette place comme Un-père, fait avec les noms de la lignée réelle de Schreber; Gottfried, Gottlieb, Fürchtegott, etc.  C'est ce retour dans le réel d'une satisfaction pulsionnelle ou jouissance, constituée au lieu de l'Autre qui donne son expression à la paranoïa et se reconnaît dans les formes telles que l'érotomanie, la persécution, l'interprétation. Nous remarquons ici également la prévalence d’une homophonie qui ne fonctionne pas de la même façon que dans la schizophrénie. En effet, il concerne le nom du père en corrélation avec le phonème homophone : Gott.   Or cet homophone ne permet pas au sujet de s’inscrire en blanc tel que dans la névrose narcissique. Celui-ci s’est mis directement en série avec l’homophone-homonyme. Ainsi sont nés les hommes à l’image de Schreber. Remarquons le fait que naître de soi-même implique sa propre annulation. Pouvons-nous dire que c’est ainsi que ce vide est restauré chez le paranoïaque ?

 

Bien qu'il nous semble que Monsieur L. fasse une tentative de mise en place d'une métaphore de ce genre dans un premier temps en la personne de son beau-père, ce processus échoue.  Au début de son délire il disait : « J'aurais aimé être beau-père, une femme et des gosses... quand les gendarmes sont venus je me suis vu perdu. » Or ce beau-père a terminé sa vie déchu et écrasé par un camion, peut-être amenant ainsi la notion de beau trop près de l'idée de mort. Ainsi, comme précédemment, notre sujet opte pour une position peut-être moins « dangereuse » : «  Mieux vaut être atroce qu'être mort. »   Cependant on ne pouvons que mésestimer la place que tiennent pour ce sujet les signifiants concernant  l’Autre.

 

Nous ne pouvons qu’être surpris par le fait que le sujet tend à combler ce vide plutôt que de le re-établir. La manière utilisée par le schizophrène pour le re-créer serait très différente de celle que nous avons observée dans la névrose narcissique ou dans la paranoïa. Nous devons nous attendre à voir les conséquences également très différentes pour ce qui concerne l’image de soi.

 

Dans le domaine des phénomènes langagiers il nous semble qu'il y a quelque chose qui peut tenir lieu de métaphore chez ce patient schizophrène, à savoir le signifiant chi, que nous trouvons finalement en clair dans l'impératif ou automatisme : « Tu vas chier! Allez! »  En outre, nous remarquons que ce signifiant n'est peut-être pas sans rapport avec l'être de déchet de son beau-père, tout comme son père, qui n'existe pour lui que comme cadavre. Cependant, nous aurions tort de méconnaître la présence d'un faux-semblant à cet endroit car la jouissance ne s'inscrit pas au lieu de l'Autre mais sur le corps propre du sujet. 

 

C'est Freud, et Lacan par la suite, qui a fait ressortir la présence du corps propre dans le champ de l'imaginaire.  D'après Lacan : « Si quelque chose correspond chez l'homme à la fonction imaginaire telle qu'elle opère chez l'animal, c'est tout ce qui le rapporte d'une façon élective, mais toujours aussi peu saisissable que possible, à la forme générale de son corps où tel point est dit zone érogène.  Ce rapport, toujours à la limite du symbolique, seule l'expérience analytique a permis de le saisir dans ses derniers ressorts. »[219]

 

Ainsi le faux-semblant dont nous avons signalé la présence concerne ce rapport imaginaire au corps, à la limite du symbolique mais tout de même, au moins primitivement, imaginaire.  Il concerne également quelque chose qui fonctionne, apparemment comme lieu tenant, à la place d’une métaphore paternelle. Pouvons-nous dire que ce processus fait image ?  Chez l’Homme aux loups où nous observons un symptôme en rapport avec la défécation, il se passe quelque chose de similaire. Néanmoins nous soupçonnons que les processus en jeu sont différents.  Nous essaierons de comprendre en quoi.

 

 

Origines partagées

 

Freud ne manque pas de cerner les différents sens possibles de ce type de « symbole ».  Nous relevons à titre d'exemple -- qui n'est pas sans rapport avec notre sujet -- le passage suivant de l’Homme aux loups : « Le bol fécal, quand il excite au passage la muqueuse intestinale érogène, joue ainsi envers celle-ci le rôle d'un organe actif : il  se comporte à la façon du  pénis envers la muqueuse vaginale et est pour ainsi dire le précurseur de celui-ci, au stade cloacal.  L'abandon des fèces en faveur (par l'amour) d'une autre personne devient de son côté un prototype de la castration ; c'est la première fois que l’enfant renonce à une partie de son propre corps pour gagner la faveur d'une autre personne qu’il aime. De telle sorte que l'amour, par ailleurs narcissique, que chacun a pour son pénis, n’est pas sans recevoir une contribution  de l’érotisme anal.  Les fèces, l'enfant, le pénis, constituent ainsi une unité, un concept inconscient (...) le concept d’une petite chose pouvant être détachée du corps.  Par ces voies associatives peuvent se produire des déplacements et des renforcements de l'investissement libidinal, qui sont d’une grande importance pour la pathologie et que révèle l'analyse ».[220]

 

Ainsi Freud développe sa thèse du complexe de castration par le véhicule du symbole de l'objet anal comme quelque chose détachable du corps, symbolisme qui fonctionne par déplacement, c'est-à-dire par la métonymie.  Par ailleurs, nous notons que Freud formule la castration ici comme renoncement à la faveur d'une personne aimée, ce que nous traduisons d'après Lacan, par la présence de l'Autre. Or il ne semble pas que le signifiant fèces entre en jeu par sa reprise en tant que signifiant.   Il se retrouve comme ayant des significations diverses, par association. L’objet reste hétérogène à la chaîne signifiante malgré une apparente absence de distance parfois constatée entre le sujet et l’objet.

 

Cependant pour maintenir la rigueur de notre recherche nous n'entrons pas pour le moment dans la discussion du sens du signifiant relevé chez notre sujet mais continuerons notre analyse de celui-ci.

 

Remarquons que Freud semblait indiquer une voie structuraliste très intéressante pour nos propos dans « Au-delà du Principe du Plaisir » puis  dans « La Dénégation », où le corps propre fournit l'expérience qui véhiculera la formation des premiers signifiants.

 

Dans ce premier texte de 1920, Freud décrit le jeu des enfants, le fort-da.  Il décrit d'une part le renoncement pulsionnel procuré par le jeu, d'autre part la compulsion de répétition.

 

Il s'agit d'un jeu où l'enfant jette une bobine liée à une ficelle au-dessus de son lit répétant le phonème fort (parti(e) en français) et il tire ensuite la ficelle pour la faire réapparaître, en la saluant d'un da (voilà en français).  Tel était le jeu répété inlassablement lorsque l'enfant attendait le retour de sa mère.  L'interprétation que Freud donna fut celle-ci : « Le jeu était en rapport avec les importants résultats d'ordre culturel obtenus par l'enfant, avec le renoncement pulsionnel qu'il avait accompli (renoncement à la satisfaction de la pulsion) pour permettre le départ de sa mère sans manifester d'opposition.  Il se dédommageait pour ainsi dire en mettant lui-même en scène, avec les objets qu'il pouvait saisir, la même disparition-retour. »[221]

 

Il nous semble important de saisir ici exactement ce que l'enfant met en scène.  Par la production des phonèmes fort et puis da qu'est-ce que l'enfant symbolise ?

 

Retournons vers Lacan pour étudier son analyse de ce célèbre jeu.  Dans la répétition du jeu Freud cherchait à saisir le « vrai secret du ludique, à savoir la diversité plus radicale que constitue la répétition en elle-même. »[222]

 

Par exemple, l'exigence de l'enfant d'entendre toujours exactement le même conte: « signifie que la réalisation du signifiant ne pourra jamais être assez soigneuse dans sa mémorisation pour atteindre à désigner la primauté de la signifiance comme telle. »[223]

 

Lacan dit que l'effet de « maîtrise » sur l'effet de la disparition de la mère est « secondaire ».  Qu'auparavant l'enfant porte sa vigilance, non pas à la porte, mais au point où elle l'a abandonné au plus près de lui.  « La béance introduite par l'absence dessinée, et toujours ouverte, reste cause d'un tracé centrifuge où ce qui choit, ce n'est pas l'autre en tant que figure où se projette le sujet, mais cette bobine liée à lui-même par un fil qu'il retient  -- où s'exprime ce qui, de lui, se détache dans cette épreuve, l'automutilation à partir de quoi l'ordre de la signifiance va se mettre en perspective.  Car le jeu de la bobine est la réponse du sujet à ce que l'absence de la mère est venue à créer sur la frontière de son domaine (...) à savoir un fossé, autour de quoi il n'a plus qu'à faire le jeu de saut. »[224]

 

« Cette bobine, ce n'est pas la mère réduite à une petite boule (...)  c'est un petit quelque chose du sujet qui se détache tout en étant encore bien à lui, encore retenu.  C'est le lieu de dire, à l'imitation d'Aristote, que l'homme pense avec son objet.  C'est avec son objet que l'enfant saute les frontières de son domaine transformé en puits et qu'il commence l'incantation.  S'il est vrai que le signifiant est la première marque du sujet, comment ne pas reconnaître ici -- du seul fait que ce jeu s'accompagne d'une des premières oppositions à paraître -- que l'objet à quoi cette opposition s'applique en acte, la bobine, c'est là que nous devons désigner le sujet.  A cet objet, nous donnerons ultérieurement son nom d'algèbre lacanien -- le petit a. »[225]

 

Dans cette longue citation nous retenons plusieurs idées essentielles à notre étude :

(1)              L’impossibilité d'atteindre la primauté de la signifiance comme telle, même par la répétition de l'opération. Le petit enfant n’est pas dans la vocalisation du signifiant, il est, selon Lacan désigné par la bobine. C’est dire que la perte ne pourrait se représenter que par un vide. L’objet a en question reste innommable.[226]

(2)              La secondarité du phénomène de maîtrise pulsionnelle.

(3)              L’automutilation à partir de quoi l'ordre de la signifiance va se mettre en perspective, « comme cause d'une Spaltung [227] dans le sujet -- surmonté par le jeu alternatif, fort-da ». [228] Un objet de la pensée, phonème, mot, etc., se développent à partir d'une séparation avec un « objet » corporel mais toujours de forme symbolique. Nous voyons ici que Lacan donne des directions pour ce qui concerne l’opposition des phonèmes : fort et da.   Il s’agit pour lui d’une synchronisation  signifiante constituée à partir d’une simultanéité des perceptions.[229]

(4)              La répétition d’un vocable, forme tantôt continue, tantôt symbolique de cet objet corporel, signifiant la persistance sur la scène de l’objet et peut-être, par une manque de distance,  l’identification primitive ou la substitution à cet objet sur le mode nouveau (de contiguïté, d’unification, d’incorporation ou d’autre).

(5)              La recherche d’une cause de son désir, c’est-à-dire, la reconnaissance du fait qu’il y a eu effectivement une présence. Le désir vient d’un Autre du fait que les signifiants, Fort et Da viennent du dehors.

(6)              L'origine partagée du sujet et l'objet a, c'est-à-dire que le sujet se forme en se retranchant de l'Autre, ici non encore autre, mais la Chose[230], laissant en place un reste, l'objet a.

 

Le néologisme qui ne se trompe pas

 

Donc nous avons dans le jeu de fort-da un exemple où le sujet se met « lui-même en scène », se retranchant de l'Autre, laissant pour compte cet objet a.  Cette opération se répète jusqu'au Nom-du-Père ou un nouage, qui vient à la place de l'Autre pour accomplir la symbolisation, pour amener la castration pour ainsi dire, sur le plan du symbolique.  C'est dans la forclusion de cette métaphore que Lacan trouve la condition essentielle à la psychose.

 

« C'est le défaut du Nom-du-Père, dit Lacan, à cette place qui par le trou qu'il ouvre dans le signifié amorce la cascade des remaniements du signifiant d'où procède le désastre croissant de l'imaginaire, jusqu'à ce que le niveau soit atteint où signifiant et signifié se stabilisent dans la métaphore délirante. »[231]

 

Chez Monsieur L. une opposition du même type que dans le jeu fort-da se met en place via son propre corps.  Nous trouvons l'évidence du développement de cet objet de la pensée dans les phénomènes langagiers qui à première vue ne se réduisent ni à la répétition d'un vocable (où nous pouvons cerner la réitération du pas du mouvement dialectique dans l'ordre symbolique) ni à la découverte de sa signification.

 

Pourtant, la présence de ce signifiant dans les hallucinations premières, « tu es né d'une vache à lait » et le néologisme, « chiale » apparaît comme « ce qui ne trompe pas ».[232]

 

Frustré par le manque de sens obtenu de la part des patients schizophrènes en réponse à ses questions, Jung a décidé d’utiliser les néologismes du patient lui-même comme mots inducteurs pour essayer d’obtenir des associations qui devaient le conduire, selon sa théorie, à des complexes de tonalité affective forte responsables de la maladie.[233] Bien que les travaux de Jung soient fort intéressants sur la nature de ces complexes et leur systématisation, il est remarquable que ce soit la question de sens qui l’ait conduit vers cette recherche. 

 

Or Lacan dit qu'un néologisme se distingue au niveau de la signification par le fait qu'il est irréductible à toute autre signification.  Contrairement à la fonction signifiante chez le névrosé qui renvoie toujours à d'autres sens, la signification du néologisme ne renvoie à rien d'autre qu'à elle-même.[234] Bien que la fonction signifiante du psychotique diffère de cette fonction chez le névrosé, il nous semble important de souligner que cette différence concerne non seulement le  néologisme mais aussi la façon dont les autres signifiants fonctionnent.

 

Le schizophrène, à la différence du petit enfant, se retrouve dans l’objet, ou la bobine, aussi bien que dans la vocalisation. Ainsi une sorte de nomination est maintenue concernant ce qui aurait dû se perdre. La synchronisation  qui se met en jeu concerne le corps et ses objets. Chez le schizophrène, pouvons-nous dire que la simultanéité puis le synchronisation concerne ses objets qui sont pris, d’après Freud, comme des qualités ?  Nous commençons à comprendre quel rôle ces objets peuvent jouer dans la formation des néologismes.

 

 Nous  tenterons  de découvrir d’autres destins de ces objets chez le schizophrène, ainsi que le rôle du néologisme au-delà de cette arrêt de signification.

 

Pour ce qui concerne la signification du néologisme, « chiale » pour Monsieur L., elle peut être rapprochée de l'expression argotique « chialer » que le sujet  emploie.  Ainsi ce signifiant est présent à plusieurs niveaux dans les hallucinations du sujet.  Il se présente comme « le mot de l'énigme » comme « âme de la situation » dans le néologisme et comme une « ritournelle », « formule qui se répète, qui se réitère, qui se serine (...) ». [235]

 

« Ces deux formes, » dit Lacan, « la plus pleine et la plus vide, arrêtent la signification, c'est une sorte de plomb dans le filet, dans le réseau du discours du sujet.  Caractéristique structurale à quoi, dès l'abord clinique, nous reconnaissons la signature du délire. »[236]

 

Lacan se réfère, en l’occurrence, au délire paranoïaque où ces phénomènes apparaissent dans l'intuition délirante à la fois pleine de sens : dans le néologisme, et dans sa forme vide : les automatismes de la pensée.  Il nous semble que la signification délirante est bien soulignée chez Monsieur L. dans ces deux formes mais s'articule d'une façon différente de la paranoïa.

 

Stabilisation

 

Essayons de circonscrire ce que Lacan appelle le point de capiton pour expliquer la structure du discours chez notre malade, structure déterminante pour le développement de cette métaphore subjective et de comprendre la pertinence de la répétition d’un vocable, signifiant maître, pouvons nous dire,  chez le schizophrène.

 

Le point de capiton est un processus de nouage du signifiant au signifié dans une séquence parlée.  Cette association dit Lacan est « toujours fluide, toujours prêt(e) à se défaire ». [237] C'est le « point autour de quoi doit s'exercer toute analyse concrète du discours ».[238]

 

Le point de capiton est désigné par Lacan comme le constituant élémentaire de son « graphe de désir », l'élément « par quoi le signifiant arrête le glissement autrement indéfini de la signification ».[239] Autrement dit, le point de capiton est l'élément essentiel pour qu'un discours ait une signification.  Il se définit par deux axes langagiers, celui qui contient le réseau des signifiants, déterminé par la structure synchronique, et celui qui contient le réseau des signifiés, déterminé par la structure diachronique.

 

Ce second réseau réagit dans l'après-coup sur le premier, chaque terme étant anticipé dans la construction des autres, la signification ne s’arrête qu'avec son dernier terme.

 

Chez Schreber, Lacan donne un exemple où la fonction diachronique du discours est perturbée par le manque du mot.  Les phrases s'arrêtent, suspendues au moment où le mot plein qui leur donnerait sens manque encore, mais est impliqué.  C'est peut-être ce qui se passe quand notre sujet entend les injures.  Il se donnerait ainsi des réponses à des phrases laissées en suspens.

 

Or il nous semble que cette structure diachronique peut être bouleversée autrement.  Quand le réseau signifiant, contenu dans la structure synchronique se dégrade au point que chaque élément ne conserve pas son emploi exact d'être différent des autres, ce glissement de la signification ne s'arrête plus.  La fonction diachronique semble fonctionner de façon aléatoire parce qu'un certain nombre de ces points de capitons sautent tout au long de la séquence parlée.

 

Ce cas de figure semble correspondre à la difficulté de notre malade.  Il entend une hallucination auditive : « Tu es né d'une vache à lait » ou « Tu es une vache à lait » ou parfois « Tu es un cheval » qui se métamorphose et devient « Tu es un chial » avec un néologisme.  Pour le malade cette formule n'a pas du tout la même signification que la première.  Ici, il n'a plus du tout envie de soumettre des gens à « sa doctrine ».  Et la métamorphose ne s'arrête pas là.  L'automatisme d'un commentaire d'acte ordinaire ou alors impératif prend la place de cette hallucination pour devenir : « Va chier! Allez! » et peut-être même ce processus continue-t-il jusqu'au dernier mot de base, « chie » ou encore, reste-t-il le signifiant non-prononcé mais qui se résout dans l'acte ?[240]

 

Désormais il nous semble que le discours de notre sujet s'organise autour de ce signifiant « chi » avec ses connotations trans-signifiant, comme un point de capiton.  « C'est » dit Lacan, « le point de convergence qui permet de situer rétroactivement et prospectivement tout ce qui se passe dans le discours. »[241]

 

C'est par ce dernier signifiant où le glissement de significations possible s'arrête, que s'organise une sorte de métaphore subjective, si l'on peut l'appeler ainsi. Est-ce qu'il serait trop téméraire de dire que c'est par ce dernier terme que le sujet arrive à se distancer de ce réel du trou qui vient de cette béance laissée dans l'Autre par la perte non signifiée de l'objet a ?  En ce cas nous pourrions dire que la stabilisation emprunte chez ce patient la voie du réel plutôt que la voie du symbolique. Ou devons-nous dire qu’en empruntant une voie symbolique le sujet construit un « objet » qui tient lieu de « métaphore » ?   Par ailleurs la stabilisation en question ne concerne-t-elle que le capitonnage des phrases ? L’angoisse du sujet est toujours assez aigue quand il entend ces hallucinations.  

 

Métaphore ou something else

 

Pour éclaircir ces propos, cernons de plus près la notion de métaphore.  Selon Lacan, nous découvrons dans la structure synchronique de la phrase ce qui nous porte à l'origine.  « C'est la métaphore en tant qu'elle constitue l'attribution première, celle qui promulgue « chien faire miaou, le chat faire oua-oua », par quoi l'enfant d'un seul coup, en déconnectant la chose de son cri, élève le signe à la fonction du signifiant, et la réalité à la sophistique de la signification, et par le mépris de la vraisemblance, ouvre la diversité des objectivations à vérifier de la même chose. »[242]

 

 Cependant peut-on reconnaître dans l'équivalence entre ce phonème chi et l’occurrence de l'objet a une métaphore ? Nous avons remarqués que l’attribution dans l’Esquisse puis dans l’Interprétation des rêves était liée à la fonction qualitative. Quelle pourrait être la fonction de l’attribution sans l’utilisation de la notion de métaphore ? 

 

Précisons cette dernière remarque de Lacan.  Ce qu'il entend comme « attribution première » est pendant de la Bejahung, l'affirmation, que Freud a distinguée comme étant la condition première pour que la Verneinung, la dénégation, puisse avoir lieu. En fait la Bejahung est en quelque sorte, en opposition, selon Lacan, avec le Verwefung, la forclusion qu’il tient comme étant le processus par lequel un contenu est rejeté hors du domaine du symbolique de telle façon qu'il soit traité comme non arrivé.  Nous entrerons plus en détail sur ce point plus tard mais pour le moment soulignons que la métaphorisation n'est pas, comme nous pourrions la méconnaître, le simple fait de se servir des mots.  Là où le vide tient une place dans la structure synchronique chez le névrosé, et même chez le névrosé narcissique, chez le schizophrène, ce vide est comme comblé.

 

En effet le chien peut très bien être simplement un oua-oua et tenir une certaine place dans la chaîne verbale, se déplaçant par la voie de la métonymie.  Cependant est-ce que ce processus suffit pour faire le langage ?   

 

Nous répondrons en retournant au jeu de fort-da où « l'objet correspondant au représenté » sera pour la première fois « retrouvé ».[243] Nous reconnaîtrons dans ce jeu une métaphorisation, un début de langage symbolique,  dans la mesure où quelque chose de « perdu » est représenté comme « parti », la métaphore paternelle donnant sens à ce qui a été perdu.  Ce n'est pas en tant que phonème que le fort (parti) peut nommer ce qui est absent, c'est en tant qu'il devient symbole de ce qui est désormais perdu, l'idée de da (voilà) étant déjà comprise en ce qui est parti.  L’objet a cause des effets mais il n’est jamais retrouvé. Il n’entre pas même pas, a priori, dans la série signifiant chez le névrosé.

 

Avant ce moment, l'attribution concerne comme le dit Freud, une qualité; si la chose est « bonne » ou « mauvaise » et si l'on peut s'identifier à elle, dans le processus d'unification, comme l'enfant s'identifie lui-même avec la bobine avant de donner un sens à son jeu, c'est-à-dire en se substituant à cet objet.[244] Cela concerne quelque chose de l’ordre de ce manque de distance que nous avons remarqué et déjà une corrélation entre la perception et le représentant pulsionnelle.

 

 Or ce qui est réponse hallucinatoire du besoin, n’est pas le surgissement d’un délire qui viendrait à la place de l’objet du besoin. Ce qui surgit comme le dit Freud, est l’image mnésique de la perception dans la mémoire :  « l’enfant qui a faim criera désespérément ou bien s’agitera. Mais la situation demeure la même ; car l’excitation provenant d’un besoin intérieur répond à une action continue et non à un heurt momentané. Il ne peut y avoir changement que quand, d’une façon ou d’une autre (dans le cas de l’enfant par suite d’une intervention étrangère), l’on acquiert l’expérience de la satisfaction qui met fin à l’excitation interne. Un élément essentiel de cette expérience, c’est l’apparition d’une certaine perception (l’aliment dans l’exemple choisi) dont l’image mnésique restera associée avec la trace mémorielle de l’excitation du besoin. Dès que le besoin se re-présentera, il y aura, grâce à la relation établie, déclenchement d’une impulsion (Regung)[245] psychique qui investira à nouveau l’image mnésique de cette perception dans la mémoire, et provoquera à nouveau la perception elle-même, c’est-à-dire reconstituera la situation de la première satisfaction. C’est ce mouvement que nous appelons désir ; la réapparition de la perception est l’accomplissement du désir et l’investissement total de la perception depuis l’excitation du besoin est le chemin le plus court vers l’accomplissement du désir. »[246]

 

Qu’est-ce à dire sinon que l’image mnésique se situe dans un ensemble déjà structuré dans un rapport à l’Autre et par le langage ? Nous reconnaîtrons dans ce terme : Regung, la corrélation par simultanéité de l’excitation de la trace mémorielle avec, cette fois-ci, la perception dans le mémoire de l’objet. Nous avons remarqué d’après Freud qu’il s’agit de perceptions qui sont connues par la conscience à partir d’associations verbales. Si l’enfant parvient à se substituer à cet objet, quelle est la part d’investissement narcissique du moi, malgré tout désormais marquée par le signifiant, et quel est la part qui concerne l’investissement de l’objet libidinal ? A quel registre appartient cet objet ou image d’objet ? Participe-t-il à quelque chose que nous puissions appeler  métaphore  et par là fait entrer en jeu l’imaginaire ?

 

 

Image trouée

 

Les mots sont soumis

 

Bien que dans la schizophrénie les mots soient soumis à l'élaboration par des processus psychiques primaires, Freud dit que ce processus diffère du rêve où les représentations de choses sont subordonnées à ce mécanisme.  Ainsi dans la schizophrénie la circulation libre entre les investissements de mots du système préconscient (Pcs) et les investissements de choses du système inconscient (Inc) est coupée, ce qui diffère du travail du rêve où cette circulation reste non-entravée.[247]

 

Freud précise, dans la schizophrénie : « C'est la prédominance de la relation de mot sur la relation de chose.  Entre l'expression d'un comédon et une éjaculation du pénis, il n'existe qu'une bien mince analogie quant à la chose; elle est encore plus mince entre les innombrables pores à la surface de la peau et le vagin; mais dans le premier cas, de tous les deux quelque chose jaillit, et pour le second, la formule cynique : un trou est un trou, est valable mot à mot.  C'est l'identité de l'expression verbale et non la similitude des choses désignées qui a commandé la substitution.  C'est là où les deux éléments -- mot et chose -- ne se recouvrent pas que la formation de substitut schizophrénique s'écarte de celle des névroses de transfert ». [248]

 

Dans l'exemple clinique de Freud, le malade en question, « joue son complexe de castration tout entier au niveau de sa peau. » [249] Chez Monsieur L., il en va de même.  Dans sa question : « Est-ce que j'ai des trous dans le visage ? »,  nous observons le résultat de cette « identité d'expression verbale » où les pores de sa peau semblent être équivalent au vagin.  Il réagit de façon significative contre cette formulation en refusant par exemple, d'utiliser les lotions proposées pour sa peau sous prétexte qu'on le prendrait pour une femme.  Par ailleurs, il demande : « Est-ce que j'ai une tête de pédale? », formation réactionnelle semble-t-il, employant une appellation courante de l'homosexualité.

 

 

Le rêve n’est pas délirant

 

Chez l’Homme aux loups et chez Mlle M. le problème du complexe de castration au niveau de la peau paraît être également évident. Or il nous semble qu’il devrait y avoir des différences entre les psychoses et les névroses narcissiques à ce niveau également. Ces phénomènes n'apparaissent pas isolément.  Ils sont complexes.  Nous remarquons que les comparaisons entre le rêve et la psychose sont fréquentes dans l’œuvre de Freud.  Celui-ci modifie peu à peu cette conception.  Il précise dans « Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualité », que dans la paranoïa, le rêve peut être séparé du délire et montrer le contenu refoulé concernant l'homosexualité ou encore, le paranoïaque peut critiquer son délire dans son rêve.  Freud conclut que le rêve n'est ni hystérique, ni obsessionnel, ni paranoïaque mais « une forme de pensée, une métamorphose de la matière préconsciente de la pensée par le travail du rêve et ses conditions ».[250]

 

Donc, selon Freud, la structure du rêve est différente de celle du délire.  L'inconscient semble être chez le schizophrène comme non-déformé, comme coupé du préconscient, mais en rêve qu'en est-il ?  Sans cette dernière réflexion de Freud au sujet des pensées du rêve nous trouverions que notre malade soulève un paradoxe métapsychologique. En particulier, son récit du rêve n'apparaît pas être schizophrénique, en tout cas les mots ne reçoivent pas la même signification.

 

Ainsi il lui est apparu en rêve la même idée délirante que la veille mais avec une consonance tout autre où apparemment les pensées inconscientes n'étaient plus coupées des pensées préconscientes.  Il disait : « J'ai rêvé que j'étais repoussé du visage, » au lieu de dire : « J'ai le visage repoussé », comme ses propos courants qu'il tient quand il parle de ses expériences auprès des autres : « J'ai le visage dévisagé ».  Être repoussé du visage pourrait être une expression de la pensée inconsciente, être repoussant. Cependant il n'a jamais employé cette dernière formulation.  Cette pensée inconsciente ne semble donc pas être différente du refoulé d'un névrosé où il y a la présence de l’Autre.  

 

Ce rapprochement de récit ne ressoude pas cependant la question de la comparaison de structure entre le délire et le rêve ainsi que le fonctionnement de ceux-ci. Il ne différencie pas la psychose de la névrose narcissique non plus. Remarquons que certains des traits que nous avons soulignés chez l’Homme aux loups concernaient la place vide où il se comptait à partir de son rêve. Nous manquons d’information pour savoir si Monsieur L. se voit en rêve ou non. Nous ne savons pas non plus si les remarques qu’il nous avait données concernaient des sensations ou des images. Nous savons que ce rêve était angoissant pour lui, mais il ne semblait pas aussi angoissé par ce rêve que par son image en miroir.  Ce rêve contient néanmoins le récit d’un corps morcelé.   Ce qui est repoussé en rêve concerne quelque chose de son être profond qu’il cherche à éloigner, là, à l’endroit où l’Homme aux loups se compte, mais ne se figure pas.

 

 

 

 
Le rêve est un corps morcelé

 

Le corps morcelé, nous dit Lacan « se montre régulièrement dans les rêves, quand la motion de l'analyse touche à un certain niveau de désintégration agressive de l'individu.  « Il apparaît alors sous la forme de membres disjoints et de ces organes figurés en exscopie qui s’aillent et s'arment pour les persécutions intestines, qu'à jamais a fixées par la peinture le visionnaire Jérôme Bosch, (...) »[251]

 

Ainsi nous pourrions croire que dans la régression formelle du rêve, les représentations de mots se trouvent imagées un peu comme notre sujet les figure : « Je me suis mis dans une formidable colère et après il y a eu la métamorphose. »  Le récit du rêve semble fonctionner comme la métaphore délirante chez le psychotique.  Il structure l’image, mais le travail du rêve et le délire demeurent différents.  Le travail du rêve, au moins le cauchemar, ressemble plus à ce qui se passe chez le névrosé narcissique.

 

 À la place du trou, et à partir des restes verbaux surgit un cadre : une fenêtre ou le corps de l’Autre, et l’image : loup ou visage repoussé, par exemple. Les signifiants du cadre, aussi homophones qu’ils puissent être, restent hétérogènes à l’objet a. Un vide s’instaure à la place du signifiant qui s’articule à cet objet a. L’Homme aux loups se compte, mais il ne se figure pas. Ou alors, devons-nous dire que dès qu’il se figure, il se réveille ? Nous aurons à revenir à ces images de rêve.

 

Avant le stade du miroir, la prématurité congénitale de l'enfant, en comparaison aux animaux, sera responsable d'un stade constitué sur « la base d’un proprioceptivité que donne le corps comme morcelé » (...).[252] Cette expérience du corps morcelé est mise à l'épreuve dans le stade du miroir dont la fonction est la neutralisation de cette sensation angoissante de morcellement  par « l'assomption » de cette image comme unité, propre au sujet.

 

Le leurre orthopédique

 

Lacan formulera sa première communication du Stade du miroir en 1938 dans l'Encyclopédie française dans un article commandé par Henri Wallon.  Rappelons les termes de cet écrit.  Il y sera question des « complexes familiaux », expression associée le plus souvent avec Jung mais reprise par Lacan dans son sens freudien, c'est-à-dire comme cause d'effets psychiques.  Ici, chaque stade du moi marquera un temps de genèse dans l'organisation du sujet et sera corrélatif à un stade d'objet.  Le stade du miroir, lui-même, répond au déclin du sevrage entre six et dix-huit mois et fait partie du complexe de l'intrusion ou complexe fraternel. C'est la reconnaissance par l'enfant de son image dans le miroir et il sera le moment fondateur du « je ». 

 

« Le stade du miroir est un drame, » dit Lacan, dans une formulation ultérieure, « dont la poussée interne se précipite de l'insuffisance à l'anticipation et qui pour le sujet, pris au leurre de l'identification spatiale, machine des fantasmes qui se succèdent d'une image morcelée du corps à une forme que nous appellerons orthopédique de sa totalité... »[253]

 

Sur le schéma du bouquet renversé (fig. 2)[254], nous le reconnaissons a au niveau des fleurs.  « L'analyse contemporaine », remarque Lacan, « plus spécialement, lie la maturation de ce progrès (libidinal) à quelque chose qu'elle désigne comme relation d'objet, et c'est ce dont nous soulignons la fonction guide, en la représentant par les fleurs a de notre modèle, soit par les objets même où s'appuie l’accommodation qui permet au sujet d’apercevoir l'image i(a). »[255] « Les morceaux du corps originel sont ou non pris, saisis où i(a) a l'occasion de se constituer. »

 

Ainsi en a nous trouvons une fonction d'appui qui au niveau du stade du miroir permettra au sujet d'amorcer le processus par lequel il trouvera une unité.  Figurons cet appui par la bobine, c'est-à-dire comme support qui va et vient dans le champ perceptif du sujet et sera en l’occurrence, le sujet lui-même ou les parties de son corps et même sa voix et celui de l’Autre devant le miroir, avant de se reconnaître dans une gestalt.

 

De l’objet a

 

Or Lacan nous souligne d'emblée les difficultés avec un modèle de ce type pour l'image d'a : D’une part, « le peu de naturel qui est impliqué dans la prise d'une encolure, l'imaginaire de surcroît, sur des éléments, les tiges, dont le faisceau, tout à fait indéterminé dans son lien, ne l'est pas moins dans sa diversité »[256], et d'autre part, ce modèle n'éclaire pas plus la position de l'objet a . « Car d'imager un jeu d'image, il ne saurait décrire la fonction que cet objet reçoit du symbolique. »[257]

 

Nous avons tenté de démontrer la manière dont l'objet a s'articule dans le symbolique, bien que de façon circonscrite, ne prenant en compte que la partie la plus évidente dans cette diversité d'objets partiels. Pour faciliter notre étude nous n'avons que peu développé la notion du rôle de l'Autre dans le développement du symbolique.  Notons que Lacan pointe que l'objet a est l'objet du désir dès qu'il fonctionne.  « Ceci veut dire qu'objet partiel il n'est pas seulement partie, ou pièce détachée, du dispositif imaginant ici le corps, mais élément de la structure dès l'origine, et si l'on peut dire dans la donne de la partie qui se joue.  En tant que sélectionné dans les appendices du corps comme indice du désir, il est déjà l'exposant d'une fonction, qui le sublime avant même qu'il l'exerce, celle de l'index levé vers une absence dont l'est-ce n'a rien à dire, sinon qu'elle est de là où ça parle. »[258]

 

En effet nous ne trouvons pas de difficulté à reconnaître dans l'objet a, cet élément qui structure Monsieur L. par sa substitution à celui-ci, même s'il lui reste toujours comme attaché par une ficelle.  Mentionnons également que la thèse développée par Winnicot concernant « l'objet transitionnel » nous paraît pertinente à cet égard.  Cependant nous n'avons que peu progressé dans la compréhension du rôle de l'image spéculaire, qui « au seuil du visible » peut jouer dans le rapport de notre sujet à son image.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du regard

 

Puisque le mot dysmorphophobie veut dire littéralement « phobie » de sa propre morphologie, l'on peut considérer son corps comme d'autres objets phobiques et ainsi prendre en compte le regard.[259]

 

Selon Lacan, « l'image spéculaire semble être le seuil du monde visible, si nous nous fions à la disposition en miroir que présente dans l'hallucination et dans le rêve l'imago du corps propre, qu'il s'agisse de ses traits individuels, voire de ses infirmités ou de ses projections objectales, ou si nous remarquons le rôle de l'appareil du miroir dans l'apparition du double où se manifestent des réalités psychiques, d'ailleurs hétérogènes. »[260]

 

Le regard en question semble se rapporter à cette image dont Lacan a fait usage : le paralytique et l'aveugle.  « La moitié subjective d'avant l'expérience du miroir, c'est le paralytique, qui ne peut pas se mouvoir seul si ce n'est de façon incoordonnée et maladroite.  Ce qui le maîtrise, c'est l'image de moi, qui est aveugle, et qui le porte ...  Et le paralytique, à partir duquel se construit cette perspective, ne peut s'identifier à son unité que dans la fascination, dans l'immobilité fondamentale par quoi il vient correspondre au regard sous lequel il est pris, le regard aveugle. »[261]  Ainsi Lacan conçoit la subjectivité au niveau du moi.  Le moi, à ce niveau, est un objet qui porte et maîtrise le sujet.  Cette fascination, selon Lacan, est essentielle au phénomène de constitution du moi.

 

Catatonie de l’image

 

Il nous semble que cette fascination ressemble à la réitération du pas, le relancement de la bobine, la répétition d'un phonème, que nous avons examinée par ailleurs.  En effet, c'est une sorte de blocage, plutôt dans une opposition de terreur que de complaisance, et plutôt dissymétrique.  Dans la rencontre avec le miroir, il y a une rencontre avec l'objet comme impossible, comme en attente.

 

C'est en premier lieu par la fascination et la rencontre avec un objet comme impossible que nous fixions un parallèle entre le fonctionnement de Monsieur L. et l’Homme aux loups, où déjà, le dessin que celui-ci fait de son rêve nous amène à focaliser notre intérêt sur le regard. 

 

D'emblée nous notons l'immobilité de l'image, le regard des loups et les limites de la scène. « L'unique action dans le rêve était celle de la fenêtre qui s'ouvre car les loups étaient assis, tout à fait calmes, sans le moindre mouvement sur les branches de l'arbre, à droite et à gauche du tronc et me regardaient.  Ils semblaient avoir dirigé toute leur attention sur moi. »[262]

 

Cette « catatonie de l'image »[263] dans le rêve et le dessin est une bonne indication du réel tel que nous l'avons présenté, d'après Lacan, sous la forme de l'objet a.  Il y a cette même immobilité d'image dans la scène du miroir chez Monsieur L. 

 

Or Lacan définit le réel à partir d'un impossible : "l'affirmation dite universelle, universelle positive, n'a pas de sens que de définition du réel à partir de l'impossible.  Il est impossible qu'un être animé n'ait pas un phallus (propos d'Hans), ce qui (...) pose la logique dans cette fonction essentiellement précaire de condamner le réel à trébucher éternellement dans l'impossible ».[264]

 

C'est-à-dire pour ne pas « trébucher éternellement » sur le réel, il faut bien l'affirmer, même dans ce qu'il y a d'impossible, là où on s'y heurte.  La dénégation est cet effort à prendre en compte ce réel inassimilable en le dotant d'une métaphore qui le dénie tout en l'affirmant.

Coupé du symbolique

 

C'est l'absence de cette affirmation, la Bejahung, dont Freud, puis Lacan ont dit qu'elle coupait court à toute manifestation symbolique de la castration chez l’Homme aux loups. [265]

 

 En se référant toujours à l’Homme aux loups d'après « La Dénégation », Lacan dit « le sujet n'éprouvera pas un sentiment moins convaincant à se heurter au symbole qu'il a à l'origine retranché de sa Bejahung.  Car ce symbole ne rentre pas pour autant dans l'imaginaire. Il constitue, nous dit Freud, ce qui proprement n'existe pas; et c'est comme tel qu'il ek-siste, car rien n'existe que sur un fond supposé d'absence. Rien n'existe qu'en tant qu'il n'existe pas. »[266]

 

C'est en effet la Bejahung, l'affirmation qui se pose comme constituant du jugement d'attribution qui est lui-même la condition préalable au jugement d'existence.  Néanmoins, ce n'est pas en tant que rejeté que ce symbole soit pour autant évacué durablement de l'être.  Reprenons cette discussion dans l’œuvre de Freud, où, sur ce point, il tient ces propos : « Un refoulement est quelque chose d'autre qu'un rejet. »[267] La castration « simplement rejetée », « ce en quoi le jugement sur la réalité de celle-ci ne faisait pas encore question, était certainement encore et toujours susceptible d'être activé. »[268]  Et Freud démontre comment ce contenu rejeté est activé et revient dans le réel avec l'exemple de l'hallucination du doigt coupé de l’Homme aux loups.

 

C'est ce même rapport à la castration qui semble surgir dans un délire « à forme hypochondriaque » chez ce dernier.[269] Ruth Mack-Brunswick, son deuxième analyste, écrit : « Il était absolument désespéré.  On lui avait dit que l'on ne pouvait rien faire à son nez parce que ce nez était en réalité en parfait état : alors il ne pouvait plus continuer à vivre dans cet état de mutilation irréparable.  Il exprimait ainsi à nouveau la plainte qui était revenue au cours de toutes ses maladies antérieures : enfant, quand il souillait ses culottes et se croyait atteint de dysenterie; jeune homme, quand il eut contracté la gonorrhée ; enfin dans un si grand nombre de situations ultérieures de son analyse chez Freud.  Cette plainte, qui contenait le noyau de son identification pathologique à la mère, était : Je ne puis continuer à vivre ainsi (so kann ich nicht mehr leben).  Le « voile » de sa maladie antérieure l'enveloppait complètement.  Il négligeait sa vie et son travail quotidien, absorbé qu'il était, à l'exclusion de toute autre chose, par l'état de son nez.  Dans la rue, il se regardait dans toutes les devantures ; il avait un petit miroir de poche qu'il sortait pour se regarder toutes les cinq minutes.  Il se poudrait le nez, l'instant d'après il commençait à s'inspecter de près, enlevant la poudre.  Puis il examinait les pores, pour voir s'ils s'élargissaient, pour saisir en quelque sorte le trou en cours de croissance et de développement.  Alors il se repoudrait le nez, rentrait le miroir et l'instant d'après recommençait.  Sa vie était concentrée dans le petit miroir qu'il portait dans sa poche et son sort dépendait de ce que celui-ci lui révélait ou de ce qu'il allait lui découvrir. »[270]

 

De ce texte de R. M.Brunswick concernant l’Homme aux loups, nous relevons plusieurs points analogiques aux phénomènes de notre patient :

 

(1)  Le rapport du sujet au signifiant.  C'est-à-dire non seulement sa plainte y revient, mais elle revient toujours sous la même forme et avec les mêmes mots. Cette plainte est en lien étroit avec l’identification à la mère. Pouvons-nous toujours parler d’une absence de distance ?  Par ailleurs, nous signalons l’intéressant travail de Nicolas Abraham et Maria Torok, Cryptomanie, le Verbier de l’Homme aux loups. [271] Selon ces auteurs, un mot imprononçable, polysémique, lié à l’histoire de l’Homme aux loups, énonçant par le même phonétisme plusieurs significations à la fois----un cryptonyme, contiendrait le secret de ses symptômes. [272]

 

(2)  La réapparition du « voile » chez l’Homme aux loups qui nous intéresse pour de nombreuses raisons que nous verrons plus loin.  Freud nous le décrit : « Sa plainte principale était que le monde était pour lui enveloppé dans un voile ou qu'il était séparé du monde par un voile.  Ce voile ne se déchirait qu'à ce seul moment où, lors du lavement, le contenu de l'intestin quittait l'intestin -- et il se sentait alors ainsi de nouveau bien portant et normal ».[273]

 

(3)  La problématique de miroir, de fascination, de sidération, de répétition et d’opposition (pour ne pas dire dialectique).  Hors cette fascination ou sidération qui nous apparaît comme blocage devant un impossible, nous avons noté chez l'un et l'autre de ces malades la répétition, le relancement que nous rapportons à une opposition qui procède à toute symbolisation.  

 

Sur ce dernier point, nous remarquerons que nous avons observé un phénomène apparenté chez un jeune autiste où l'enfant semblait regarder la ligne de contour que les objets faisaient avec l'espace, en basculant sa tête machinalement d'un côté à l'autre répétant l'opposition : espace-coupure.  Peut-être saisissait-il déjà à ce niveau quelque chose de la fonction du cadre au sujet de laquelle, Lacan dit,  « si le cadre existe, c'est parce que l'espace est réel. »[274]  

 

Quoi qu’il en soit, ce moment de va-et-vient devant le miroir qualifié de narcissique chez l’Homme aux loups ou chez Mlle M. apparaît comme profondément « auto-érotique » chez Monsieur L.[275]

 

Recherche de complétude

 

En effet celui-ci semble rechercher l'expérience du miroir pour vérifier une complétude, comme lui-même peut compléter l'Autre (pas encore Autre) dans un rapport plutôt métonymique.  C'est dans le miroir où il croit pouvoir trouver sa vraie place, annihilant ainsi l'altérité d'une opposition.  Dès qu'il quitte le miroir, il sera comme guetté par ce membre fantôme qu'il croit retrouver dans le miroir.

 

Serge Leclaire dans son article intitulé : « À propos de l'épisode psychotique que présenta l’Homme aux loups », développe plus en détail le concept primitif symbolique de cette « petite chose pouvant être détachée du corps » que nous avons souligné par ailleurs.

 

Il nous dit : « Si ce rejet (le bol fécal) est en effet symbolique, c'est dans la mesure où il représente l'expérience d'une sorte de bipartition d'enfantement auto-érotique et non point (comme cela peut le devenir secondairement dans certaines circonstances) comme une médiation.[276]

 

« Cette distinction nous paraît cependant capitale car c'est à son niveau, (...) que nous pouvons reconnaître le prototype expérimental de l'altérité profondément narcissique, duelle, purement imaginaire (...) née d'une expérience de création autogène sur le mode d'une bipartition, qui aboutit au concept de l'autre comme partie de soi-même, et d'autre part, l'altérité tierce, primitivement symbolique, dont le modèle est l'image, hautement symbolique du pénis. »[277]

 

Cette « altérité imaginaire » est la conséquence de ce que Freud  souligne comme étant la plus primordiale chez l'être vivant, c'est-à-dire une opposition qui sera formalisée dès la première métaphore mais qui existe comme primitivement symbolique dans cette production dérisoire de ce tiers objet narcissique.

 

Ainsi si « cet autre, partie de soi, restera fondamentalement ce qu'il est, le mauvais même »[278] c'est parce qu'il y a quelque chose dans cette expérience telle qu'elle se présente chez Monsieur L. comme tentative d'expulser, un Ausstossung primitif qui ne sera pas métaphorisé. Cette expulsion n’est pas métaphorisée chez le sujet schizophrène dans le sens que l’objet a dont les fèces n’est qu’une occurrence n’est pas perdu mais maintenu sous une forme devenue homogène d’abord dans une forme de contiguïté de la Chose   et après dans la chaîne signifiante, ou la contiguïté du mot. « Le moi-plaisir originel », dit Freud, « veut s'introjecter tout le bon et jeter hors lui tout le mauvais.  Le mauvais, l'étranger au moi, ce qui se trouve au-dehors est pour lui tout d'abord identique. »[279]

 

« L'éternel retour du même  » se présente ainsi comme éternel retour du même réel, dans cet acte où le sujet trouve sa certitude.  « Le niveau anal est le lieu de la métaphore », dit Lacan.[280] Cependant ici il nous semble que nous ne parlons pas encore d'une métaphore mais d'objet de substitution ou, à la limite, objet d'une identification primitive, et en tous les cas un faux-semblant du sujet. Rappelons également le lien entre le sensoriel et l’empreinte et remarquons que dans la recherche de complétude il y a comme une tentative de recréer un objet à partir d’un reste sensoriel acoustique.

 

 Chez l’Homme aux loups, ce qui a été perdu, ne serait pas métaphorisé non plus, semble-t-il, si nous considérions qu’il y a une équivalence entre la notion lacanienne de forclusion de la métaphore paternelle et rejet de castration freudien.  La soutenance de cette hypothèse nous conduirait à considérer l’Homme aux loups comme psychotique Or ce point de vue n’est soutenu ni par Freud ni par Lacan. Par ailleurs, nous avons noté que ce qui fonctionne tout au moins comme métaphore subjective chez Monsieur L. est équivalent à cette occurrence de l’objet a. Or chez l’Homme aux loups et chez Mlle M. qu’est-ce qui se passe-t-il ?

 

Nous avons remarqué une forme de contiguïté de mot, de métonymie dans le langage concernant l’histoire de Mlle M.. D’après Nicolas Abraham et Maria Torok, ce même type de métonymie[281] annonçant l’histoire de l’Homme aux loups se retrouve sous une forme polysémique puisque l’Homme aux loups parlait plusieurs langues. Nous avons trouvé un rapport commémoratif lié à cette mise en série et un rapport de cadre où le sujet névrosé narcissique s’inscrit dans le tableau en blanc.  Pour ce qui concerne la contiguïté de la Chose, qu’en est-il ?   Chez l’Homme aux loups et chez Mlle M., la question de l’identification à la mère est à souligner. Nous avons remarqué cette absence de distance avec la mère. Cependant, il semblerait que l’inscription de chacun de ces sujets en blanc maintienne en quelque sorte un vide qui empêche la métonymie de la Chose.

 

Il semble qu’il y a une difficulté à continuer à utiliser l’expression « absence de distance entre le corps de l’enfant et le corps de la mère ». En effet, nous aimerions distinguer non seulement les différentes formes de contiguïté ou de métonymie mais aussi différencier la métonymie de la Chose avec l’absence de distance avec la mère. Par exemple, la répétition de la phrase prononcée en premier lieu par la mère de l’Homme aux loups : « Je ne puis continuer à vivre ainsi (so kann ich nicht mehr leben »), si elle réserve une identification étroite avec la mère, ne constituera pas, à notre sens, la métonymie de la Chose. L’utilisation d’une métonymie des mots par l’homophonie se retrouve dans la chaîne parlée telle que nous avons observé chez les névroses narcissiques aussi bien que chez les psychotiques telles les répétitions des signifiants : age, n’est pas en soit ce que nous appelons la métonymie de la Chose, bien qu’elle souligne le rapport du sujet à son histoire. Ce rapport demeure inconscient.

 

 La métonymie de la Chose concerne ce rapport où le sujet schizophrène se réduit à être l’objet de la mère. L’utilisation du mot linguistique pour cerner ce rapport semble appropriée parce que l’objet en question, le petit enfant, s’identifie dans les mots de la personne qui s’occupe de lui lors des premiers soins. Pour le sujet schizophrène, le mot est la chose et c’est ce mot de la mère auquel il se réduit. Ce mot concerne semble-t-il une bipartition, d’après Serge Leclaire, mais seulement, pour Monsieur L., dans l’acte. 

 

Bipartition voilée

 

Le voile de l’Homme aux loups  nous semble fournir une articulation encore plus étroite entre cette bipartition première, en l’occurrence les enveloppes qui accompagnent l'enfant à la naissance, et le regard.

 

En effet, le voile apparaît pour la première fois, après que l’Homme aux loups, jeune homme, contracte la gonorrhée.  Ce « voile » que Freud reconnaît bien comme étant lié à cette atteinte narcissique sera rattaché au « voile de naissance », par association, à l'expression de l’Homme aux loups « coiffe de bonheur » et désigné par Freud comme étant une expression d'un désir de rencontrer le père lors du coït. [282]

 

Or nous reconnaissons dans ce « voile » un autre exemple de retour du réel.  Réel visible où nous pourrions figurer ce voile comme reste qui s'est accolé au moment de la « schize de l’œil et du regard », c'est-à-dire, au moment où, de la pulsion scopique, émerge le regard comme objet de désir, comme objet cause de désir, objet a.  Nous utilisons volontairement ce terme « figurer ».  Il concerne avant tout, chez ces sujets, un signifiant forclos qui fera retour dans le réel.  Lacan dit, « Au niveau de la dimension scopique, en tant que la pulsion y joue, se retrouve la même fonction de l'objet a qui est repérable dans toutes les autres dimensions. »[283]

 

« L'objet a est quelque chose dont le sujet, pour se constituer, s'est séparé comme organe.  Ça vaut comme symbole du manque, c'est-à-dire du phallus, non pas en tant que tel, mais en tant qu'il fait manque.  Il faut donc que ça soit un objet -- premièrement, séparable -- deuxièmement, ayant quelque rapport avec le manque. »[284]Autrement dit, pour que l'objet a fonctionne comme symbole du manque, comme objet du désir, il faut qu'il soit séparable, et non séparé.

 

Et Lacan continue dans ce même texte, « au niveau scopique, nous ne sommes plus au niveau de la demande, mais du désir, du désir à l'Autre.  Il en est de même au niveau de la pulsion invoquante, qui est la plus proche de l'expérience de l'inconscient. »[285] Le regard appellerait déjà à lui le désir, semble-t-il, avant que cet objet soit séparé du sujet.

 

Bien que Abraham et Torok soient allés assez loin dans l’analyse du « matériel » langagier de l’Homme aux loups, il ne semble pas qu’ils aient accordé beaucoup d’attention à ce voile. Il nous semble pourtant que nous nous retrouvons ici devant un phénomène qui ressemble fort à celui que nous avons décrit chez Monsieur L., c'est-à-dire le sentiment qu'a chacun de ces sujets d'être « normal » ou de se voir normalement, après avoir déféqué.  Ce phénomène  nous amène à parler plus en détail de l'objet du regard, et de comprendre la castration à ce niveau.  Nous écartons pour le moment les considérations concernant la structure de l’Homme aux loups. 

 

 

 

Objet témoin

 

Remarquons aussi la connexion entre le stade anal et la scoptophilie qui devient apparente au cours du « complexe d'intrusion ».[286]  Pourtant chez l’Homme aux loups et chez Monsieur L. il semblerait que cette articulation apparaisse dès qu'il y a cette bipartition des enveloppes embryonnaires à la naissance où, chez ce premier sujet nous trouvons une image de ce reste.

 

Ce reste sera l'objet, témoin d'une perte que Lacan appelle l'objet a.  C'est un reste au sens de la division, cet autre dernier est « la preuve et la seule garantie en fin de compte de l'altérité de l'Autre ».[287]  Il correspond à une petite réserve libidinale non-investie au niveau de l'image spéculaire qui reste cependant investie profondément, irréductible selon Lacan, au niveau du corps propre, au niveau du narcissisme primaire, au niveau de l'auto-érotisme.[288]

 

Le phallus est associé à ce reste sous une forme négative que Lacan note (-j) pour indiquer son rapport à l'image comme « coupé de l'image spéculaire »[289] et donc non représenté au niveau imaginaire, c'est-à-dire que dans le schéma du bouquet renversé au niveau de l'image virtuelle en a, il n'apparaît rien

 

Lacan représente cette qualité de non-spécularité, comme la structure du regard d'après Maurice Merleau-Ponty le fait, en référence à l’Homme aux loups.  C'est-à-dire comme un doigt de gant qui se retourne ou comme « cross-cap » dans la topologie lacanienne.  L'intérieur et l'extérieur étant identiques, il n'y a pas d'image spéculaire.[290]/[291]

 

Ainsi au niveau du regard cette qualité de non-spécularité de a devrait être la plus évidente.  Pourtant, comment comprendre l'expérience de Monsieur L. qui, nous l'avons dit, reste investi totalement pour ainsi dire au niveau d'a, où nous remarquons que a n'est pas encore représenté comme perdu? Et comment comprendre l'expérience de l’Homme aux loups qui voit le monde à travers ce voile ?

 

 

 

 

Transparence opaque

 

Pour comprendre ces phénomènes nous allons nous référer à l’œuvre de Freud : « L'inquiétante étrangeté » où il explique la représentation du double.

 

Freud définit ce concept de double d'après un des contes d'Hoffmann, où surgissent des personnages d'une « inquiétante étrangeté ».  Le double « était à l'origine une assurance contre la disparition du moi »[292], un « démenti énergique de la puissance de la mort »[293] et il est probable que « l'âme immortelle » a été le premier double du corps. »[294] « La création d'un tel dédoublement pour se garder de l'anéantissement a son pendant dans une mise en scène de la langue du rêve qui ainsi a exprimé la castration par redoublement ou multiplication du symbole génital ».[295]

Dans le rêve et puis le dessin de l’Homme aux loups, la multiplicité des loups sur les branches, eux-mêmes multiples, illustre bien ce point. C'est cette même « présence phallique »[296] qui est déterminante dans le traumatisme de ce dernier.  « Chacun sait », dit Lacan, « que malgré qu'il soit présent, visible sous la forme d'un fonctionnement du pénis, ce qui frappe dans l’évocation de la réalité de la forme fantasmée de la scène primitive, c'est toujours quelque ambiguïté concernant justement cette présence. » [297]

 

Or Lacan souligne que cette multiplicité des phallus est une ambiguïté commune avec la non-spécularité de l'objet a.[298]  Il décrit ainsi le phénomène du double comme a, donnant l'exemple de l'expérience de Maupassant quand vers la fin de sa vie il commence à ne plus se voir dans le miroir.

 

Ce phénomène appelé par ailleurs « héautoscopie  ou autoscopie négative n’est pas tenu par certains auteurs[299] pour un phénomène de double mais seulement de l’imperception soudaine de l’image de soi ou du propre corps en miroir.  Pour Lacan la non-spécularité est une qualité spécifique à l’objet a. Voici la description de ce phénomène troublant par Maupassant dans « Le Horla » :

 

« Je savais bien, écrit-il, qu’il viendrait rôder autour de moi ; tout près, si près que je pourrais, peut-être, le toucher, le saisir ? Et alors ! alors j’aurais la force des désespérés; j’aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour l’étrangler, l’écraser, le mordre, le déchirer. Et je le guettais avec tous mes organes surexcités. »

 

« J’avais allumé mes deux lampes et les huit bougies de la cheminée, comme si j’eusse pu, dans cette clarté, le découvrir. En face de moi, mon lit, un vieux lit de chêne à colonnes; à droite ma cheminée; à gauche, ma porte fermée avec soin après l’avoir laissée longtemps ouverte afin de l’attirer; derrière moi, une très haute armoire à glace, qui me servait chaque jour pour me raser, pour m’habiller et où j’avais coutume de me regarder, de la tête aux pieds, chaque fois que je passais devant. » 

 

« Donc, je faisais semblant d’écrire, pour le tromper, car il m’épiait, lui aussi, et soudain je sentis,  je fus certain qu’il lisait par-dessus mon épaule, qu’il était là frôlant mon oreille. »

 

Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien !… on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans la glace… Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière. Mon image n’était pas dedans… et j’étais en face de moi !  Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n’osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu’il était là, mais qu’il m’échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet. »

 

« Comme j’eus peur ! Puis, voilà que tout à coup je commençais à m’apercevoir dans une brume, au fond du miroir, dans une brume comme à travers une nappe d’eau ; il me semblait que cette eau glissait de gauche à droite, lentement, rendant plus précise mon image, de seconde en seconde. C’était comme la fin d’une éclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point posséder de contours nettement arrêtés, mais une sorte de transparence opaque, s’éclaircissant peu à peu. »

 

« Je pus, enfin, me distinguer complètement, ainsi que je le fais chaque jour en me regardant. » [300]

 

Pour Lacan, l'entrée de a dans le monde du réel, « où il ne fait que revenir. »[301]  se représente ici par le phénomène d’autoscopie  négative.  Le sujet cherche à deviner son image sur le plan réfléchissant du miroir tout comme l’amputé cherche le membre amputé, là où il était.  Notons cependant que ni l’un ni l’autre de ces cas ne réfère directement à la schizophrénie mais à des phénomènes qui touchent l’image du sujet d’une manière peut-être équivalente.

 

Le donné-à-voir

 

Revenons au voile de l’Homme aux loups.  Est-ce que ce voile serait aussi un équivalent du double ? En fait, Freud lui-même fait le rapprochement, rapportant en exemple le sentiment d'inquiétante étrangeté à la crainte « d'être enterré en état de léthargie ».[302] Il dit que l'origine de ce fantasme n'est autre que le fantasme de vivre dans le sein maternel, interprétation qu'il donne du voile de l’Homme aux loups.[303]

 

Ce voile, que nous figurons comme reste de ce qui tient à l’œil au moment de la schize, nous intéresse parce qu'il semble nous démontrer de la façon la plus saisissable ce retour du réel du a, ou l’occurrence d’un reste sensoriel d’un certain type que nous croyons reconnaître chez notre sujet.  Celui-ci ne parle pas de voile, peut-être parce qu'il n'était pas né avec une « coiffe de bonheur ».  Cette capacité d’associer les termes de ce « voile » signe la structure de l’Homme aux loups. Chez le schizophrène, il en va autrement. L’association vient en quelque sort malgré lui.

 

Le sujet schizophrène, dysmorphophobique, voit quelque chose, ou l'absence de quelque chose, en l’occurrence des « trous », qui ont par ailleurs beaucoup à voir avec les « trous » de l’Homme aux loups.  Or la problématique de l’Homme aux loups est maintenue dans un rapport à l'Autre, et dans un rapport à son histoire.

En effet, le délire de l’Homme aux loups sera dit « partiel » , de « forme hypochondriaque ».  Tout en affirmant que le dommage infligé par un dermatologiste, le Docteur X., n'était que trop apparent, il critiquait sa réaction à ce sujet, la trouvant anormale.  Son délire, s'il se déclenche d'une manière analogue à Monsieur L., se distance de celui-ci par le fait que notre patient est incapable de critiquer sa croyance.  Par ailleurs, en opposition avec l’Homme aux loups, l'idée qu'il a pu contracter ces « trous » par la faute d'un autre, ne fournira pas la base d'un thème de persécution.  En effet cette idée délirante ne serait que très peu enrichie par d'autres éléments. 

 

Les trous que voit Monsieur L.,  que sont-ils ?  Pour répondre sans ambivalence, retournons à la structure du regard où Lacan note «la préexistence au vu d'un donné-à-voir ».[304]  Il nous donne l'exemple des ocelles, ces manifestations mimétiques que présentent certains insectes pour nous démontrer cette fonction du regard comme tache qui sert ici à fasciner, à paralyser un prédateur ou victime qui vient les regarder.

 

Or les formes imaginaires des rêves ne sont rien d'autre, que ces taches, multipliées.  Elles prennent alors une qualité d'omnivoyeur, elles nous regardent de partout.

 

Lacan nous dit au sujet de l’Homme aux loups, « l'essentiel dans la révélation de ce qui apparaît à l’Homme aux loups par la béance préfigurant (...) celle de la fenêtre ouverte, ce qui apparaît dans son cadre identifiable en sa forme à la fonction même du fantasme sous son mode le plus angoissant, il est manifeste que l'essentiel n'est pas de savoir où est le phallus; il y est, (...) partout identique à ce que je pourrais appeler la « catatonie de l'image » : l'arbre, les loups perchés qui (...) regardent le sujet fixement, il n'est nul besoin de chercher, du côté de cette fourrure cinq fois répétée dans la queue des cinq animaux, ce dont il s'agit et qui est là dans la réflexion même que l'image supporte d'une catatonie qui n'est point autre chose que celle même du sujet, de l'enfant médusé, fasciné par ce qu'il voit, paralysé par cette fascination au point que ce qui dans la scène le regarde et qui est en quelque sorte invisible partout, nous pouvons bien le concevoir comme une image qui n'est rien d'autre que la transposition de son état d'arrêt, de son propre corps ici transformé dans cet arbre » (...) « arbre couvert de loups ».[305]

 

Au delà de la catatonie de l’image que nous avons déjà commenté, l’enfant médusé fait référence ici à l’article freudien « La tête de Méduse » où Freud déchiffre le symbolique de cette tête figurée souvent comme ayant des serpents à la place des cheveux. Pour lui cette figuration sert « en fait à atténuer l’horreur, car ils se substituent au pénis dont l’absence est la cause de l’horreur. Une règle technique --- multiplication du symbole du pénis signifie castration—est ici confirmée. »

 

« La vue de la tête de Méduse rend rigide d’effroi, change le spectateur en pierre. Même origine tirée du complexe de castration et même changement d’affect. Car devenir rigide signifie érection, donc, dans la situation originelle, consolation apportée au spectateur. Il a encore un pénis, il s’en assure en devenant lui-même rigide. » [306]

 

Cette référence à la castration souligne un affect qui est peut-être un peu différent de l’angoisse, celui de l’effroi. L’effroi semble ici faire référence au réel, telle la catatonie dans l’image sous la plume de Lacan.

 

Retour à l’objet narcissique

 

La description freudienne évoque la notion du réel qu’on retrouve dans le rêve de l’homme au loups comme objet a, dont le phallus figure parmi les occurrences. Cependant Lacan est revenu sur l’équivalence entre l’objet a et le phallus considérant que le phallus avait une place à part puisque la mère ne manque réellement de rien,[307] il faut imaginer la perte du pénis. C’est pour cela que le complexe de castration est pour Lacan une interprétation du réel et le phallus est considéré comme objet imaginaire.  Retournons vers Freud et son concept de la pulsion de regarder pour mieux cerner ce qui se passe chez ces sujets.

 

« Nous avons pris l’habitude d’appeler narcissisme cette phase du début du développement du moi, pendant laquelle ses pulsions sexuelles trouvent une satisfaction auto-érotique, sans soumettre d’abord à la discussion la relation entre  auto-érotisme et narcissisme. Il faut dire que le stade préliminaire de la pulsion de regarder, pendant lequel le plaisir de regarder a pour objet le corps propre, appartient au narcissisme, est une formation narcissique. A partir d’elle la pulsion de regarder active développe, en abandonnant le narcissisme, mais la pulsion de regarder passive, elle, maintiendrait l’objet narcissique. De même, la transformation du sadisme en masochisme signifie un retour à l’objet narcissique,* tandis que dans les deux cas le sujet narcissique est échangé par identification avec un autre moi étranger. Si nous tenons compte du stade préliminaire narcissique que nous avons construit dans le cas du sadisme, nous approchons de la conception plus générale, selon laquelle ces destins pulsionnels que sont le retournement sur le moi propre et le renversement de l’activité en passivité dépendent de l’organisation narcissique du moi et portent la marque de cette phase. » [308]

 

Freud nous dit que la pulsion de regarder est, au début, auto-érotique dont l’objet est le corps propre.[309]  Cette activité auto-érotique appartient donc au narcissisme.  Selon Freud, ce qui définit l’activité auto-érotique de se regarder est ce retour à l’objet narcissique.  Ce que nous considérons donc comme temps logique pré-spéculaire est donc constitué par un moment du stade préliminaire narcissique du retournement sur le moi propre des pulsions scopiques.  Cependant nous remarquons à cet endroit une différence avec Lacan qui soutenait que la paranoïa correspondait à ce moment du narcissisme. Continuons à déployer le concept freudien de narcissisme pour cerner au mieux ce moment logique pré-spéculaire qui  nous renseigne sur la schizophrénie.

 

Freud développe dans ce texte sa réflexion sur des pulsions dans leurs stades préliminaires à partir des considérations des couples d’opposés pulsionnels : sadisme-masochisme, plaisir de regarder-plaisir de montrer. « Ce sont là les mieux connues des pulsions sexuelles qui se manifestent comme ambivalentes. Les autres composantes de ce qui deviendra la fonction sexuelle ne sont pas encore suffisamment accessibles à l’analyse pour pouvoir être discutées de la même manière. D’un point de vue général, nous pouvons affirmer qu’elles fonctionnent sur un mode auto-érotique, c’est-à-dire que leur objet s’efface au profit de l’organe qui est leur source, et, en règle générale, ne fait qu’un avec lui*. L’objet de la pulsion de regarder, bien qu’il soit aussi d’abord une partie du corps propre, n’est pas l’œil lui-même *»…. « Dans les pulsions auto-érotiques, le rôle de la source organique est si déterminant que, d’après une hypothèse séduisante de P. Ferdern et L. Jekels, la forme et la fonction de l’organe décideraient de l’activité et de la passivité du but pulsionnel. »[310]   

 

Il semble d’abord paradoxal que Freud n’ait pas voulu garder l’œil  comme objet de la pulsion scopique. Il s’arrête sur les notions de forme et de fonction de l’organe qui servirait, de ce point de vue,  à attirer le regard. Ces notions renvoient semble-t-il à la notion de cadre, et nous ajouterons aux signifiants qui le constituent.  Freud a développé sa pensée concernant ces pulsions opposées d’après sa réflexion autour des activités du couple d’opposés voyeurisme-exhibitionnisme. Ici, le regard est dirigé, dans son but actif ou passif,  sur le membre sexuel.[311] Or Freud lui-même considère pour équivalentes l’angoisse pour les yeux et l’angoisse de castration dans au moins deux textes : « L’inquiétante étrangeté »,  L’interprétation  des rêves.[312]  Nous avons déjà remarqué par ailleurs un glissement par rapport à la notion d’inquiétude pour le membre sexuel vers l’inquiétude pour l’intégrité corporelle.  Comment comprendre la pensée de Freud si nous ne considérons pas que l’investissement de la pulsion scopique à ce stade, bien que morcelé tel que nous le voyons dans la schizophrénie, est d’abord investi par quelque chose que nous pouvons considérer par bien des qualités comme « phallique» ?

 

Dans le rapport imaginaire il y a une identification au phallus, comme objet imaginaire, qui a pris une certaine fonction d’équivalent ou d’étalon dans le rapport à l’objet. Le renoncement phallique implique une prise de possession d’une pluralité des objets, ce que nous n’observons pas chez Monsieur L. Il y a une fixation différente dans la psychose que dans le fantasme névrotique où le phallus reste articulé à cette pluralité grâce à la fonction symbolique, ce que nous avons observé chez l’Homme aux loups, malgré ce qui a été rejeté de la castration.  Les occurrences de l’objet a ; objet anal, voile, argent… restent articulées dans une certaine mesure au désir de l’Autre, jusque dans le symptôme du trou.[313]

 

Selon Torok et Abraham, le fétichiste en question dans l'article de 1927 de Freud, « Le fétichisme », n’est autre que l’Homme aux loups avec cette fois-ci une Glanz auf der Nase, un brillant sur le nez, en français, et a glance at the nose, en anglais, ce qui donne en fait « un regard sur le nez. ».Dans le cas très possible où le sujet en question était l’Homme aux loups, la notion de rejet pour ce qui concernait la représentation problématique tel que Freud l’a envisagée auparavant dans le cas de l’Homme aux loups se rapprochera de la Verleugnung,[314] le déni de l’article en question.

 

D’après Freud, le « fétiche » en question, son nez ou plutôt l’image de son nez, sera donc ici identifiable par son équivalent symbolique : un phonème anglais qu’il associe à son propre nez. Il sera également identifié par ce biais à sa mère, si le patient en question était bien l’Homme aux loups. Nous comprenons pourquoi il en était tant affecté par le dommage irréparable infligé par le dermatologue ! Nous remarquons d’après Abraham et Torok, que le symptôme de trou de l’Homme aux loups est associé toujours à sa mère, et à son histoire par l’intermédiaire de la langue.

 

Rappelons l’histoire de Mlle M.. Celle-ci a fait un jour une petite entaille sur sa figure, pour « ajouter une belle marque », « peut-être pour attirer l’attention des gens ». Remarquons que loin de retirer quelque chose ce qui est important ici chez le sujet c’est la même qualité, le même repère que chez l’homme au nez brillant; le regard attentif, voire admiratif, enfin captivé, de l’Autre où le sujet tient à se présenter comme parfait. Cependant la perfection à laquelle elle aspire concerne finalement quelque chose de comparable à l’homme au nez brillant, « que les autres ne pouvaient percevoir. »[315]/[316] 

 

 Ces remarques rappellent d’autres de M.-C. Lambotte concernant le déni ou le démenti chez le mélancolique.[317]Selon cet auteur, « dans la conviction d’occuper une position d’exception et d’approcher la vérité, le sujet mélancolique aurait jugé une fois pour toutes que les choses ne valaient pas la peine qu’il s’y intéresse, et qu’elles-mêmes n’avaient en rien affaire à lui. Sans nier pour autant qu’elles existent, mais qu’elles existent concrètement pour les autres, il les a, en quelque sorte, vidées de leurs attributs sensibles ou bien encore dépossédées du pouvoir qu’elles avaient de susciter chez lui des affects. »[318] Sans pouvoir affirmer que l’Homme aux loups (peut-être l’homme au nez brillant) ou Mlle M. sont des sujets mélancoliques, bien qu’ils présentent de nombreux traits, nous pensons reconnaître chez ces sujets une forme de démenti de la réalité de la castration, différente de la forclusion lacanienne ou du déni freudien.   Déjà dans le geste de se maquiller et se démaquiller incessamment chez ces sujets il y a quelque chose de ce démenti. Ce qui est démenti semble être justement ce rapport à la mère, particulièrement au phallus de la mère.

 

Selon M.-C. Lambotte, et en référence à Lacan, « on pourrait penser que la catastrophe originelle, entendue comme la frustration imaginaire d’un objet réel, condamnerait le sujet mélancolique à n’entrevoir la réalité que comme la conséquence manifeste de ce qu’il aurait déjà vécu, et ceci sous le sceau de la castration symbolique qui revêtirait, dès lors, le caractère absolu qu’on connaît. Ce qui semble confirmer cette hypothèse, c’est encore la manière dont le sujet décrit son propre père en des traits qui en donnent une  image suffisamment dégradée pour qu’il y voit la confirmation de sa logique négative. On ne peut savoir dans quelle mesure la figure réelle du père se trouverait par là déchue et dans quelle mesure le sujet aurait accentué le trait défectueux et dès lors métonymique de la personne tout entière. En tous les cas, l’agent de la castration étant le père réel, le caractère absolu de la frustration imaginaire pourrait avoir fait en sorte que le sujet s’identifie à la faille du père réel*,[319] au sens où celui-ci serait perpétuellement pris en défaut »[320].  Bien que M.-C. Lambotte parle ici de sa patiente,  nous comprenons mieux, d’après ces propos, l’usage que Mlle M. fait des phonèmes, qui reprend la valeur métonymique de la faille du père (libertinage)  à laquelle elle s’identifie. Ses propres traits s’inscrivent ainsi sous le signe du phallus, comme pour l’homme au nez brillant. Ce ne sont pas ses yeux ni ses lèvres qui sont l’équivalent du phallus mais l’image de ceux-ci pour autant qu’ils reflètent quelque chose de cette faille cernée par ces signifiants.

 

 Les images du trou au nez brillant et du visage non maquillé, se rapprochent en effet, à des formations de substitut phobique. Elles accomplissent à la fois une substitution imaginaire à l’objet phallique et un démenti par rapport à la réalité. L’objet imaginaire de la castration, l’objet phobique (ici une image) se substitue à l’objet réel de la frustration (le phallus réel). Le sujet s’esquive par cette entremise la privation où il y a un trou réel (l’objet a).

 

Chez le psychotique, la fixation demeure sur le moi propre parce qu’a n’est pas séparé. La fonction « phallique » sert à attirer l’œil et à morceler le regard. Elle peut également, dans certaines conditions, être stabilisatrice par la formation d’une image phallique dans les thèmes de grandeur. Cette « image phallique » nous semble correspondre à une structure spécifique. Nous retrouvons la présence de celle-ci dans le délire de Monsieur L.  Or ici nous remarquons la présence du faux semblant. Nous rappelons que la seule chose que Monsieur L. sait de son père est qu’il s’est tué en tombant d’un échafaudage. Son visage, en porte, selon lui, la marque. Cette marque n’est pas comme chez l’Homme aux loups ni chez Mlle M., dans l’imaginaire, elle est dans le réel. Ce qui se passe sur la scène imaginaire sert à s’en éloigner.   Nous y reviendrons.

 

Le fantôme troué

 

Le sens de la plainte de Monsieur L. : « j'ai le visage plein de trous » est ainsi éclairci. Il est dans ce regard aveugle mais omnivoyant d'être absolu qui fait cette multiplicité de trous, de taches, de phallus; une multitude de petits a, non-spécularisés sur le plan imaginaire, mais qui revient dans le réel comme trous qui le regardent de partout.

 

Monsieur L. nous dit lui-même qu'il ne se reconnaît pas : « Je ne sais pas ma naissance, j'aurais voulu me voir naître les yeux ouverts ».  Mais comment aurait-il pu se « voir », même son image dans le miroir, quand le regard n'est pas tout à fait  « schizé » de l’œil, quand son œil ne peut s’accommoder sur l'image virtuelle ?  Il nous demande, perplexe : « Est-ce que je suis aveugle ? »  Il est non-voyant en tout cas à ceci : « l'élision de la castration au niveau du désir en tant qu'il est projeté dans l'image. »[321] Ici, nous pouvons dire que la castration retrouve son sens freudien en ce qui concernait Œdipe qui, nous le rappelons, s'est crevé les yeux quand il s'est enfin reconnu.

 

Peut-être Monsieur L. voit-il un miroir vide qui lui tourne le dos tel un double, se retournant pour voir une dépouille trouée ?  Tel  Hamlet qui voit le spectre de son père, dans le désespoir qui l'incarne, notre sujet dit : « J'ai tué mon père et je suis dans la glace ».  Ainsi, ce signifiant primordial qui a été rejeté, surgit, figé comme fantôme troué, dans l'image spéculaire. 

 

Lacan, en pointant le mérite d'une recherche de ce déterminisme des schizophrènes, remarque un trait saisissant chez les mères de ceux-ci.  L'enfant porté par une telle mère n'était pour elle « rien d'autre qu'un corps diversement commode ou embarrassant, à savoir la subjectivation d’a comme pur réel ».[322]

 

Ainsi nous imaginons la mère de Monsieur L., enceinte et endeuillée, pour ne pas dire encombrée et littéralement emmerdée par cet enfant au moment où il allait entrer au monde.  Qu’est-ce que dire sinon que l’enfant en tant qu’objet de la mère, objet a chez la mère du schizophrène[323] n’est pas habillé de quelque chose, quelque chose qui concerne son image ?

 

Or cette image ici est différente de celle qui sert à attirer le regard, celle du cadre, qui concerne la fonction phallique. Elle concerne le tableau. M.-C. Lambotte commente O. Rank et Anna Freud pour en faire ressortir cette différence saisissante. L’image, telle qu’elle semble être déterminée ici par le regard et le discours maternel prend une fonction de représentation de la représentation.  Le « thème de la visualisation du tableau mis en valeur par Rank…nous ramène à ce jeu de regards dont on ne sait plus qui de l’enfant ou de la mère capte les traits de l’autre. On notera encore à ce sujet qu’A. Freud va jusqu’à parler d’enfants qui adoptent le rôle de la mère en ce qui concerne la surveillance de la santé et qui jouent à « la mère et l’enfant »avec leur propre corps comme le font les hypocondriaques, surtout lorsque ces enfants ont reçu de mauvais soins maternels ou lorsqu’ils ont été privés de mère. »[324]

 

M.-C. Lambotte fait ressortir la notion du transitivisme et le fait que le regard de la mère donnerait le « cadre » de Rank auquel les couleurs du tableau donnent la tonalité affective. [325] Le cadre reste dans les cas que nous avons observés, lié sans doute par ce transitivisme mais il est marqué du phallus ne serait-ce que par sa faille. Or il nous semble qu’il y a plus encore qui s’opère dans ce tableau pour le sujet schizophrène. Cette représentation de la représentation, prise sur le discours de la mère dans une absence totale de distance fournirait la base de toute la structure de son délire et de sa « guérison. » Nous avons remarqué les différentes formes verbales que pourraient prendre les signifiants nodaux avant de se stabiliser par ce phonème : chi.  Nous y reviendrons.

 

Avant d’aller plus loin avec l’analyse de son discours, nous remarquons qu’il peut paraître étonnant que Monsieur L. passe autant de temps devant ce tableau, devant le miroir, devant un tel « cauchemar ».  Nous avons dit que son angoisse était massive.

 

La recherche de complétude

 

L’angoisse, signal

 

Pour Freud, l’angoisse est un signal à la limite du moi.  Au stade du miroir, avec la conjonction de la parole, le désir émerge dans une confrontation avec l'image.  « Lorsque cette image qui a été décomplétée, se complète, lorsque la face imaginaire qui était non intégrée, réprimée, refoulée surgit, alors, » dit Lacan, « l'angoisse apparaît. »[326] C'est là où nous reconnaissons la présence d'a.

 

Dans la psychose, ce n'est pas encore un a en tant que reste abhorré de l'Autre, mais une chose qui constitue un danger pour le moi.  « C'est la structure même de ces objets qui les rend impropres à la moïsation »[327], dit Lacan. 

 

Pour articuler les phénomènes de dépersonnalisation plus clairement, Lacan dit : « ce n'est pas parce que ce qui est vu dans le miroir est angoissant que cela n'est pas proposable à la reconnaissance de l'Autre, qu'une relation s'établit dont l'enfant est trop captif pour que le mouvement de retour vers l'Autre comme caractéristique du stade du miroir soit possible. »[328]  C'est le fait qu'ici « la relation duelle pure dépossèse (sic) – ce sentiment de relation de dépossession marqué par les cliniciens pour la psychose -- dépossède  le sujet de cette relation au grand Autre. »[329]

 

Nous pouvons confirmer ce que nous disions plus haut concernant la recherche de complétude que fait le sujet dans son expérience du miroir.  Son angoisse tient au fait de la  présence de la Chose , présence d'a, mais faux a chez le psychotique.  Le miroir, ou plutôt le cadre de ce miroir, en tant que limite du réel, fait déjà limite à l'angoisse.

 

Ce cadre participe à une unification, forme primitive de la Bejahung ou l'affirmation.  Au stade du miroir, c'est l'Autre qui prend cette fonction de cadre, donnant ainsi sens à l'expérience de reconnaissance que l'enfant fait devant cette scène.  Chez ce sujet,  « le miroir de l' Autre » est tout autre.  Nous étudierons ces effets plus loin. Néanmoins, ce miroir permet une mise à distance de l’objet a, une mise à distance de jouissance et participe par sa relation avec le désir, par le biais de la pulsion scopique, à cette limite par son rapport à la castration qui est déjà un rapport au signifiant.

 

 

 

L’origine de l’angoisse

 

Freud dit que la plupart des phobies renvoient à une telle angoisse du moi devant les revendications de la libido.  La position d’angoisse du moi y est toujours l’élément primaire et ce qui pousse au refoulement. « …. on ne saurait nier, dit-il, que la libido des processus du ça ne subisse, sous l’impulsion du refoulement, une perturbation, peut-être est il donc toujours exact d’affirmer que, lors du refoulement, de l’angoisse se forme à partir de l’investissement libidinal des motions pulsionnelles. » *[331]

 

 Rappelons le, ces motions pulsionnelles seront fixées chez le dysmorphophobique, comme chez l’hypochondriaque, à la libido du moi. En fait, la contradiction apparente que posait Freud lui-même concernant l’angoisse dans les phobies étant l’angoisse du moi face à ces revendications ne semblerait pas, à première vue, de mise, chez les malades dysmorphophobiques. « En imposant la régression, le moi remporte son premier succès dans la lutte défensive contre la revendication de la libido. »[332] C’est comme si l’investissement de la libido du moi devenait le plus captivant, empêchant le sujet de retourner vers l’Autre, là où, en termes freudiens, il y aurait la possibilité d’investissement d’objet par la libido sexuelle.  Or Freud rapproche l’angoisse de castration d’autres séparations : sein, fèces, etc. d’avant le stade du miroir. La situation du nourrisson reste, en effet, toujours un « danger de castration ».

 

Le moi reste le lieu de l’angoisse.  Les revendications pulsionnelles ne représentent  pas  un danger par elles-mêmes mais seulement parce qu’elles entraînent  un danger extérieur, la castration.  Chez la dysmorphophobique schizophrène, malgré la tentative de formation substitutive au niveau du regard, son image en miroir, l’angoisse persiste même en dehors de la présence de « l’objet phobique. » Peut-on dire que le danger pulsionnel persiste et  conclure que l’image en miroir ne fait pas une « bonne » formation substitutive ? Ou, la problématique du dysmorphophobique se situe peut-être finalement ailleurs ?

 

L’angoisse est un signal selon Freud, signal de la présence d’a selon Lacan. Peut-on dire que l’objet a, tel qu’il figure dans le champ scopique de ces patients, représente une menace de castration ?

 

Libido sexuelle primaire

 

En effet, il semble nécessaire de retourner au débat de Freud avec Jung pour insister sur le besoin d’une énergie sexuelle, la libido, et une énergie des pulsions du moi. C’est à partir de cette distinction que nous pouvons éclaircir le rapport du schizophrène avec le désir et la castration, et cerner la possibilité, au moins dans le champ du regard, de quelque chose comme l’objet a, tout en conservant l’apport de Lacan concernant le rapport du sujet à l’Autre au stade du miroir.

 

Freud rappelle, « De nos jours, chez l’enfant, dont le développement nous est bien plus impénétrable, nous nous attendons à trouver une attitude tout à fait analogue envers le monde extérieur.[333] Nous formons ainsi la représentation d’un investissement libidinal originaire du moi ; plus tard une partie en est cédée aux objets, mais, fondamentalement, l’investissement du moi persiste et se comporte envers les investissements d’objet comme le corps d’un animal protoplasmique envers les pseudopodes qu’il a émis. » [334] Cependant, Freud ne se contentera pas de cette explication qui aura pour effet sous la plume de Jung de devenir une libido unique, non sexuelle, dont les effets ultérieurs finissent par réduire l’apport de la psychanalyse.[335]

 

Dans le prochain paragraphe, Freud se pose des questions essentielles : « Premièrement, quelle est la relation du narcissisme, dont nous traitons ici, avec l’auto-érotisme que nous avons décrit comme un état de la libido à son début ? Deuxièmement : si nous attribuons au moi un investissement primaire de libido, pourquoi est-il, somme toute, nécessaire de distinguer encore une libido sexuelle d’une énergie non sexuelle des pulsions du moi ? Si nous posions au fondement, une énergie psychique d’un seul type, cela n’épargnerait-il pas toutes les difficultés qu’il y a à distinguer énergie des pulsions du moi et libido du moi, libido du moi et libido d’objet ? Sur le premier point, je fais cette remarque : il est nécessaire d’admettre qu’il n’existe pas dès le début, dans l’individu, une unité comparable au moi ; le moi doit subir un développement. Mais les pulsions auto-érotiques existent dès l’origine ; quelque chose, une nouvelle action psychique, doit donc venir s’ajouter à l’auto-érotisme pour donner forme au narcissisme. »[336] *

 

 
Stase de la libido

 

En fait, Freud pose ici que les pulsions auto-érotiques existent dès l’origine de la vie mais qu’une nouvelle action psychique (l’intervention d’un élément autre que la modification de l’énergie des pulsions d’un moi primitif par l’acte de l’investissement d’objet lui-même) doit intervenir sans élaborer pour autant ce que cette action pourrait être.[337]  Nous avons cependant lu sous la plume de Freud dans l’Esquisse que cette nouvelle action provenait de la mère. La schizophrénie concerne, selon Freud, une distribution d’énergie sexuelle, la libido, entre le moi et l’objet et une stase de cette énergie dans le moi.[338]  Nous demandons, d’après Freud, qu’est-ce que cette stase ?  Et Freud demande également : «Pourquoi une telle stase de libido dans le moi doit-elle être ressentie comme déplaisante ? » et « d’où provient donc en fin de compte dans la vie psychique cette contrainte de sortir des frontières du narcissisme et de placer la libido sur les objets ? »  Il avance une réponse possible : « La réponse conforme à notre ligne de pensée pourrait être que cette contrainte apparaît lorsque l’investissement du moi en libido a dépassé une certaine mesure »,[339] en ligne directe avec d’autres hypothèses concernant un énergique.

 

Freud continue « L’élaboration psychique accomplit des exploits pour dériver intérieurement des excitations qui ne sont pas susceptibles d’une décharge extérieure immédiate, ou pour lesquelles une telle décharge ne serait pas souhaitable dans l’immédiat. Mais il est tout d’abord indifférent, pour une telle élaboration intérieure, qu’elle concerne des objets réels ou imaginaires. La différence n’apparaît qu’ensuite, lorsque le retournement de la libido sur les objets irréels (introversion) a conduit à une stase de libido. Dans les paraphrénies, le délire des grandeurs permet une semblable élaboration intérieure de la libido qui est retournée dans le moi ; c’est peut-être seulement après l’échec de ce délire que la stase de libido dans le moi devient pathogène et met en branle le processus de guérison qui nous en impose pour la maladie. »[340]

 

En effet, nous comprendrons, d’après Freud, que l’élaboration psychique réponde à des sollicitations, venant des objets réels (dans un sens freudien, des objets extérieurs de la réalité partagée) ou imaginaires. Bien qu’elle soit indifférente à l’origine de ces sollicitations, la libido se dirige vers ces objets. Le retournement de la libido vers les objets irréels ou imaginaires conduit à une stase de la libido dans le moi. 

 

Investissement temporaire d’objet imaginaire

 

Nous observons ici une différence avec une autre forme de retournement de la libido sur le moi que nous avons indiquée plus haut. Bien que Freud ait qualifié l’exhibitionnisme d’activité auto-érotique, le retournement passe apparemment dans la schizophrénie d’abord par une étape intermédiaire, par un refoulement,[341] donc un retour de la libido et donc l’investissement temporaire des objets imaginaires.  

 

Freud explique plus en détail ce qu’il entend par le processus de la rétraction de la libido dans la schizophrénie dans sa correspondance avec Jung avant d’écrire le présent article : « Je vois deux problèmes dans votre écrit : a) Ce que doit signifier la rétraction de la libido loin de l’objet ; b) quelles sont les différences entre la projection paranoïaque à l’extérieur et d’autres projections. Je vais vous dire ce que j’en pense. »

 

« a) Je ne crois pas que la libido se retire de l’objet réel pour se jeter sur la représentation fantasmatique remplaçante, avec laquelle elle mène ensuite son jeu auto-érotique. D’après le sens des mots en effet, elle n’est pas auto-érotique aussi longtemps qu’elle a un objet, que ce soit un objet réel ou fantasmatique. Je crois au contraire que la libido quitte la représentation d’objet, laquelle, par-là précisément dénuée de l’investissement qui la désignait comme intérieure, peut être traitée comme une perception et projetée vers l’extérieur. Elle peut alors pour ainsi dire être accueillie froidement pendant un moment, et soumise à l’épreuve de réalité habituelle. « On dit de moi que j’aime le coït. Eh bien on le dit, mais ce n’est pas vrai. » Le refoulement réussi irait jusque-là, la libido devenue libre se manifesterait alors sur un quelconque mode auto-érotique comme dans l’enfance. --- Je crois que tous nos malentendus proviennent de ce que je n’ai pas assez accentué le caractère en deux temps du processus, la décomposition en refoulement de la libido et en retour de la libido. »[342]

 

C’est la question (a) qui nous intéresse ici. Il nous semble que la stase concerne alors ce moment d’investissement d’objet imaginaire comme dans le délire des grandeurs. Il semble tout à fait capital de comprendre ce point si nous voulons comparer le délire aux processus du rêve que nous rappelons concerne une satisfaction hallucinatoire ou le surgissement d’une image mnésique de la perception dans la mémoire.

 

Dans son « échelle du délire », Maleval dénomme ce moment d’élaboration de la métaphore délirante : P3, où « un sentiment de communion avec le Père s’impose, de sorte que la mégalomanie connaît là ses réussites les plus hautes. Le sujet devient lui-même Dieu ou un grand personnage, voire l’élu de Dieu et en état de transmettre sa parole, ou bien encore il s’égale au Créateur par la résolution d’un problème fondamental, etc. ».[343] Les majuscules sont là pour insister sur le fait qu’à la place de la métaphore paternelle surgit une métaphore délirante. C’est un lieu tenant, mais ce n’est pas forcement Un-père. Nous avons d’ailleurs remarqué comment ce processus échoue chez le schizophrène qui s’il trouve les repères pour faire un cadre à partir des repères phalliques, ou paternels, trouve matière pour peindre son tableau d’après le rapport transitif à sa mère.  [344]

 

 

 

Abandon d’objet intermédiaire

 

Dans un deuxième temps, chez le schizophrène, les objets imaginaires sont également abandonnés par la libido ou au moins ils peuvent l’être.  C’est dans ce deuxième temps que le moi se retrouve à nouveau investi par la libido sexuelle devenue libre.   Maleval appelle ce moment  P 0, ou moment d’une « délocalisation de la jouissance et de perplexité angoissée ».[345]  C’est le moment dysmorphophobique proprement dit.

 

L’auto-érotisme qui concerne la schizophrénie est donc un auto-érotisme secondaire[346].  D’après Freud, le moi existe chez le schizophrène. La libido quitte la représentation de l’objet, laquelle peut être traitée comme une perception et projetée vers l’extérieur, tel son exemple concernant le désir dans la paranoïa et tel chez Monsieur L. quand il passe à la selle.

 

Freud ajoute plus loin dans sa lettre à Jung : « Je dois ajouter quelque chose pour Bleuler. L’auto-érotisme est pourtant désigné sans équivoque dans les Trois essais. Psychiquement, si vous voulez, négativement. »[347]

 

En fait, il nous semblait au départ que Freud parle ici de l’objection du psychisme de l’auto-érotisme infantile. En outre, il est difficile d’imaginer ce qu’il pourrait en dire d’autre à Bleuler qui veut employer le mot autisme à la place d’auto-érotisme.

 

Inscription en négatif

 

Or si nous imaginons qu’il parlait de tout autre chose, telle une inscription en négatif  ? Nous avons pourtant remarqué chez Monsieur L. une sorte de polarité entre des moments où il s’est trouvé troué et des moments où cette angoisse pouvait se résoudre par la production de l’objet fécal. Il nous semble clair que l’enjeu ici est auto-érotique mais nous aimerions trouver encore des précisions en termes de  représentation. 

 

En effet si nous considérons l’abandon de la représentation de l’objet comme ce moment où le patient se trouve angoissé devant l’image trouée en miroir, nous ne trouvons la trace de cette inscription en négatif que dans l’acte de sa résolution. Cette marque étant ici quelque chose de matériel, réel pour ainsi dire, qui se forme à partir de ce que nous figurons comme une empreinte sensorielle, n’est pas une trace, comme nous l’avons dit, n’appartient pas à la mémoire. Or comment qualifier l’objet produit, distinct de son inscription en négatif, si nous ne pouvons le qualifier de représentation ? Nous voyons ici que les registres lacaniens du réel, symbolique et imaginaire se brouillent.  Et cet objet va se modifier encore et être pris en compte d’une manière autre que nous repérons dans le langage, mais que nous aurons du mal, cette fois-ci, à qualifier de symbolique.

 

Freud veut élargir sa conception pour inclure plusieurs expressions de la décomposition et le retour de la libido qui nous aidera peut-être à comprendre pourquoi ces distinctions sont difficiles : « On peut alors construire 3 cas. 1) Le refoulement selon le processus décrit réussit définitivement, c’est alors le déroulement qui semble caractéristique de la démence précoce. La représentation d’objet projetée n’apparaît peut-être que passagèrement dans l’ « idée délirante », la libido s’épuise définitivement en auto-érotisme, la psyché s’appauvrit de la manière que vous connaissez si exactement. »[348]

 

Nous ne savons pas tout à fait ce que Freud entend par « définitivement » à moins de considérer des cas seuls de catatonie. Il nous semble qu’il y a une sorte de continuité entre le premier et le deuxième dans les cas que nous voyons actuellement : « Ou bien, lors du retour de la libido (échec de la projection) une partie seulement est dirigée vers l’auto-érotisme, une autre recherche à nouveau l’objet, qui doit à présent être trouvé à l’extrémité perceptive, et qui est traité comme une perception. Alors l’idée délirante devient plus pressante, la contradiction contre elle toujours plus violente, et tout le combat de défense est livré une nouvelle fois, comme rejet de la réalité (le refoulement se transforme en rejet [Verwerfung]), et cela peut se poursuivre pendant une période, jusqu’à ce que finalement la libido nouvellement arrivante soit quand même jetée vers l’auto-érotique, ou qu’une partie en soit durablement fixée dans le délire dirigé contre le désir d’objet projeté. C’est là, dans des proportions de mélanges variables, le déroulement de la démence précoce chez le paranoïde, le cas certainement le plus impur et le plus fréquent. »[349]

 

Freud considère ici la projection du point de vue des perceptions qu’il distingue des idées délirantes. Ces dernières se construisent alors à partir des objets libidinaux traités alors comme s’ils venaient de l’extérieur.

 

Objet corporalisé

 

Nous rappelons ici comment l’expulsion de l’objet lors d’un Ausstossung primitif se rapproche de la notion de projection. Ce qui est « projeté » ici est de l’ordre d’un réinvestissement de libido sexuelle vers un objet perçu comme « extérieur » lequel, nous l’avons vu, ressemble tout de même primitivement à une représentation. Cet objet représente le tracé psychique d’un investissement autrefois abandonné. Nous commençons à constater ici qu’il est bien plus aisé d’utiliser le modèle « bancaire » freudien pour expliciter les processus en jeu dans la schizophrénie que les registres lacaniens. L’objet en question semble changer de registre selon les circonstances d’investissement de la libido. Ici, il correspond au P1, ou moment de « significantisation de la jouissance délocalisée » de Maleval.[350] Nous observons également que Freud, déjà, considère le rejet comme processus psychotique de traitement de la réalité décrit très précisément dans cette lettre comme étant l’abandon d’un objet libidinal, même imaginaire.

 

Si nous considérions l’investissement de la libido du point de vue de l’angoisse le problème se complexifierait. Selon Lacan, l’angoisse apparaît, nous avons remarqué, lorsque l’image décomplétée se complète, là, en présence de l’objet a. Ici, cet objet a, faux a peut-être justement parce qu’il est, apparemment, l’expression lacanienne de la représentation d’une inscription en négatif dans le moi, d’après la réflexion fortuite ou alors équivoque de Freud, d’un objet autrefois investi par la libido sexuelle. 

 

En effet c’est la représentation pourtant abandonnée, qui semble influencer le tracé de l’objet libidinal en question.  Après nos observations, l’objet investi est abandonné, même sur le plan imaginaire, et malgré cela, les idées délirantes auront pour point de départ cette représentation abandonnée qui paraît de façon transitoire en tant qu’un objet libidinal corporalisé.  Cet objet s’apparente au membre fantôme dans le sens où il est là, investi, tout en n’en étant pas là.  En d’autres termes, son investissement ne dépend pas de sa présence en tant qu’objet extérieur ou objet représenté. L’objet corporalisé est pris par le psychisme pour être une partie du corps justement parce qu’il a déjà été auparavant investi libidinalement.

 

 Nous préférons l’expression objet corporalisé pour insister sur le rôle de celui-ci dans son devenir ultérieur plutôt que le terme incorporé, ayant déjà beaucoup servi en psychanalyse pour  parler d’un premier mode d’identification. Nous voulons toujours insister également sur le rôle du signifiant qui est pris en compte dans ces théories plus par le sens que par son « image acoustique ».  L’identification qui a lieu ici est plus une substitution à quelque chose qui parait comme un des doubles du sujet.  L’objet en lui-même est abandonné ainsi que sa représentation. Seul résiste le signifiant et sa traduction nouvelle.

 

Chez le paranoïaque, ce sont les constructions d’idées autour de cet objet qui sont au premier plan : « Ou bien le refoulement échoue complètement, après être parvenu pendant un moment à la projection du désir d’objet. La libido nouvellement arrivante gagne l’objet désormais devenu perception, produit des idées délirantes extrêmement fortes, la libido se change en croyance, la transformation secondaire du moi se déclenche; cela donne la paranoïa pure, dans laquelle l’auto-érotisme ne parvient pas à se constituer entièrement, mais dont le mécanisme ne devient toutefois explicable qu’au moyen de cette série allant jusqu’à la démence précoce complète. »[351] Ainsi selon Freud le mécanisme en jeu s’explique par l’observation de la logique du délire, étudié en série, tel que fait Maleval. Cependant si les idées, ou plutôt des idéaux sont construits chez le paranoïaque, c’est plutôt l’image qui est en jeu chez le schizophrène.

 

 

Echec de la formation de substitut

 

Freud va plus loin. En comparant toujours les démences précoces aux névroses de transfert, il tente de trouver un avantage économique dans la schizophrénie qui justifie la formation d’une hypochondrie.   Il situe encore la différence entre les schizophrénies et les névroses de transfert « dans cette circonstance que la libido devenue libre par frustration[352], ne demeure pas attachée à des objets dans le fantasme, mais se retire sur le moi. Le délire des grandeurs répond alors aux processus psychiques de maîtrise de cette masse de libido, donc à l’introversion sur les formations fantasmatiques qui se produit dans les névroses de transfert ; l’hypochondrie de la paraphrénie, homologue de l’angoisse des névroses de transfert, sort de l’échec de cette action psychique. »[353] 

 

L’action psychique dont semble parler Freud ici, celle qui maîtrise des excitations, ressemble à celle dont il fera plus tard l’élaboration dans Au-delà du principe du plaisir, dans le célèbre jeu, le fort-da.   Ce retour de la libido, s’il permet au délirant de sortir d’un échec de tentative de maîtrise pulsionnelle en permettant un retournement sur le moi, n’est pas moins un échec, à moins d’imaginer que l’hypochondrie, ou la dysmorphophobie, correspondra à un moment où la dynamique libidinale s’arrête complètement, chose que nous n’avons pas observée.

 

Malgré une stase dans la libido, une halte complète ne nous semble pas être le cas même après les descriptions freudiennes. Freud pousse ici peut-être trop loin l’idée que l’angoisse est maîtrisable par la formation d’un substitut. Précédemment nous avons dit que l’objet phobique en question chez le dysmorphophobique schizophrène était le moi propre. Pour ce qui concerne le dysmorphophobique névrosé, la formation d’un substitut sert cependant comme démenti et à cette occasion procure une jouissance à mettre en balance avec l’angoisse de la dysmorphophobie. Nous supposons d’après ce que nous exposions ici chez le dysmorphophobique ou l’hypochondriaque schizophrène que cette substitution consiste dans l’inscription en négatif d’un investissement d’objet abandonné. C’est ainsi que nous comprenons pourquoi il ne suffit pas pour maîtriser les excitations pulsionnelles.  Ces questions cernent de plus près le statut du moi dans la schizophrénie. Est-ce que le moi n’est pas l’expression de la représentation d’un objet abandonné et inscrit en négatif chez le schizophrène ? Nous laissons cette question en suspens pour le moment et continuons notre examen des processus en jeu dans la schizophrénie.

 

Les processus en jeu chez le schizophrène ne se limitent pas aux phénomènes  corporels telle la dysmorphophobie. Les développements freudiens concernant la pulsion et le narcissisme nous amènent à considérer les autres processus, processus qui nous pouvons dire concernent d’autres choses que le besoin pulsionnel, quelque chose qui ressemble déjà au désir.

 

Selon Lacan, l’ordre symbolique n’est pas « l’ordre libidinal où s’inscrivent aussi bien le moi que toutes les pulsions. »[354] Or si la définition de l’ordre symbolique par Lacan fait ici défaut, la notion de réel nous paraît inadéquate pour décrire le déroulement de ce processus que nous qualifions pourtant de retour du réel. 

 

Une place est réservée chez le schizophrène pour ce réel qui fera retour. 

 

 

 

 

 

Le miroir de l’Autre

 

Intrusion narcissique

 

En guise d'introduction à son complexe d'intrusion, Lacan reprend Les Confessions, I, VII, de saint Augustin à propos de la jalousie. Il nous dit que ce thème doit être interprété prudemment.  En effet, la jalousie fraternelle se fonde sur l'identification, sur un sentiment de l'autre. « J'ai vu de mes propres yeux, dit saint Augustin, et bien observé un tout-petit en proie à la jalousie : il ne parlait pas encore et il ne pouvait sans pâlir arrêter son regard au spectacle amer de son frère de lait. » [355]

 

« L'image du frère non sevré n'attire une agression spéciale que parce qu'elle répète dans le sujet l'imago de la situation maternelle et avec elle le désir de la mort.  Ce phénomène est secondaire à l'identification. »[356] Cependant, l'identification dans le stade du miroir où l'imago du double est central est un monde narcissique qui « ne contient pas autrui. »  Au départ de ce stade, le sujet ne se distingue pas de son image virtuelle.  L'introduction d'un tiers objet constituera une « intrusion narcissique » où le sort de la réalité va être joué. [357] C'est le mécanisme selon lequel l'enfant va connaître un semblable.  Cependant, la perception de celui-ci ne suffit pas à rompre l'isolement affectif du sujet.

 

Ce n'est peut-être pas exact de dire, dans le cas de ce sujet schizophrène, qu'autrui n'existe pas.  Précisons ce point par l'examen de l'invidia, mot que Lacan nous dit venir de videre et qui sera responsable du regard « amore conspect », d'un regard amer, qui décompose le petit sujet regardant son frère de lait, et fait sur lui-même l'effet d'un poison.

 

« Pour comprendre ce qu'est l'invidia dans sa fonction de regard, il ne faut pas la confondre avec la jalousie. »  Ce que le petit enfant, ou quiconque, envie, ce n'est pas ce dont il pourrait avoir envie.  L'envie est  provoquée par la possession de biens qui ne seraient, à celui qui envie, « d'aucun usage et dont il ne soupçonne même pas la véritable nature ».[358]

 

« Elle fait pâlir le sujet devant l'image d'une complétude qui se referme, » dit Lacan, « et de ceci que le a, le a séparé à quoi il se suspend, peut être pour un autre la possession dont il se satisfait, la Befriedigung. » [359]

 

C'est dans le champ scopique où se définit proprement l'invidia, que ce patient schizophrène, voyant les autres malades, supportant très mal leurs soins, se plaignant toujours qu'ils passent avant lui, est confirmé dans sa position de déchet.  Or s'il passe en premier, tout lui semble différent.  Nous pensons en effet qu'il s'agit effectivement d'un sentiment de perte, sentiment qui s'annule quand nous nous occupons de lui mais qui est aussitôt remplacé par l'angoisse, par le sentiment que nous jouissons de lui.

 

Transivitisme

 

Lacan rapporte à cette phase du stade du miroir les effets de transivitisme observable chez les enfants ayant un écart d'âge très réduit, deux ou trois mois maximum, qui se confondent avec leur image à ce stade. Un enfant pleure parce qu'un autre tombe, un enfant esquisse un geste et l'autre le termine, etc.  Pourtant la discordance caractéristique de cette phase contribuera à la formation du moi.  « Mais » dit Lacan, « avant que le moi affirme son identité, il se confond avec son image qui le forme, mais l'aliène primordialement. »[360]

 

Nous ne pouvons que nous arrêter devant cette expression de l'identification au semblable, qui dans un premier temps procède dans un rapport de contiguïté au stade du miroir. L'expérience quotidienne de notre malade s'en rapproche beaucoup.  Sa demande, aux autres, semble tourner autour des questions, « est-ce que je suis le même que toi ? Ou, est-ce que je suis autre ? » Ce transitivisme semble être présent quand à sa sortie de prison, il avait « envie de faire la peau des Arabes », envie semblable à l'invidia du stade du miroir qui rejoint le sentiment d'avoir sa propre peau trouée.

 

Revenons à Mlle M. Rappelons l’utilisation des signifiants comme chiffrage, pour se compter parmi les objets abhorrés de la mère : excréments, petit cochon, petits yeux, libertine…dans les implications grammaticales d’une phrase où le jeune enfant se compte parmi ses frères : « J’ai trois frères, Paul, Ernest, et moi. » [361]

 

Chez cette patiente, ce compte est plus qu’une nomination de soi-même dans la série des frères, c’est une mise en série des signifiants concernant son histoire, où, d’un signifiant à un autre une signification transparaît, où il y reste tout de même une non-coïncidence des signifiants. Cette signification semble concerner celle du malaise à être la fille née d’un couple se croyant stérile, et d’un père libertin de surcroît, marquée d’une sorte d’anomalie, pour ne pas dire infamie malgré la réduction à l’objet que nous pouvons croire faite par la mise en série.

 

Nous notons comment le « transitivisme », le rapport de captation avec les autres enfants de même âge, prend ici une allure différente, inattendue, d’après les considérations concernant notre patient schizophrène. Ce n’est pas une simple contiguïté avec sa propre image, il y a un rapport à une tierce personne, en l’occurrence, sa mère.

 

Suivons Marie-Claude Lambotte dans ses remarques concernant ce  « double transitivisme » qui nous aideront à distinguer la schizophrénie des névroses narcissiques, ici, la mélancolie :  « Le visage de la mère – qui fait partie de la reconstruction métapsychologique de l’image spéculaire – conditionne donc, à titre de symbole métonymique de l’espèce, l’identification de l’infans au reflet du miroir. On imagine dès lors aisément le déplacement du regard de la mère à la forme spéculaire elle-même dans la mesure où le regard de l’infans reste imprégné de l’imago maternelle, et l’on ne s’étonnera plus de découvrir que les auto-portraits renvoient au peintre ce même regard, celui par lequel il fut une première fois reconnu. Double transitivité[362] donc : celle de l’infans qui, de l’assimilation au modèle de l’espèce renvoie à l’appropriation de l’image spéculaire, et celle de la mère qui, de la captation du regard encore errant de l’infans, renvoie à l’imago sous-jacente de cette même image; et le paradoxe de la relation mère-enfant réside bien dans le fait qu’en autorisant l’infans à s’emparer des cernes octroyés par le regard maternel, celui-ci du même coup l’aliène dans un extériorité qui le mènera à la recherche incessante de son double.* »[363]  

 

L’infans, tenu dans les bras de sa mère se tourne vers celle-ci et dans un rapport de jubilation transitiviste capte son regard dans une « Gestalt maternelle ». D’après M.C. Lambotte, nous pouvons mieux saisir cette Gestalt « non seulement comme l’élément indispensable à l’opération de transitivité propre au miroir, mais encore comme l’élément indispensable à la structuration effective de l’image du sujet…Aussi comprendra-t-on qu’au simple niveau de l’imprégnation de la forme générique par laquelle Lacan prolonge si pertinemment la portée de l’imago jungienne, la coloration affective qu’expriment les traits du visage de la mère soit d’une importance capitale puisqu’elle conditionne l’implication plus ou moins forte de l’infans dans l’opération spéculaire, de même que les caractères plus ou moins satisfaisants sur lesquels s’édifiera son image*. Et l’imago du corps propre revêtira dès lors pour l’infans l’aspect du visage de la mère ou, plus exactement, la tonalité affective dont le regard maternel qu’il fixait se trouvait habité*»[364]

 

Nous remarquons ici une différence majeure avec le transitivisme schizophrène. L’image du névrosé narcissique s’édifiera sur des caractères décryptés de ce transitivisme et portera la marque d’une tonalité affective dont le regard maternel se trouvait habité.  Cette image l’aliène vers une extériorité qui la pousse vers la recherche de son double et, ce, au moins pour cette patiente, dans le même instant et par le même regard qui l’abhorre en tant qu’objet exécrable.  Le maquillage (la couche) dont elle a tellement l’urgence, sert à récréer une situation triangulaire mère-objet-enfant[365] dont a pu servir le miroir. Il garde ainsi son aspect de tiers.

 

 Le schizophrène quant à lui, si l’on peut imaginer le regard qui le portait jadis, a certainement été réduit à un objet de rejet à un moment logique antérieur. La Gestalt maternelle semble correspondre ici surtout aux signifiants captés par ce sujet lors des soins procurés par celui-ci. C’est plutôt de ce regard, non-médiatisé par le phallus, qu’il déduit son image. Désormais il aura tendance à rechercher toujours sa complétude. Ce n’est peut-être que là qu’il rencontrera alors cette aliénation.

 

Ce comportement transitiviste chez Monsieur L. devient particulièrement remarquable lors des passages à l'acte agressifs du sujet, qui semblent être chaque fois le résultat d'une situation d'angoisse intenable, provoquée par son propre geste repris en miroir par un autre, donc par la perception du double.  Dans son article, « L'agressivité en psychanalyse », Lacan développe ce thème d'une Gestalt propre à l'agression chez l'homme.  Le sujet tendu vers l'agressivité est poussé vers une extériorité constituante.  En effet, c'est dans le stade du miroir que le sujet s'identifie à la Gestalt visuelle de son propre corps.

 

C'est cette captation par l'imago de la forme humaine qui domine la dialectique du comportement de l'enfant à ce stade. « Il y a là une sorte de carrefour structural, où nous devons accommoder notre pensée pour comprendre la nature de l'agressivité chez l'homme et sa relation avec le formalisme de son moi et de ses objets.  Ce rapport érotique où l'individu humain se fixe à une image qui l'aliène à lui-même, c'est là la forme d'où prend origine cette organisation passionnelle qu'il appellera son moi. »[366]

 

 

Le mauvais même

 

Il nous semble que le rapport du malade au miroir et aux autres peut être rapproché de ce moment du stade où « le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage lui restitue dans l'universel sa fonction de sujet. »[367]

 

Cependant, soulignons que ce n'est peut-être qu'au moment de ces passages à l'acte agressifs qu'il se précipite en une forme, en une Gestalt ; expulsion tout à fait en rapport avec l'autre moment où ce sujet « se reconnaît », c'est-à-dire, au moment où il passe à la selle, dans une sorte d'acte inaugural.

 

Or nous avons dit que cet effort d'expulsion était un effort à expulser un mauvais même.  Monsieur L. nous dit en effet qu'en rêve il est « repoussé du visage », tentative qui explique son désir de repousser cet a sous forme de déchet, et éloigner pour ainsi dire les pulsions de mort.[368]

 

En rêve ce désir devient plus clair.  L'objet a, si présent dans le matériel même du langage est ici dissimulé.  Ici, il se fait celui qui repousse, comme l’Homme aux loups se fait loup regardant.  En rêve, il essaie de repousser ce « mauvais objet », cet a qui ne cesse de revenir, exorcisme qu'il tente aussi à chaque passage à l'acte agressif. Il tente de se compter, de s’aliéner de cet objet.

 

« Agir, c'est arracher à l'angoisse sa certitude.  Agir, c'est opérer un transfert d'angoisse, » selon Lacan.[369]  Notons ce qui se passe pour Monsieur L., comment se déroule la scène avant qu'il passe à l'acte.

 

Un jour, dans notre service, Monsieur L. était particulièrement préoccupé par son visage.  Un infirmier, que le malade semblait apprécier, lui a proposé de se joindre à un jeu de Scrabble avec d'autres membres de l'équipe soignante.  Le jeu a peine commencé quand une infirmière prononce ces mots : « Ce jeu (je) est horrible », mot que notre malade n'a pas tardé à ramener à lui-même.  Cependant, il a continué de jouer jusqu'à ce que cette même infirmière écrive sur le tableau de jeu, « affreux », choix plus que surprenant venant d'une infirmière connaissant le patient.  Avec ce mot, Monsieur L., trouvant cela insupportable, a renversé tout le jeu, dans un premier « relâchement ».

 

L'équipe soignante étant habituée à ce genre d'éclats chez ce malade, elle a simplement replié le jeu et est retournée au bureau, expliquant au patient que ce mot ne lui était pas adressé.  Par la suite, Monsieur L. n'a pas cessé de passer devant le bureau des infirmiers, les trouvant « fainéants », « vicieux », « profitant » de l'état des malades.  Son angoisse au sujet de son visage ne cessait de croître.  Il a pensé qu'il fallait redresser les torts, mettre de l'ordre avec cette équipe qui ne s'arrêtait pas de s'en prendre aux malades.  Il est arrivé vers les infirmiers et s'adressant à celle qu'il trouvait la plus insultante à son égard, vociféra, en retirant sa chemise : « S'il y a un homme ici qu'il se montre ».

 

 Malheureusement, dans un geste qu'il croyait être de l'ordre de la plaisanterie, l'infirmier le plus apprécié du malade imita celui-ci en retirant sa propre chemise.  Sur-le-champ, Monsieur L. lui a donné un coup de tête, et lui a cassé le nez.  Il expliqua après qu'il ne voulait pas se battre avec cet infirmier-là. Cependant en le voyant retirer sa chemise à son tour, il n'a pas pu réfléchir, il ne savait plus ce qu'il faisait, il a simplement agi.  Agi dirons-nous dans un acte transitif, comme en miroir. Notre compréhension de cet acte s'élargit quand nous apprenons que la même scène s'est déjà répétée, notamment à l'éclosion de sa psychose, quand il a vu un homme dans la rue reprendre son geste et qu'ils se sont battus.

 

 

 

 

Autre-même

 

Comment comprendre ces passages à l'acte s'ils ne sont pas des tentatives d'expulser hors de lui-même cet autre-même dans un acte qui transfère l'angoisse, où il se confond mais qui le forme comme l'identification au stade du miroir ?  En parallèle avec cette hypothèse nous pouvons aussi proposer une autre, complémentaire, qui coïncide davantage avec celle que nous avons proposée concernant l’objet auto-érotique. C’est-à-dire, de cet endroit abandonné par une représentation d’objet autrefois investie viendrait transférer l’angoisse, ou la cause de cette angoisse.  Cette hypothèse se rapproche de la théorie freudienne des phobies, où il y a également un transfert d’angoisse.

 

Rappelons que Freud construit l'hypothèse qu'enfant, l’Homme aux loups aurait interrompu « l'union de ses parents par une évacuation de selle. »[370]  Il en donne plusieurs significations, particulièrement, celle d'un don.

 

Cependant S. Leclaire remarque que ce sens est secondaire à celui d'une « bipartition imaginaire » [371] Et à noter que la castration, dans son sens premier a une seule marque, l'angoisse : « Il est bien évident qu'on ne saurait en détacher le signe de l'intervention de l'autre comme tel; cette caractéristique en réalité lui ayant toujours, et depuis le début, été affectée, c'est donc l'autre qui menace de castration. »[372]

 

 C'est bel et bien la reconnaissance d'un autre, menaçant pour ainsi dire, parce qu'il est autre, qui amène le sujet à se distancer de cet objet a, ce déchet, ce reste.  Or chez Monsieur L. ce déchet ne se maintient pas comme autre.

 

Pourtant, il semble s'identifier par moments aux autres hommes et il semble penser qu'être un homme veut dire aller au café, boire et tenir l'alcool, jouer au tiercé. Il y a également une sorte de tentative d’identification avec la faille du père que nous trouvons dans les signifiants du cadre.  Nous reconnaissons ici un processus qu'Hélène Deutch a appelé : « comme si ».  « C'est un mécanisme de « compensation imaginaire » de l’Œdipe absent, qui lui aurait donné la virilité sous la forme, non pas de l'image paternelle, mais du signifiant, du Nom-du-Père », selon Lacan.[373] Ce processus est évident chez notre sujet dans la période prépsychotique où il essaie de conquérir la typification de l'attitude virile de son milieu par l'intermédiaire d'une imitation de ses camarades, avec des cambriolages, l'alcool, les « bagarres ». Plus significatif encore est le fait que ces coordonnées phalliques du cadre fonctionnent tout de même pour attirer le regard et  morceler l’image. De cette façon, elles limitent de façon exemplaire la jouissance dysmorphophobique. Cependant nous ne pouvons pas dire que cela soit une réussite.

 

 

Souvenons-nous également à cet endroit que Monsieur L. a un nom, repris de son père adoptif, qui est homophone d’un mot qui signifie « camarade ».  Faire comme si pour lui a une signification d'appartenance particulière et quand il entendra des voix, elles seront souvent des « M...voix », néologisme composé du mot voix et du nom de sa ville.

 

C'est ainsi que notre patient découvre la femme, notamment la prostituée, événement précédant directement le déclenchement du délire.  Pendant la période féconde, il s'exprimera ainsi : « voulez-vous que je sois la frite, je vous l'ai entendu dire.»  « Maryse aussi veut que je sois la frite, bagarreur quoi c'est pour ça que je ne sais plus où j'en suis; je ne sais pas si je veux devenir social avec la famille, la pêche ou marginal, en redevenant la frite. » En effet, Monsieur L. nous dit d'une façon claire qu'il n'a pas pu faire plus qu'une imitation[374]/ [375] de l'autre et qu'à cause de cela il est tombé malade.

 

Or le manque de distance dans la relation maternelle se montre plus que déterminante pour ce qui concerne le tableau. 

 

Passion signifiant et miroir

 

Nous avons déjà décrit cette forme d'identification chez Monsieur L... Il  fait comme si  il était un homme, par exemple quand il joue au tiercé.  Cependant, ce processus d'imitation procède par voie de contiguïté avec la Chose.  Rappelons son hallucination : « Tu es un cheval » à la suite de laquelle il affirmait : « Je suis un cheval, je suis un jeu (je) de cheval ».  Cette « passion » à jouer au tiercé semble donc fondamentalement liée au signifiant que nous avons découvert.  Cette substitution médiocre est maintenue par l'échec de l’identification à l'Autre, dû, selon Lacan, à la forclusion du signifiant, le Nom-du-Père.  Que le signifiant soit trouvé au lieu de l'Autre n'est pas étonnant compte tenu du fait que le trésor des signifiants est toujours le lieu de l'Autre.[376] Plus loin nous examinerons les conséquences de cette trouvaille par le sujet.

 

Résumons le développement de l'identification au stade du miroir dans la « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache », où Lacan modifiera le schéma du bouquet renversé de Bouasse pour expliquer non seulement ce qui est illusoire dans la réalité du sujet et le développement des tendances constitutives du monde mais aussi pour distinguer les différents niveaux de narcissisme.

 

Le premier niveau se rapporte à l'image corporelle indiquée dans le modèle par la réflexion dans le miroir sphérique.  Ce modèle définit assez bien le peu d'accès qu'a le sujet à son corps, qu'il « imagine comme un gant qu'on puisse retourner. » [377]   Le sujet à ce stade donne sa propre forme à son Umwelt, le monde ambiant, et il sera à l'origine du moi idéal (Idaelich), i(a) dans le schéma.

 

Au deuxième niveau du narcissisme se situe l'idéal du moi (Ich idéal), i'(a) dans le schéma.  Il s'agit d'une identification narcissique à l'autre.  La place de cette instance se situe au niveau du miroir plan.  Lacan nous dit que l’accès définitif à i'(a) se résout en un constant transitivisme.  Dans le schéma, figure 3, [378] cette notion est figurée par le miroir A qui peut basculer jusqu'à 180 degrés.  Ainsi la position de l'Autre imaginaire peut être altérée, voire effacée transformant alors l'image du sujet.

 

L'intérêt premier de cette démonstration pour nous est la figuration de la place de l'Autre.  Celle-ci est nécessaire pour que l'identification soit acquise.  En effet, c'est par le regard de l'Autre, initialement la mère, que l'image dans le miroir prend son sens.  Or, comme Lacan nous dit : « On aurait tort de croire que le grand Autre du discours (en l’occurrence le père) puisse être absent d'aucune distance prise par le sujet dans sa relation à l'autre, qui s'oppose comme le petit, d'être celui de la dyade imaginaire... Car l'Autre où le discours se place, toujours à la triangulation qui consacre cette distance, ne l'est pas tant qu'il ne s'étale jusque dans la relation spéculaire en son plus pur moment dans le geste par quoi l'enfant au miroir se retournant vers celui qui le porte, en appelle du regard au témoin qui décante, de la vérifier, la reconnaissance de l'image, de l'assomption jubilante, où certes elle était déjà. »[379] 

 

Pour notre sujet il est clair que ce grand Autre est forclos.  Rien ne viendra assurer que l'image qu'il voit est la sienne si ce n'est un regard capricieux comme celui de ces miroirs dits de sorcière et une voix qui le confirme comme étant un déchet.  Il n'aura donc pas une identification à son image spéculaire.  Celle-ci ne sera pas cautionnée par l'Autre.  C'est comme si dans le montage optique son œil était situé en dehors du cône formé par une génératrice joignant chacun des points de l'image en i'(a).  Le peu de rapport qu'il peut avoir avec l'autre reconnu comme autre, est dans l'agressivité transitive où il prend une place semblable à celle de la transitivité mélancolique.

 

Chez notre sujet, la présence de l'Autre lui reviendrait dans le réel sous forme de voix.  Nous pouvons dire que chez lui ce miroir de l'Autre sera une sorte de miroir interne, le Surmoi.

 

 
L’identification au père de la préhistoire personnelle

 

Freud conçoit le Surmoi comme une « sédimentation dans le moi » [380] des premières identifications parentales de la phase orale primitive de l'individu. Derrière la naissance du Surmoi, se cache la première et plus importante identification de l'individu : « l'identification au père de la préhistoire personnelle ».  « Celle-ci tout d'abord semble n'être pas le résultat ou l'issue d'un investissement d'objet; c'est une identification directe, immédiate plus précoce que tout investissement d'objet. »[381]

 

Selon Freud : « Le père de la préhistoire personnelle » est à entendre dans son sens général, comme père et mère, étant donné qu'à ce stade « père et mère ne se voient pas accorder une valeur différente. »[382]

 

Souvenons-nous que la mère de Monsieur L. avait une voix « tonitruante ».  En elle-même cette expression paraît expliquer pas mal de choses.  En ce qui concerne son beau-père, rappelons non seulement qu'il était incestueux, transgressif des lois les plus fondamentales mais aussi il a terminé sa vie, ivrogne, déchu de ses droits de père.  Monsieur L. lui fait particulièrement des reproches pour avoir « engueulé » sa mère « sur son lit de mort ».  Avec les confusions langagières que fait notre sujet, nous ne pouvons qu'imaginer ce que ce terme « engueulé » représente pour lui.  Pouvons-nous concevoir ici une scène originaire traumatique, secondairement originaire si l'on peut dire, qu'élide l'imaginaire, s’inscrivant du symbolique, directement sur son corps, suivant les processus  décrits précédemment ? 

 

Il lie lui-même ces termes entre eux : « J'ai lâché ma frite dans les bordels parce que je ne me connaissais pas.  Je me suis trouvé moins beau parce que je me retrouvais des trous sur la gueule, comme maintenant. »

 

 

Doublé par les mots

 

Quoi qu’il en soit, nous savons que les parents de Monsieur L. ont maltraité celui-ci et lui ont fait mener une existence précaire.  Leurs influences prennent comme est toujours le cas, une expression persistant dans le Surmoi.  Celui-ci a une position particulière par rapport au moi qui tient en partie de la faiblesse et de la dépendance qui était jadis la position du moi. Bien que le Surmoi « soit accessible à toutes les influences ultérieures, il conserve pourtant tout au long de la vie le caractère que lui a conféré son origine dans le complexe paternel, c'est-à-dire la capacité de s'opposer au moi et de le maîtriser (...) 

 

De même l'enfant subissait la contrainte d'obéir à ses parents, de même le moi se soumet à l’impératif catégorique de son Surmoi ». [383]

 

Or le Surmoi reste en permanence proche du ça et pour cette raison, nous dit Freud, reste plus éloigné de la conscience que le moi[384]  bien qu'en partie toujours accessible à celui-là à partir de ces représentations de mot. [385] 

 

Dans son article « l'inquiétante étrangeté, Freud dit que le phénomène de double a ses origines dans le narcissisme originaire.  « La représentation du double ne disparaît pas nécessairement avec ce narcissisme originaire, car elle peut recevoir des stades d'évolution ultérieurs du moi un nouveau contenu.  Dans le moi se spécifie peu à peu une instance particulière qui peut s’opposer au reste du moi qui sert à l'observation de soi et à l'autocritique, qui accomplit le travail de la censure psychique et se fait connaître à notre conscience psychologique comme "conscience morale".  Dans le cas pathologique du délire de surveillance, elle est isolée, dissociée du moi par clivage( ...)»[386]

 

Donc pour Freud le double aura une relation avec ce qui deviendra la « conscience morale », c'est-à-dire ce qu'on reconnaît comme futur Surmoi. Celui-ci persiste même dans les représentations de mots que nous rencontrons chez les schizophrènes.  Nous trouvons ainsi une autre façon d'exprimer ce double comme un objet intériorisé qui sera reconnu par certains malades comme étant une altérité extérieure, observatrice et critique.

 

Persistance d’une recherche de signification

 

Lacan note que le tu qui « parle tout seul », le tu qu'entend le psychotique vient du Surmoi qui « voit tout, entend tout, note tout, » exprimant par le tu son mode de relation avec le ça. « Ce Surmoi est bien quelque chose comme la loi, mais c'est une loi sans dialectique, et ce n'est pas pour rien qu'on le reconnaît(...) avec ce que j'appellerai sa neutralité malfaisante. »[387]

 

Ces impératifs, nous les reconnaissons comme étant les impératifs issus des relations parentales, relations qui ne vont pas de soi au terme de leur intégration dans le Surmoi.  C'est-à-dire, dans le Surmoi, une injonction parentale peut se trouver transformée en son contraire.

 

« Le Surmoi n'est pas simplement un résidu des premiers choix d'objet du ça, » d'après Freud, « mais il a aussi la signification d'une formation réactionnelle énergique contre eux.  Sa relation au moi ne s'épuise pas dans le précepte : tu dois être ainsi (comme le père), elle comprend aussi l'interdiction : tu n'as pas le droit d'être ainsi  (comme le père), c'est-à-dire tu n'as pas le droit de faire tout ce qu’il fait ; certaines choses lui restent réservées. »[388]

 

C'est ce que nous constatons chez Monsieur L.  Déjà dans l'énonciation  : « Tu es une vache à lait », il y a une ambivalence pour le patient.  Cette confusion ne fait que s'accroître.  Notons la différence entre la voix qui annonce : « Tu es né de la peur » et les voix qui l’appellent : « Sadique », « vache », « dément ».  Il semblerait que, dans le premier cas, il s'agit une voix qui incite à la transgression, une sorte de défi et dans le deuxième précepte, des reproches, des sortes d'accusations.

 

Il assigne ces voix généralement à n'importe qui dans son entourage.  Cependant, pendant la période féconde de son délire, il semble penser qu'elles provenaient de « ces (ses) gens », en l’occurrence les habitants de sa cité HLM qui lui parlaient par « le système » de « doctrine ».

 

Freud pensait que le surinvestissement des représentations des mots était une première tentative qui visait à ramener l'investissement libidinal aux représentations d'objet. [389] Monsieur L., lui-même, indique cette approche dans ces mots : « On m'a mis une doctrine sur ma tête pour que je demeure un bonhomme », démontrant aussi la persistance de cette recherche dans le discours de l'Autre, d'un  signifiant qui lui est désormais perdu, auquel il n'accède que de façon inadéquate, par voie métonymique.

 

Le moi expulsé

 

Pendant un moment, il disait qu'on le traitait de « sadique » parce qu'on lui attribuait des actes qu'il n'aurait pas commis (d'avoir fait mal aux enfants, d'être le père de l'enfant de sa sœur), propos qui démontrent bien par leur culpabilité régnante la relation du Surmoi aux voix.

 

En effet, l'ambivalence de ces voix semble être en partie liée au problème incestueux dans cette famille.  Même avant l'intégration du Surmoi, un tyran, ou « hors la loi », trônait déjà chez Monsieur L. et que nous retrouvons dans ces coordonnées liées à l’imago paternelle.

 

Nous avons longuement analysé l'énonciation : « Tu es une vache à lait », dans les chapitres précédents.  En percevant cette voix notre sujet était envahi d'un sentiment d’irréalité.  Il disait qu'il pensait que cet énoncé voulait dire qu'il était un être « irréel ».

 

Or selon Lacan  :  « Quand le sentiment d'étrangeté porte quelque part, ça n'est jamais du côté du Surmoi -- c'est toujours le moi qui ne se retrouve plus, c'est le moi qui se croit à l'état de double, c'est-à-dire expulsé de la maison, tandis que le tu reste possesseur des choses. »[390]

 

Nous avons dit que cet énoncé se réduisait ou se reformulait pour être l'injonction : « Va chier ! Allez ! », par l'exécution de laquelle le sujet « expulse » l'objet auquel il se croit substitué, dans une forme d'identification primitive.  Cette injonction semble se ramener en dernière ligne, à une sorte de défense, une dernière attache entre le symbolique et l'imaginaire  -- un « trognon de parole »[391]  Pouvons-nous dire simplement que le sujet repousse entièrement ainsi ce double, ce « corps étranger » , cet objet corporalisé, ce Surmoi chaotique,  et  comprendre le Surmoi en tant qu'héritier des premières identifications du ça, comme fonctionnant autour de cet axe Bejahung/Ausstossung, affirmation/expulsion ?

 

Lacan souligne une insuffisance entre l’opposition intérieure-extérieure dans ce domaine.  Pour cerner au plus près la référence qu'apporte Freud au langage[392], il développe le concept de la voix comme objet détachable, comme a, qu'il rattache au surmoi mais en référence à ce champ d’énigme qu'est l'Autre, en tant que l'Autre sera le lieu du registre symbolique, le lieu de « souvenir », de « pacte ». [393]  Nous avons également remarqué l’intrication des coordonnées phalliques avec celles de la Chose où le cadre n’apparaît pas comme distinct du tableau.

 

 

La figure féroce de l’Autre

 

Les voix ainsi seront comparables aux rugissements de Dieu qui attend que nous nous souvenions de lui et qui revient chez notre sujet dans le réel.

 

Ainsi nous pouvons comprendre pourquoi les voix surgissent au moment où la prostituée aurait signalé à notre sujet que pour lui « c'est gratuit ».

 

A ce moment là -- une énigme telle que le sphinx l'a posée à Œdipe surgit pour notre sujet : « qu'est-ce qu'un homme? »  Bien évidemment, puisque tout dans ce domaine est forclos pour notre sujet, il ne peut répondre.  L'Autre ou l' « autre-même » réel surgit à ce moment-là.  Réclamant quoi ?  « Sa livre de chair ».

 

Avec tout le problème du corps que développe notre sujet, problème directement lié au symbolique, nous pouvons dire que le sujet entend payer sa dette.

 

Or la notion de « dette » est empruntée à l'expression de Lacan : la « dette symbolique ».  Cependant, pour que cette  dette soit symbolique, le sujet doit perdre cet objet a auquel il restera très attaché via le désir et la Loi.  C'est toute la différence entre le sacrifice de sa chair, tel Abraham qui amène son fils sur l'autel et l'offrande d'un substitut : l'agneau.  Cet événement est commémoré par le Haggadah, indiquant par là sa relation persistante à Dieu et à la Loi. [394]  Pour notre patient, l'objet a n'existe pas en tant que résidu, en tant que substitut.  Notre sujet s'offre entièrement à l'Autre de la jouissance, un « autre-même».

 

Tantôt le sujet se substitue d'emblée à ce que l'Autre lui réclame, ce déchet, l'objet a.  Croyant éviter la « vengeance divine » [395], il devient l'objet de sa jouissance, s'abolissant comme sujet.  Tantôt il se sacrifie comme l’Homme aux loups, enfant, dans cet acte dérisoire où il évacue enfin ce mauvais même. [396]

 

Dans le cas de notre sujet, l'objet a en tant que modèle de ce « corps étranger », internalisé bien qu’inadéquatement, puis expulsé, paraît correspondre suffisamment à l’original pour décrypter la résolution du délire. L'articulation de l'objet a avec l'Autre en tant que lieu d'énigme, lieu du « trésor des signifiants » nous permet de comprendre pourquoi le délire se déclenche à ce moment et de déchiffrer le « sens » de ses formations.

 

 Le miroir de l'Autre se constitue finalement par l'intégration de la parole de l'Autre particulièrement aux stades oraux.  Or aux stades primitifs un grand Autre n'est pas encore reconnu.  Étant donné que notre sujet ne « progresse » que très peu depuis ces premiers stades, le miroir, comme les voix, est fragmenté.  L'Autre provenant de plusieurs sources, plusieurs autres, revenant sous la forme d'une « figure féroce », issue des expériences les plus ravageantes, les plus fascinantes, que nous pouvons lier aux traumatismes primitifs du sujet.  L'Autre qui jouit finalement de lui, n'est que lui-même, dans une sorte d'horreur d'une jouissance, par lui-même ignorée [397], où il n'a que le cadre du miroir et son identification substitutive à ce déchet pour faire limite. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Seconds principes d’une logique du discours du schizophrène et de l’image de son corps

 

Nœud ou complexe

 

La suppléance que Lacan a nommée Sinthome chez Joyce se forme de ce qui s’échappe de la jouissance du langage. Le Sinthome noue quelque chose du savoir inconscient. Ce Sinthome, selon Lacan, appartient au Réel, comme d’ailleurs la jouissance dysmorphophobique.  Le corps de Joyce, son imaginaire pour ainsi dire se tient de ce coinçage nodal du réel par le symbolique.

 

Avant que Lacan n’ait parlé des nœuds, Jung s’est penché sur l’association.  Ce qui en est ressorti est que ces associations n’étaient pas le fait d’un hasard. Bien que Jung annonçait clairement qu’il ne partageait pas les vues freudiennes sur une origine forcément sexuelle des représentations, il a été très attentif au mouvement psychanalytique relatif à la notion d’association. Pour lui les associations étaient l’effet des complexes. Il s’est intéressé aux « complexes de tonalité affective » et au « complexe moi ». Il a été jusqu’à comparer ces complexes avec les « molécules ». Pour lui ces complexes étaient les plus petites unités ayant « une force constellante » dans le psychisme.  Pour Jung, on ne pouvait préjuger de la cause de la démence précoce, néanmoins on pouvait constater des effets venant des complexes affectifs de tonalité tellement forte chez ces patients que les complexes semblaient être autonomes.

Bien que Jung se soit détourné de la psychanalyse vers des horizons ésotériques, il nous semble que sa réflexion contient quelques éléments susceptibles de nous intéresser.   Nous retenons déjà la notion d’une sorte de complexe qui produit des effets, voire des images, que nous pouvons retrouver grâce à des éléments associatifs.   Voici comment il décrit les composants d’un complexe à partir d’un exemple : « Exemple : je rencontre dans la rue un vieux camarade, dans mon cerveau cette rencontre fait surgir une image, une unité fonctionnelle : image de mon camarade X.  Nous distinguons dans cette unité (« molécule ») trois composantes (« radicaux ») : perception sensorielle, composante intellectuelle (représentation, souvenirs visuels, jugements, etc.), tonalité affective. Ces trois composantes sont indissociablement liées, si bien qu’il suffit qu’apparaisse le souvenir visuel de X pour que, normalement, tous les éléments associés se présentent à la fois.  (La perception sensorielle est représentée par une excitation concomitante centrifuge de la sphère sensorielle concernée. C’est pourquoi je suis fondé ici à parler d’unité fonctionnelle.) »[398]

 

Nous remarquons que ces composants rejoignent d’une certaine façon les registres lacaniens hormis le fait que les registres ne soient pas tout à fait définis de la même façon.  Il y a une part sensorielle qui s’approche du réel, une part représentative ou symbolique et une part imaginaire ou affective, même si ces catégories recouvrent par moments les appréciations lacaniennes.

Jung compare le fonctionnement de ces complexes à la musique de Wagner : « On peut directement comparer ce comportement à la musique de Wagner. Le leitmotiv désigne (en quelque sorte en qualité de tonalité affective) un complexe de représentations important pour la construction dramatique (Walhall, pacte, etc.) Chaque fois que les actes ou le discours excitent tel ou tel complexe, le leitmotiv qui s’y rattache résonne sous la forme de l’une de ses variantes. C’est exactement ce qui se passe dans la vie psychologique courante : les leitmotivs sont des tonalités affectives de nos complexes, nos actes et nos humeurs sont des variantes des leitmotivs. »[399] Bien que nous trouvions saisissante la notion de leitmotiv dans son rapport aux complexes, nous retenons ces répétitions comme venant à l’origine de la perception d’images sonores qui sont coordonnées, d’après M.-C. Lambotte, au cadre. La tonalité affective dont nous retrouvons également la trace dans le regard de la mère formerait plutôt le tableau. Ce tableau, nous l’avons dit, serait étroitement imbriqué au cadre chez le schizophrène. Cependant, ce sont dans ses couleurs, ses signifiants, vestiges du discours maternel, que le délire schizophrène trouve son expression et que son image trouve son support.     

 

 

 

 

 

Holophrase et Suppléance

 

Discontinuité

 

Au stade pré-spéculaire, l’identification de l’être semble impossible en dehors de cette expérience spécifique où la trace et la perception se confondent.  Il y a, en effet, dès la naissance, une prise en charge du corps par un code, à partir du langage. L’Autre investit le corps du petit sujet, l’érotisant en le couvrant, l’habillant du signifiant.  C’est à partir de cet investissement du corps du sujet par l’Autre que l’être, schizophrène ou non, constitue également son image.  Il y a donc au moins une double incidence de cet investissement de l’Autre préalable à la constitution de l’ego.  Dans la constitution de la trace, empreinte nécessairement codifiée, l’image de soi se tisse en même temps que l’objet. [400]/[401]

 

Nous avons dit que le mécanisme d’une hallucination nous semblait bien plus complexe que celle d’une simple illusion.

 

La connotation de la réalité est donnée par la dimension de la signification au point où le sujet désire.  Le sujet hallucine, d’après Freud, ce qui lui est interdit.  L’objet interdit, absent, auparavant investi aussi peu qu’il soit par l’Autre du langage, apparaît sous forme de spectre. Ainsi, l’identité de perception de l’image, trompe le sujet. [402]/[403]

 

L’hallucination nous indique que chez l’être humain, le plan imaginaire est déterminé par le champ symbolique, au point où le sujet désirant était investi par le langage de l’Autre.[404]  De ce point de vue, l’expérience qui offre un texte continûment lisible[405]  est déjà une expérience empêtrée de langage avec la discontinuité que comporte le champ symbolique et de ce fait, déjà un rapport intersubjectif. [406]

 

Nous rappelons ici le contenu homophone des hallucinations auditives de notre malade :  « Tu es une vache à lait » , «tu es un cheval », «tu es un chiale ».  Les contenus différents font surgir des images.

 

La formulation reconstruite comportant l’impératif :  tu vas chier, allez[407], entraîne la réponse du sujet soit par la même homophonie, soit en acte : « Chialer » ( « je suis allé »). 

 

Nous nous trouvons devant quelque chose, disons une structure, qui fait hésiter le lecteur versé dans la psychanalyse concernant cet « objet de la pensée ». En effet, celui-ci paraît par certains côtés comme un objet matériel jusqu’au moment où il se « métamorphose » en langage puis en image, bien que souvent il soit admis qu’il y a d’abord une image et après le mot qui lui est attribué.  La façon de concevoir l’image de soi d’après le signifiant ne semble pas particulièrement difficile. Cependant, prendre en compte un objet bien matériel, réel pour ainsi dire et le voir se transformer en signe verbal relève d’un mouvement plus complexe.  Peut-être, le sujet schizophrène s’approprie-t-il son objet de pensée par un rapprochement métonymique ?

 

S’il est vrai que la théorie de l’objet transitionnel et la théorie de holding de Winnicot[408]/[409] semblent bien expliciter cette façon d’appréhender le monde sur le plan clinique, les aboutissements théoriques nous conduisent à une impasse sur le développement de cet objet. En outre, il est très difficile de différencier les pathologies narcissiques si nous ne distinguons pas dans l’absence de distance avec la mère la fonction des coordonnées concernant les imagos parentales (la fonction du cadre) et le rapport à la chose (le tableau). Nous cherchons ailleurs pour comprendre le fonctionnement d’une structure qui fait le support de l’image du schizophrène pour en déduire son mécanisme.

 

Définition

 

Dans la localisation des séquences parlées chez ce sujet, les séries trouvées font penser à ce qui fonctionne sur le mode d’une  holophrase. Le débat entre les linguistes qui supposent le cri ou l’onomatopée, illustration fréquente d’un signe, appelé une holophrase, comme origine du langage chez le petit enfant ou chez l’être humain, a fait couler de l’encre depuis l’époque de Darwin.  Or, Von Humboldt, un des fondateurs de la linguistique moderne, considère qu’au moment de l’origine (de l’histoire de l’individu), il faut que le langage soit déjà là[410]. Remarquons que nous retrouvons dans ce concept, dans le champ de la linguistique, encore cette notion chère à la psychanalyse, le toujours, déjà là  de la trace, de l’empreinte. [411]

 

 L’holophrase, selon les linguistes, relève de l’aperception d’une situation globale à laquelle un signe est associé. Le sens de ce signe est donné par la situation prise dans son ensemble.  Chez certains, cette formation verbale décrit un passage entre la communication animale et le langage humain, chez d’autres, elle décrit le paradigme de l’acquisition du langage chez l’enfant.[412]

 

 D’après Lacan, il n’y a pas de transition entre l’adéquation imaginaire ou l’engluement totalement non structuré où se situe l’animal face à sa proie, et la discontinuité qu'introduit la dimension symbolique.[413] La notion d’une structure dualiste du type « corps et esprit » se trouve donc enrichie d’un terme et de son articulation  avec les autres champs.  C’est peut-être dans cette articulation originale des plans : Réel, Symbolique et Imaginaire où, par le biais d’un nouage ou d’un complexe holophrastique,  gît l’enjeu structural des perturbations de la pensée chez le schizophrène.

 

L’holophrase  en question ne se résume pas à l’homophonie approximative de deux séquences verbales. Cependant, elle se fait plus aisément  entendre sous cette forme.  La répétition des deux  séquences :  « Je suis allé »,  «chialer », à haute voix fait ressortir les incidences de l’holophrase en question, et peut-être les incidences subjectives de toute holophrase.

 

Selon Maleval, la recherche paraphrénique de J.P. Brisset ne doit pas être confondue avec les holophrases dans l’acceptation lacanienne qui résulte du clivage signifiant du sujet. Cette recherche était « orientée sur la langue des origines et se fondait sur la mise en évidence d’holophrases insérées dans les vocables du français. »[414] Le mot « israélite » donnera par exemple, « il sera élite ». Or la persistance d’une recherche d’une valeur poétique et originale de la langue semble être un facteur important chez le schizophrène.

 

Dans un travail remarquable de Pierre Bruno[415], nous remarquons la poursuite d’une langue originelle par Antonin Artaud possédant ces qualités, aussi bien celles qui lieraient la langue au corps. Ces aspects nous font resserrer la notion lacanienne de l’holophrase autour d’un questionnement  qui semble dépasser le registre paradigmatique d’un fonctionnement du schizophrène.

 

Ces holophrases ressemblent aux complexes jungiens par certains côtés bien que selon la définition linguistique de ces premières, il n’y a apparemment pas de rapport entre les deux. Cependant le complexe de tonalité affective semble se confondre avec le complexe moi dans le sens où Jung considérait que ce premier complexe, s’il est trop fort, serait responsable de la schize qui laisserait le deuxième, en quelque sorte, isolé.

 

Nous observons ici plutôt un trouble interne à ce qu’il a appelé le complexe de moi et une imbrication avec les coordonnées du complexe de tonalité affective.  Selon Jung, lorsque nous examinons le matériel psychique nous découvrons que chaque association s’attache à un complexe. « Un seul rattachement est incontestable, c’est le rattachement au complexe-moi. Le complexe-moi est chez l’homme normal la plus haute instance psychique : nous entendons par là la masse de représentations du moi, que nous imaginons accompagnée de la tonalité affective puissante et toujours vivante de notre propre corps. » 

 

« La tonalité affective est un état affectif qui est accompagné d’innervations corporelles. Le moi est l’expression psychologique de la combinaison solidement associée de toutes les sensations communes du corps. »[416]

 

Il est très intéressant de noter ici le rapport de ce complexe moi au corps où Jung emploie le mot « associée ».  Or il trouve que le moi est un complexe faible par rapport au complexe affect, possédant une force constellant inférieure.[417]

 

Les holophrases, ou complexes, contiennent, nous semble-t-il, le noyau de l’explication du fonctionnement schizophrène et aussi, des éléments précieux pour une forme de  « guérison »  possible.   Dans ces holophrases, il y a une sorte de confusion entre les motivations de l’ego et les motivations associatives : le moi et le non-moi, la perception et la trace. Le signifiant  « je suis » et le signifiant « chi » se trouve, chez notre sujet, conjoints comme le code et le message que la séquence comporte. Or dans cette conjonction se retrouvent en même temps la conjonction de l’objet et son image sans que nous puissions dire qu’il s’agit là d’une prise en charge consciente d’un référant par un signe. Rappelons ici les pictogrammes d’Aulagnier.

 

Le texte continûment lisible de l’expérience[418] n’est pas pour autant rompu chez le schizophrène, au contraire. Il est comme localisé en certains points de l’énoncé.  Il forme une sorte de continuum dont les prélèvements ne sont traduits qu’en fonction d’une certaine homogénéité de l’être et de continuité (ou à défaut, de contiguïté) entre le signe et la trace. La référence au  « texte » garde toute sa pertinence puisque les traces, des souvenirs, sont ainsi conservées sous une forme verbale.[419]

 

Or l’hypothèse d’un texte continûment lisible de l’expérience ne se réfère pas en psychanalyse à un continuum entre l’imaginaire et le symbolique, nécessairement discontinu selon Lacan. [420] Cette discontinuité est l’indication d’un point d’où le sujet désirant se faufile sous forme de langage.  Paradoxalement c’est chez le schizophrène où l’expérience se trouve être, de ce point de vue, la plus continue, si l’on pense en termes de symbolique et imaginaire.

 

Lacan distingue des phénomènes de message et de code dans l’hallucination auditive.  Il remarque que chez Schreber  « la phrase s’interrompt au point où se termine le groupe des mots qu’on pourrait appeler termes-index, soit ceux que leur fonction dans le signifiant désigne … comme shifters, soit précisément les termes qui, dans le code, indiquent la position du sujet à partir du message lui-même. » [421] Chez Monsieur L., il s’agit d’un phénomène aussi frappant, où la synchronie aussi bien que la diachronie de la phrase sont perturbées.[422]  Comme pour Schreber, le code est constitué de messages sur le code, et le message est réduit à ce qui dans le code indique le message.  Nous y reviendrons.

 

La définition que Lacan donne pour l’holophrase  est un peu différente de celle des linguistes. Au lieu d’insister sur la notion de langage à l’origine, sur les sons bruts, par exemple, qui deviendraient un signe puis un mot, Lacan insiste sur le fait que ces  mots-phrases, déjà pris dans la structure de langage, sont non décomposables. « Holophrase : Il y a des phrases, des expressions qui ne sont pas décomposables, et qui se rapportent à une situation prise dans son ensemble, ce sont les holophrases. »[423]

 

 

Fonction

 

La fonction de l’holophrase «participe à une fonction de l’unité de la phrase », selon Lacan et d’après certains linguistes, dans la mesure où le code et le message  se trouvent confondus. Il articule cette fonction avec celle de l’énoncé pour disjoindre la notion du besoin avec les termes de la demande.  L’énoncé holophrastique n’est pas réductible à sa fonction, selon Lacan, parce qu’il est pris sur le discours du sujet. [424]

 

Rappelons tout d’abord que l’aphorisme lacanien «l’inconscient est structuré comme un langage » [425] s’appuie sur la théorie du linguiste Ferdinand de Saussure. Lacan emploie les définitions de Saussure, du signe et du signifiant, pour développer sa théorisation sur le fonctionnement de l’inconscient.[426]/ [427]/[428]

 

Saussure dit explicitement «cette conception (celle de la langue comme nomenclature) laisse supposer que le lien qui unit un nom à une chose est une opération toute simple, ce qui est loin d’être vrai. » [429] Le terme opération fait référence au processus langagier par lequel le référent (la chose) est pris en charge par le signe.  Cette opération relève de la parole, linguistique de l’énonciation et non de la langue (le langage moins la parole).

 

Lacan développe ces notions pour souligner leurs incidences sur l’inconscient et pour développer le cogito freudien.  De la division entre l’énoncé et l’énonciation, il retient que le repérage subjectif en découle du fait que le «  je   » « de l’énoncé est déterminé rétroactivement grâce à la présence de l’Autre qui l’entend dans sa signification véritable, sous une forme inversée.  Le «je » devient signification engendrée au niveau de l’énoncé, par ce qu’il produit au niveau de l’énonciation.  Le sujet se constitue,  «extrait d’une opposition à l’étendue --- statut fragile, mais suffisant dans l’ordre de la constitution signifiante. » Et il souligne : « Tout ce qui anime, ce dont parle toute énonciation, c’est du désir ». [430]  

 

 

 

 

 

 

 

La signification vacillante

 

Dans l’holophrase,  la signification vacille. Le sujet entend son propre message sous une forme non inversée.  Et de ce point où le sujet désire, où il tente d’arrimer ses perceptions sur leur souvenir, peut se produire une hallucination. Le signifiant surgit dans le Réel. Il n’y a vraisemblablement pas de distinction entre le sujet et l’objet de sa demande, pas plus, au moins pour le sujet, entre le signe et le référant.  Cependant il faut noter que la chose ou le référent a aussi son interprétant immédiat, différent du signifiant et différent de la chose même. Avant de reprendre ce point nous continuons notre réflexion concernant les holophrases.

 

Une holophrase se produit, selon Alexandre Stevens et d’après Lacan[431], quand il y a une absence d’intervalle entre S1 et S2. C’est cette absence d’intervalle qui permettrait au signifiant de se désigner lui-même.

 

Un signifiant étant ce qui représente un sujet pour un autre signifiant,[432] le premier signifiant, S1, est celui du trait unaire. C’est celui qui incarne, dans le sens de l’incarnation du sujet à partir d’un champ signifiant déjà là. [433] C’est celui « qui est entre tous les signifiants, ce signifiant dont il n’y a pas de signifié, et qui, quant au sens, en symbolise l’échec. »[434]  Ils ressemblent aux signifiants du cadre, des signes du système Wahrnehung de l’Esquisse.

 

Cette notion d’incarnation permet d’envisager le nouage des champs : Réel, Imaginaire  et Symbolique, ou alors, la formation d’une image d’après l’association des termes sensoriels, affectifs et intellectuels. Or pour comprendre les effets d’une holophrase, il nous semble important de cerner la notion de  l’objet réel en le distinguant bien de l’image et du signifiant.   En effet, Lacan s’écarte du linguiste avec ce problème de référenciation.  Selon Lacan : « Ce qui caractérise, au niveau de la distinction signifiant/signifié, le  rapport à ce qui est là comme tiers indispensable, à savoir le référent, c’est proprement que le signifié le rate. Le collimateur ne fonctionne pas. »[435] 

 

Lacan développe la notion de l’objet a dans son enseignement  à partir du concept de structure du sujet. Pour simplifier, ici, l’objet a est cet élément dont le sujet se trouve  écorné, le non-sens ou le non lust (une part de plaisir ou de jouissance), par l’opération instituant de l’Autre.  Cet objet peut se trouver des occurrences en tant que le sein, les fèces, le regard, la voix, le rien… , un objet de jouissance pour autant qu’il soit impossible, c’est-à-dire, d’un certain degré innommable et qu’il produisse des effets. C’est le trait unaire de l’idéal du moi, voir ce qui unit le sujet à l’Autre, désormais perdu.[436]

 

Pour Lacan, en tant que «trait unaire », l’objet a n’est  pas à situer comme objet matériel ou comme référant (au sens linguistique) mais comme signifiant. L’objet a est réel pour  autant qu’il soit impossible, insaisissable; détachable, si l’on peut dire, mais non partageable. En tant qu’objet réel il appartenait à un temps logique, pré-spéculaire, où l’objet se retrouvait comme faisant partie du sujet , là où le sujet se reconnaissait comme bobine ou comme vocable dans le célèbre jeu, fort-da [437] mais avant sa prise en charge complète sur le plan symbolique par l’intervention du terme du manque ou d’absence, c’est-à-dire comme cri.  Dans ce sens l’objet a dont nous nous occupons ici n’est pas l’occurrence de l’objet a en tant que la voix, qui sera plus à situer comme cri pour autant que celui-ci se sépare du sujet. Cependant c’est à partir de ce cri que s’organiseront la pulsion et les premiers vocables.

 

Pour comprendre pleinement les effets de l’articulation de cet objet réel avec le signifiant, nous continuerons le déploiement d’un temps logique pré-spéculaire. Cet objet réel devient  à un moment donné l’objet a, perdu à jamais.  Cependant, nous pouvons penser qu’à ce stade logique la conjonction des termes réel, symbolique et imaginaire auront des conséquences particulières.   

 

En effet, la considération de cet objet, d’après Lacan, du point de vue du  premier signifiant, S-1,  ou comme trait unaire,  permet d’envisager ce qui pourrait être ses effets sur le sujet, schizophrène, ou non, dans le fait que ce trait s’inscrit  comme quelque chose qui marque le sujet, un « tatouage » selon Lacan, c’est-à-dire comme un signe inscrit dans la chair.  En tant que signe ce trait ou cet objet a est un signifiant et comme tel participe au champ symbolique. Comme objet a, séparé,  il est cause d’un effet central au discours mais n’entre pas dans la série signifiant.  Tandis qu’en tant que chair il est ce qu’il y a  de plus réel.  L’image de soi chez le schizophrène surgit avec cette prise en charge du référent  par le signifiant d’une manière spécifique.

 

Dans sa considération de la mélancolie[438], Freud parle d’une « substitution de l’identification au choix d’objet » comme étant une « érection de l’objet dans le moi ».  Dans une formulation ultérieure[439], il envisage cette substitution comme étant une partie importante dans la formation du moi. Bien que Freud parle en termes d’incorporation, il est clair que l’objet en question n’est pas matériel même s’il est réel. L’incorporation sur le mode totémique fait référence à l’acquisition  des qualités sur un mode identificatoire, c’est-à-dire avant tout imaginaire mais à partir du signifiant et du réel.  C’est un mode particulier d’identification, impossible à dialectiser.

 

 Ce mode d’identification, primaire, à la différence du mode spéculaire, procède  par l’investissement de l’objet en tant que signifiant qui lie le sujet en tant que besoin.[440] Là, le signifié ne la rate pas.

 

Le signifiant S2, qui est aussi le Vorstellungsrepräsentanz, le représentant de la représentation, est celui auprès duquel le sujet est représenté et qui fait entrer en jeu le sujet comme manque. C’est le représentant idéationnel de la pulsion, celui qui peut se lier et s’échanger à d’autres signifiants dans la parole.

 

Nous comprenons d’après Lacan que S-1 est quelque chose qui s’inscrit là où l’objet a est perdu. Or chez nos patients, particulièrement chez les schizophrènes, il nous semble bien plus opportun de considérer S-1 comme ayant un rapport au cadre et plutôt S-2 comme ayant un rapport à la Chose, donc au tableau et à cet objet a, ici faux a

 

 

Equivalence ou confusion

 

Chez Monsieur L., nous avons remarqué qu’il y avait une sorte de confusion entre le « je suis » et le « chi » de telle façon qu’il semble que le S1, ou le trait unaire, se trouvait identique à l’objet a, lequel dans l’acte, semble être quelque chose de bien matériel. Cette identité, pour autant qu’elle soit une, ressemble à la définition lacanienne du métalangage, ou linguistique de l’holophrase. Il y a une concordance entre la nomination de l’objet « je » et  une partie d’un néologisme, cela fait penser à une équivalence entre l’onomatopée, ou image sonore, bien matérielle aussi, et l’objet corporel. 

 

La difficulté avec ce genre de structure théorique réside dans son développement, bien qu’il semble que les sujets schizophrènes fassent ce type de corrélation eux-mêmes, et en déduisent leur image. Le développement lacanien est très intéressant à cet égard puisqu’il permet une explication ultérieure de la formation du délire.

 

Dans son élaboration ultérieure de l’objet a, Lacan considère celui-ci à partir de la notion de jouissance et du Réel qui ne s’éclaire qu’à partir de l’Imaginaire. Selon Lacan « ce n’est que de l’habillement de l’image de soi qui vient envelopper l’objet cause du désir, que se soutient le plus souvent le rapport objectal.  L’affinité du a à son enveloppe est un des joints majeurs à avoir été avancé par la psychanalyse. C’est pour nous le point de suspicion qu’elle introduit essentiellement. » « C’est là que le réel se distingue. Le réel ne saurait s’inscrire que d’une impasse de la formalisation. »[441]

 

Lacan élabore ici la notion du lien du semblant[442] à  l’Autre  à partir  de l’objet a.   Or dit-il le Réel ne cesse pas à ne pas s’écrire faute d’une signifiance. Ce lien à l’Autre s’inscrit à partir d’une contingence corporelle[443] que Lacan nous dit phallique. C’est d’une manière homologue que tente et que ne cesse pas le schizophrène d’accéder à l’Autre. Le Un, selon Lacan, est quelque chose qui se compte sans être. Le schizophrène essaye de faire en sorte que l’Un est.  Ce que nous avons appelé un objet corporalisé donne existence, en quelque sort à ce Un.

 

Pour Lacan, le S2, le Vorwestellungsrepräsentaz ou représentation/représentant, est quelque chose d’autre qu’un néologisme qui lui est fixé d’une certaine manière à une représentation.  Nous observons chez notre sujet une sorte de gélification du S-2 autour de ce que nous appelons, pour simplifier, l’objet a  ou chez le sujet schizophrène,  un faux-semblant ou cet objet corporalisé.  Or pour permettre le développement de la parole puis du délire chez ces sujets, il est nécessaire que ce S-2, que nous déduisons à partir du néologisme, puisse rester mobile d’une certaine façon, même si cette mobilité reste limitée.

 

Un couple solide

 

Dans la solidification du premier  couple signifiant S1-S2,  l’holophrase donc, le sujet n’apparaît plus comme manque, comme en S barré poinçon a, mais bien comme monolithe dont la signification s’égale au message énoncé.[444] Il ne s’agit pas d’une substitution à l’objet ni d’une condensation.  Il n’y a pas d’intervalle entre les deux signifiants. Ce qui revient à dire que le sujet se désigne lui-même. L’opération de prise en charge du référent par le signe (situé du coté de l’énonciation) désigne le sujet en S2 comme s’il n’était que le reflet de ce qui a été désigné en S1. C’est un peu comme la définition qu’a donnée Lacan  du néologisme par sa fixation à une signification.[445] Or ce S-1 est inscrit à partir d’une contingence corporelle que chez le psychotique nous avons de la difficulté à situer comme étant phallique si nous ne considérons pas la castration chez celui-ci d’un point de vue d’un narcissisme premier.

 

Cette gélification de S-2 est singulièrement différente des messages de code chez Schréber. « Souvenez vous, dit Lacan, de ce qui peuple hallucinatoirement la solitude de Schreber --- Nun will ich mich …maintenant je vais me… Ou encore --- Sie sollen nämlich… vous devez quant à vous… Ces phrases interrompues, que j’ai appelées messages de code, laissent en suspens je ne sais quelle substance. On perçoit là l’exigence d’une phrase, quelle qu’elle soit, qui soit telle qu’un de ses chaînons, de manquer, libère tous les autres, soit leur retire le Un ».[446]

 

En effet le S-1 soutient selon les indications lacaniennes  le rapport au phallus, le rapport à l’Imaginaire. Ce rapport est forclos chez Schréber et le chaînon du nœud borroméen interrompu libère les autres. Chez le schizophrène, nous avons remarqué que la diachronie de la chaîne signifiant pouvait être préservée tandis que la synchronie sera perturbée. Dans ce cas le Un, dans le sens d’un signifiant donné par l’Autre sans signifié n’est pas retiré. Il y reste tel qu’il était donné, c’est-à-dire,  comme un rapport au corps. Or nous avons tout de même remarqué qu’il semblerait que la dysmorphophobie se déchaîne quand quelque chose se dénoue.

 

 

Le sujet en tant que besoin

 

Lacan voyait un exemple d’une mise en série du sujet avec les objets désirés dans le rêve d’Anna Freud. [447] Freud communique le rêve de sa fille (dix-neuf mois à l’époque) par le biais de ses paroles prononcées au cours du rêve suivi d’un jour de jeûne: « Anna F.eud, f.aises (erdbeere, la forme enfantine de prononcer fraises, Horhbeer (qui veut également dire fraises), flan, bouillie ! ».  Selon Freud :  « Elle employait alors son nom pour exprimer la prise de possession. Son menu comprenait apparemment tout ce qui lui avait paru désirable. Le fait qu’elle y avait mis des fraises sous deux  formes était une manifestation contre la police sanitaire domestique ; elle avait remarqué, en effet, que la bonne avait mis son indisposition sur le compte d’une grande assiettée de fraises ; elle prenait en rêve sa revanche de cette appréciation inopportune. »[448]

 

Ce rêve illustre l’accomplissement du désir par le rêve. Freud lui-même relève, deux paragraphes plus loin, un rapprochement entre ce qui pourrait être l’accomplissement du désir avec la définition des linguistes d’une holophrase : « Je ne sais pas de quoi rêvent les animaux. Un proverbe que m’a appris un de mes auditeurs croit le savoir. Il dit : « De quoi rêve l’oie ? De maïs ».  Et il ajoute en note d’autres proverbes : « Le cochon rêve de glands, l’oie de maïs », »De quoi rêve la poule ? De millet » Ainsi Freud résume : « Toute la théorie du rêve accomplissement de désir tient dans ces mots. »[449] Or nous remarquons que ce rêve est assez éloquent pour dire que la réponse hallucinatoire du besoin n’est pas du ressort de l’imaginaire comme répétition de la réalité. Au contraire c’est ce qui est propre au signifiant. Il surgit en tant qu’image à la suite d’une interdiction.  Le rêve d’Anna Freud diffère des soi-disant rêves d’animaux, selon Lacan, parce que le sujet se compte en se substituant aux aliments désirés.

 

Dans l’holophrase, selon Lacan, le sujet n’a pas besoin de se compter. Le monolithe – l’holophrase – c’est le sujet.[450]« C’est de cela qu’il s’agit, c’est l’articulation de la phrase, c’est le sujet en tant que ce besoin, qui sans doute doit passer par les défilés du signifiant en tant que besoin, est exprimé de façon déformée, mais du moins monolithique, […] le monolithe dont il s’agit, c’est le sujet lui-même, à ce niveau qui le constitue. »[451]

 

Le besoin en tant qu’il devient l’objet d’une interdiction  peut devenir l’objet de l’hallucination ou l’objet rêvé, se distinguant ainsi de l’objet instinctuel. Ce repérage signifiant indique la présence de l’Autre.  L’objet articulé par le sujet schizophrène dans l’holophrase, l’image de l’objet, que nous pouvons envisager par ailleurs comme objet a ou faux a, se confond avec sa perception, son articulation, avec son émetteur --- le sujet. Le sujet à ce niveau n’est pas institué par l’Autre. Il en reste marqué «comme tatouage »[452] par l’énoncé, qui n’émet pas d’autre signification. Cependant, est-ce qu’on peut dire qu’il ne se compte pas ?  Nous avons dit qu’il se substitue à cet objet, d’une certaine façon.

 

 

 

 

 

Holophrase et stase

 

Nous remarquons que l’holophrase telle que Lacan la développe ressemble à cette stase de la libido dans le moi décrite par Freud.[453]Freud se demandait si cette stase ou reflux de libido dans le moi  ne devenait pathogène qu’après l’échec du délire des grandeurs. En effet, la description lacanienne de l’holophrase n’est pas spécifique au délire. C’est une formation inconsciente qu’on retrouve selon lui dans des interjections, par exemple : « Du pain ! » ou « Au secours ! »,  aussi bien que chez l’enfant débile. Alexandre Stevens, d’après Lacan, incluait la structure psychosomatique dans cette série et envisageait d’en retrouver chez le psychotique. Il nous semble plus intéressant de distinguer la fonction du cadre du tableau, d’après Rank et plus précisément d’après M.-C. Lambotte.  Les structures psychosomatiques nous semblent se rapprocher de ce que nous avons observé dans les névroses narcissiques.

 

L’investissement d’un objet extérieur est remarqué par la présence du signifiant, S1, même si à ce stade le petit être ne distingue pas cet objet de l’objet imaginaire. La libido qui s’est retournée dans le moi ramène, si l’on peut dire, par ce mouvement un objet imaginaire susceptible de faire partie de la série d’objets rêvés, susceptible aussi d’être inscrit sur le corps, tel un objet corporalisé.

 

 La différence entre le schizophrène et le petit enfant qui rêve va se jouer semble-t-il,  dans l’intervalle S1-S2, ou peut-être  en termes freudiens, au niveau où dans la schizophrénie la circulation libre entre le préconscient et l’inconscient est coupée. Nous remarquons également la ressemblance entre l’holophrase ou cette stase et la Prägung d’un événement psychique traumatique originaire.  Ce Prägung  ne se référerait ici donc pas ici à la forclusion du signifiant phallique mais à une formation qui prendrait la place du signifiant phallique, tout en restant rattaché à celui-ci.

 

Nous rappelons également ici que l’étude du rêve par Freud comme texte est une étude du langage. Dans le rêve il y a du métalangage. Or Freud se garde de distinguer le rêve du récit du rêve.

 

Ordonné par l’holophrase

 

 Ce qui est ressenti par le sujet schizophrène de notre observation comme «une métamorphose », comme une expérience de dissociation et de transformation corporelle,  se rapporte à ce stade où les plus petites bribes de langue sont articulées dans un rapport qui semble être de contiguïté avec le corps, comme «un désordre de petits a ».[454] Une forme d’association peut se mettre en place, une métonymie du corps, où signes et objets se confondent, et participer à un véritable discours sur le sujet qui ordonne, d’une certaine façon, le désordre de petits a.

 

Ce  niveau de l’expérience proprioceptive peut être ordonné d’une certaine façon par la formation d’une holophrase.  Or cette holophrase participe toujours dans un rapport de contiguïté imaginaire avec le corps. Cependant, le prélèvement fait sur le corps ne pourrait être que symbolique,  le corps étant déjà pris dans un système de langage. Néanmoins, pour le sujet, le signifiant à ce niveau apparaît comme quelque chose de Réel. Il est  a priori dissocié de tout signifié.

 

Tous les éléments qui déterminent toutes les transformations allant de la métamorphose  jusqu’à la dysmorphophobie, se retrouvent pour  organiser une forme de compensation imaginaire chez ce sujet.  Ainsi, en dehors de l’expérience du stade du miroir qui neutralisera l’expérience du corps morcelé, il semble que le sujet peut construire des formes de compensation imaginaire où la reconstruction du sujet à partir de l’énoncé donnera une signification, même momentanée,  autre que  lui-même. La différence dans l’expérience schizophrène et l’expérience du petit sujet au stade du miroir se produit à partir de la formation de l’holophrase  qui se rapporte à cette confusion persistante entre le cadre et le tableau, entre lui-même et l’image de l’objet, image qui est déjà différente de l’objet lui-même.  La question qui surgit alors concerne la création de cet intervalle entre S-1 et S-2. 

 

Mise en série des objets

 

Le sujet sous l’effet de cet engluement imaginaire, se voit dans le miroir comme un objet réel. Rappelons que chez notre sujet,  au fur et à mesure que le délire s’estompe, la dysmorphophobie proprement dite se met en place. Pendant environ 13 ans la seule chose qui permette à ce sujet d’éloigner la jouissance angoissante associée à l’idée d’un visage atroce est la défécation.   Les coordonnées phalliques du cadre ne suffisent pas à arrêter la jouissance même si elles la limitent.

 

Pour ne pas perdre de perspective et confondre la fonction de l’objet réel avec celle du signifiant ou réduire la portée du signifiant à celle de l’objet, rappelons également  ici quelques  parallèles avec l’Homme  aux Loups. L’Homme aux loups était bien portant jusqu'au jour où il contracte une blennorragie.  Par la suite se développe le  symptôme  bien curieux que nous avons déjà remarqué : L’Homme aux loups voit le monde à travers un voile, un voile qui disparaît quand il défèque. Il  passe une certaine partie de son temps à se faire faire des lavements pour évacuer  régulièrement ses selles.

 

 Freud lui fera associer sur le sens du mot voile pour en faire sortir quelque chose qui paraît comme un  signifiant coordonné à l’objet a désormais perdu. La notion de don et d’argent qu’il amènera dans cette étude ne laisse pas de doute sur la valeur symbolique prise par cet objet. [455] Plus tard, l’Homme aux loups  ira en analyse chez Ruth MacBrunswick pour un symptôme dit «hypochondriaque »[456], déclenché probablement par la mise en série de cet objet avec l’argent donné par les psychanalystes par l’intermédiaire de Freud. Le symptôme en question  concerne le trou que l’Homme aux loups croit voir sur son nez. 

 

Comme auparavant il passait son temps aux toilettes, là,  «sa vie  était concentrée dans le petit miroir qu’il portait dans sa poche et son sort dépendait de ce que celui-ci lui révélait ou de ce qu’il allait lui découvrir. »[457]

 

Après la période féconde du délire, l’extraction de l’objet a, porteur de jouissance, était le seul moyen que notre sujet, comme l’Homme aux loups,  avait  pour venir à bout de sa dysmorphophobie. La baisse de l’angoisse dont témoignent ces sujets semble indiquer qu’il y a une certaine mise en série signifiant des objets corporels avant une séparation momentanée ou prise de distance avec ceux-ci. Il semblerait que d’autres pratiques corporelles chez des malades schizophrènes aient la même portée.

 

Néanmoins, c’est en tant que l’objet a est associé aux signifiants de l’holophrase que nous voudrions souligner les effets. La mise en série des signifiants des objets  avec leur inscription corporelle ne suffira jamais à éloigner suffisamment la jouissance pour éviter les phénomènes dysmorphophobiques ou hypocondriaques complètement. Nous avons en effet observé que le surgissement des hallucinations auditives était aussi angoissant que l’image en miroir.  C’est  un peu comme si le «je » de l’énoncé, la formulation holophrastique fonctionnait à ce niveau seulement comme un shifter.

 

 

 

 

Se faire un corps

 

Cette mise en série métonymique peut permettre une forme de compensation imaginaire. Elle semble permettre à ces sujets de se faire un corps par l’investissement de cet objet corporalisé un peu comme Joyce peut «se faire un nom. »[458]  Le sujet arrive en quelque sort à se compter, comme dans le rêve d’enfant. C’est par le biais de ce boulon imaginaire, fait non seulement de signifiants  mais aussi d’un signifié, que le sujet peut mettre en série les éléments du corps avec les éléments de la langue. Ce signifié est déjà autre chose que le référent, ou la chose. Comme le besoin il est déjà marqué du signifiant.

 

Malgré leur apparence destructrice, les pratiques corporelles, comme pour  la formation des chaînes signifiantes, semblent constituantes dans la mesure où du point de vue du sujet il s’en sépare ou s’en éloigne  de l’objet a et  il s’évanouit  dans une forme d’énonciation où la signification est prise rétroactivement sur l’énoncé. Nous avons  vu que ce n’est que dans l’énonciation qu’il y a une constitution signifiante.  Comme le «je » de l’énoncé, l’holophrase en elle-même n’est qu’un lieu tenant.  Elle indique l’endroit  où le désir du sujet est lié à l’Autre, ici non comme manque mais comme hallucination ou image phallique que constitue un retour dans le moi de l’investissement de la libido.

 

La notion du retour de la libido sexuelle dans la schizophrénie signalée par Freud est importante à retenir. En effet nous pouvons penser que l’investissement de la libido quitte un lieu où dans la dysmorphophobie elle fera retour. Elle va jusqu'à l’investissement de l’objet extérieur, marqué des signifiants et sous cette forme elle fera retour abandonnant la représentation de l’objet comme l’envisageait Freud.  Cependant, quand la libido investira à nouveau les objets, dans la schizophrénie, nous avons remarqué qu’elle investit d’abord des objets corporalisés dans le sens où ils sont des objets qui ont une contingence corporelle mais qui ont déjà été marqués par le signifiant. Dans le délire ces mêmes signifiants refont surface.  Nous comprenons ici pourquoi l’objet corporalisé est différent de l’objet du corps ou de l’objet instinctuel et pourquoi le schizophrène s’y confond avec celui-ci.  L’objet corporalisé est caractérisé et existe uniquement par ce signifiant, S-2.    Chez notre sujet, la défécation est un moyen  de créer un intervalle momentané entre ce S-2 corporalisé et le S-1 du cadre.

 

La suppléance que Lacan a nommée Sinthome est une forme de nouage.  Ce nouage éclaire rétroactivement la formation de quelque chose qui fonctionne comme une métaphore, métaphore qui trouve son assise dans un Réel traduit dans le Symbolique sous une forme à la fois métonymique et homophone.

 

 La  dysmorphophobie se produit, semble-t-il, quand quelque chose jusque là noué se dénoue, un peu comme dans la chaîne Joycienne quand Joyce s’est fait battre par ses pairs.  Joyce nous fournit cet exemple, parmi d’autres, où il ne reste de lui qu’une «pelure », un déchet que Lacan dit être le résultat de ce dénouage entre les registres : Réel, Symbolique, et Imaginaire[459]. C’est comme si l’holophrase, n’ayant plus d’intervalle, ne permettait plus de nouage. Or comment repérer l’existence de telles formations inconscientes chez un sujet ?

 

 

 

 

 

 

Ce qui fait signe et ne se trompe pas

 

L’apparition d’un néologisme, véritable langage d’organe, que Lacan désigne comme étant ce qui ne se trompe pas[460]  permet de repérer l’existence d’un Sinthome holophrastique.  En effet ces néologismes trouvent, semble-t-il, leur appui sur des éléments  évoquant le corps et ses objets, tantôt d’une manière homophone, tantôt comme appartenant à sa nomenclature.  Ce n’est pas l’holophrase elle-même mais un élément que nous avons déjà distingué. 

 

Dans chacune de ces séquences parlées, une coordination phonétique apparaît  là où tous les niveaux de la fonction signifiante sont  dénudés. L’examen de ces phrases nous amène au plus près de ce qui donne au sujet une métaphore subjective ou plutôt une suppléance à celle-ci. Cette formation, distincte de la métaphore paternelle, ici forclose, participe néanmoins à une solidification de la séquence parlée. [461]

 

Sans le développement d’un nouage sinthomatique, à partir de l’agrandissement de  l’holophrase,  S1 – S2, le sujet ne peut que s’identifier, avec l’image de cette chose  corporelle qu’il tend à extraire comme objet.  Ce signifiant ou objet corporalisé, l’objet a ici faux a, participe comme un élément mis en série avec les éléments langagiers dans leur formulation ultérieure non pas comme objet mais en tant que référent associé.L’objet est pris en charge par un signe qui se donne pour inscription de trace en tant que signifiant, signifiant holophrasé. 

 

Cependant il peut déjà avoir une forme de compensation imaginaire qui consiste dans l’organisation des petits a par leur association signifiante. Il se produit une forme d’assomption de l’image comme au stade du miroir. Dans la mesure où les associations les plus fréquentes dans la schizophrénie sont des associations par assonance, il nous semble possible que la voie de l’association  métonymique permette une prise en charge de ce nouveau matériel comme s’il  s’agissait d’un élément homogène.

 

Suspension et nomination

 

Nicole Borie présente un cas qu’elle appelle « Jean le grammaire » qui démontre également une forme de contiguïté homophone en lien avec le corps. Jean le grammaire  trouve un système translinguistique un peu comme celui de Wolfson où les objets maternels, anglicisés, se font appréhender sous une forme étrangère, se faisant ainsi libidinaliser par une Autre langue. Jean le grammaire habite dans un village frontalier européen. Il parle plusieurs langues. Quand  N. Borie le rencontre il utilisait une pratique corporelle pour maîtriser l’angoisse, un peu comme Monsieur L. et l’Homme aux loups utilisent la défécation. Il s’injecte de l’eau dans son pénis par l’ouverture, avec une seringue. L’eau doit ensuite trouver une issue comme les urines. 

 

N. Borie décrit un montage mis en place par son patient. Il se photographie nu. Il expose ses photos et il dit : Je nackt.  C’est selon lui-même, une performance. Le mot nackt sera un néologisme qui semble être dérivé  à partir  des mots allemands : nacken, nacheakt et nackt, qui veulent dire respectivement : s’échiner ou orgueil, nu ou dépouille, et acte de théâtre.  Ce néologisme, dit-elle, est à situer entre nu et acte.    Nous remarquons ici également une forme d’assomption d’image par la mise en série de ces « objets » du corps.  Cette notion d’assomption d’image nous semble particulièrement frappante ici où le sujet se photographie pour ses « performances ». Nicole Borie insistait surtout sur la fonction de la nomination dans ce type de cas.[462]

 

Cette nomination ressemble à un réinvestissement de la libido comme le décrivait Freud. Néanmoins N. Borie souligne la nécessité d’une suspension pour permettre cette nomination. Cette notion de suspension rejoint ici, nous semble-t-il, celle de l’intervalle entre S1-S2 nécessaire pour permettre une suppléance. Quoi qu’il en soit, nous remarquons toujours le lien avec un signifiant qui semble se présenter comme un signifiant maître et un autre signifiant un objet corporalisé.

 

 

 

 

Compensation imaginaire

 

Selon Lacan, l’holophrase n’est pas  articulable dans un discours. Il nous semble pourtant que l’association par voie métonymique permet de construire des chaînes d’énoncés de plus en plus importantes et variables qui ont pour conséquence d’éloigner la jouissance dysmorphophobique et de construire une compensation imaginaire qui pallie les effets du Réel.

 

Notons encore que l’holophrase chez Monsieur L. participe à une certaine dynamique dont nous remarquons les paliers distincts, là où le sujet trouve une forme de suppléance à partir de la chaîne signifiante, là où le glissement de la chaîne signifiante s’arrête et le sujet se trouve momentanément stabilisé comme  «une vache à lait », «un jeu de cheval » comme «un chiale », là, dans l’acte de déféquer, et encore là, le moment où la langue se délie et l’envahissement dysmorphophobique se fait sentir.[463]

 

Quand Lacan introduit la notion linguistique de l’holophrase, il introduit en même temps un mathèm en référence à l’enfant débile.  Le sujet prend place dans ce tableau dans la suite des identifications, «au regard de ce quelque chose à quoi la mère le réduit à n’être plus que le support de son désir dans un terme obscur. »[464]  Ce terme obscur est l’objet a, mais l’objet a en référence au regard de la mère, c’est-à-dire l’image de l’objet.    C’est au niveau du sujet de la jouissance où est à situer une suite des identifications. Pour notre sujet, c’est pour autant qu’il s’identifie à cet objet corporalisé que la dysmorphophobie se présente et la langue se délie.  C’est dans la mesure où il n’y pas d’association possible entre les termes de l’holophrase et les autres signifiants, que le sujet ne peut que rester capté par son image en tant que déchet.  

 

Suppléance

 

Lacan oppose dans ce tableau le sujet de signifiant, S-2, où il y a une suite de sens. C’est à partir de là qu’il peut y avoir une constitution signifiante.[465]  C’est dans la mesure où le sujet peut déployer l’holophrase  par son association avec d’autres signifiants où la suite de sens peut se capitonner par une opération qui ressemble à celle de l’énonciation que l’holophrase jouera un rôle de nouage pour faire éventuellement une suppléance.  Or nous remarquons que l’endroit même chez ce sujet où il  y a une suite des identifications, se trouve être cette suite de sens. Il semble paradoxal que le schizophrène, à la différence du paranoïaque, se construise à partir des coordonnées de la Chose (là où faux  a se situe) et que celles-ci  se trouvent du côté du sens.  Nous rappelons combien cette articulation donne l’impression d’être issue du corps lui-même mais aussi comment la sensibilité poétique du schizophrène est ce qui captive finalement  l’Autre.   

 

Dans une relation de confiance, qui a pu être installée avec son analyste et peut être à la faveur des éléments du retour du nom propre, Monsieur  L. a pu s’aventurer  quelque peu en dehors des murs de l’hôpital.  Il trouve refuge dans des bars PMU où il a trouvé une véritable passion dans le tiercé :  « jeu de cheval » et une dimension de reconnaissance auprès des «amis » par ses gains.  Sa dysmorphophobie, l’angoisse d’avoir la peau trouée, se trouvent alors momentanément apaisées dans la mesure où il accepte d’affronter le regard d’autrui. 

 

Dans ces mêmes séquences donc le sujet trouve les éléments d’un type de suppléance. L’holophrase sera l’appui d’une forme de suppléance à la métaphore du nom du père manquant. Cependant sans une association de suites de sens, elle ne permet pas le nouage des trois registres.

 

La  formule holophrastique semble se réorganiser autour de ce boulon originaire[466] jusqu’à ce  que le sujet trouve une formule pour faire une sorte de suppléance. C’est cet intervalle entre S1 et S2 qui distingue finalement  le mot de la chose. Son absence fait leur confusion . [467]

 

C’est dans la mesure où les éléments de l’holophrase peuvent trouver une nomination du côté de la série des sens qu’un intervalle peut être créé, non permanent certes, avec la série des identifications.  Ainsi cet élément holophrastique tend à restituer une forme de compensation imaginaire par l’organisation des petits a, la mise en jeu du  Réel.  Lacan fait allusion au dhvani dans « Fonction et Champ de la parole et du langage en psychanalyse » comme «la  propriété de la parole de faire entendre ce qu’elle ne dit pas ».[468] Ainsi Monsieur L. semble trouver  une forme de suppléance ou nouage pour permettre une parole, une forme de lien social, de même que sur un mode délirant, pour ce sujet : « JE, J-E de Cheval ».     

 

Ce « Je de cheval »  tient lieu de métaphore pour autant qu’il organise la structure du sujet à partir de son articulation avec l’objet a. Selon Maleval, « un imaginaire phallique s’est restauré  permettant de donner une certaine assise »  à la représentation de lui-même, de sorte qu’il n’a plus « le sentiment déstabilisant de manquer d’un fondement essentiel si souvent rencontré » lors des périodes dysmorphophobiques ou de « significatisation ».[469]

 

En effet l’image du sujet est ici tout à fait différente des périodes précédentes, identifiées par Maleval comme P0 et P1. Monsieur L. est toujours prêt à se battre mais  la prégnance de l’image indique ici qu’il se développe de même dans la dimension imaginaire un processus d’atténuation des troubles.  Le sujet s’identifie à une image idéale de lui-même.[470] Cette image, chez le sujet schizophrène, se développe à partir de ce boulon S-2/corps, comme pour les autres images de lui-même. Cependant, les processus d’atténuation concernant la mise en place d’un intervalle suffisamment important entre S1 et S2 créant l’image qui lui permet de s’éloigner de la Chose, sont faites de coordonnées phalliques de la Chose elle-même. Cette image est différente de l’image phallique Schreberienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Rêve 
 
 Quelle Structure ?

 

Nous avons repris tout au long de ce travail certains concepts de la théorie freudienne du rêve tout en sachant que Freud distinguait, à partir de son travail sur le président Schréber, le rêve et le délire.  En effet, si nous comparons le rêve et le délire, c’est pour mieux comparer les structures psychiques qui pourraient être communes aux deux. Principalement nous pensons que nous avons pu isoler une formation qui rend impossible la circulation libre des investissements entre l’inconscient et le préconscient dans la schizophrénie. Nous voulons savoir si cette même formation apparaît dans le rêve ou dans certains rêves et si elle fonctionne de la même façon.

 

Nous avons pris l’exemple de Lacan d’une mise en série du sujet dans le rêve d’Anna Freud. Remarquons que Lacan situe la notion d’holophrase d’abord par rapport à l’imaginaire. Or dans la mise en série des objets imaginaires avec le prénom du sujet nous ne pouvons que déduire l’incidence de S1 ou S2 sur la formation éventuelle d’une série telle que Lacan isole ici. Cependant nous remarquons la présence d’une mise en série concernant les coordonnées du sujet dans le rêve et nous espérons en trouver d’autres.

 

Beaucoup a été dit au sujet du rêve de l’Homme aux loups également et nous pouvons penser qu’il existe un lien entre les loups de son rêve et le voile pour lequel il consultait Freud. Rappelons que c’est dans le cas de l’Homme aux loups que Freud a été le plus loin dans sa recherche d’un événement traumatique originaire.  Nous avons remarqué le lien entre quelque chose que Lacan a appelé le Prägung de cet événement avec l’inscription de celui-ci sur le corps de notre sujet.

 

 Freud relie le rêve de l’Homme aux loups avec le fantasme du sujet de retourner dans le corps maternel. Ce fantasme est interprété par Freud comme étant le désir de rencontrer son père lors du coït. Il donnera la même interprétation au symptôme du voile. Nous sommes frappés par le fait que tout le travail de l’interprétation de Freud tourne principalement autour de ces signifiants et par le fait que Freud lui-même a remarqué que la phobie de l’Homme aux loups était une phobie où l’objet « loup » n’était même pas essentiel pour provoquer l’angoisse du sujet. 

 

L’objet du rêve, selon Lacan, est le regard. L’Homme aux loups s’est fait « loups regardant ». Est-ce que cela voudrait dire que le sujet s’est mis ainsi comme la petite Anna Freud en série avec les objets bien que sa place apparaisse comme vide ?

 

 

 

Retour et réveil

 

Le rêve, d’après Lacan, est omnivoyeur. Cependant ce n’est pas pour autant qu’il est angoissant.  En effet, pour mieux cerner les rapports possibles entre le délire et le rêve, il faut considérer l’angoisse et son rapport au rêve.  A la fin de son œuvre, Freud distinguait les cauchemars des autres rêves dans le fait qu’ils constituaient un échec pour le travail du rêve comme gardien du sommeil. 

 

Nous avons remarqué chez Monsieur L. que l’angoisse dysmorphophobique, comme chez l’Homme aux loups, s’est dissipée quelque peu au moment où le sujet allait aux toilettes. Cette angoisse disparaît pour réapparaître dans l’absence d’intervalle entre  S-1 et S-2.  Nous pouvons dire que l’angoisse apparaît dans l’absence d’un S-2 lié soit à l’objet corporalisé, expulsé, soit  à un  S-1 suffisamment distant. 

 

C’est dire presque, que le S-2 devient un S-1 dans ces deux cas ou  alors comme si le faux a devient un vrai.  Cependant nous voulons éviter une confusion qui pourrait surgir quand nous annonçons un  « devenir »  de  S-1 ou de S-2. L’un ne peut pas devenir l’autre. Cela reviendrait à dire qu’il y a une absence d’intervalle entre les deux signifiants.  De toute façon, il y a un investissement libidinal qui fait retour sur le moi et qui lui cause des ennuis aussi longtemps que cet investissement reste « sur le corps ».  C’est également à ce moment que l’angoisse apparaît dans le rêve.

 

Si le travail du rêve est de protéger le sommeil d’un retour de refoulé, d’un S-1 (dans la névrose) sous une forme non travestie, l’échec du travail du rêve est-il comparable à l’absence d’intervalle entre S-1 et S-2, où apparaîtrait un S-1 comme l’image de lui-même ou comme un S-1 non lié ?  L’angoisse dans le rêve de l’Homme aux loups apparaît au moment où les loups, son « objet phobique » le regardent.  Avant de retourner à la discussion de Freud où  son intuition le conduit à chercher la  marque dans ce rêve d’un refoulement originaire, nous pouvons être saisis par le fait que c’est justement autour de ce signifiant loup que le rêve n’arrive plus à faire son travail de gardien du sommeil. 

 

L’ombilic

 

Ce moment du rêve où le contenu du rêve surgit comme ce que Lacan appelait le réel du rêve correspond à cet endroit  que Freud a appelé l’ombilic du rêve. Il s’en explique : « Les rêves les mieux interprétés gardent souvent un point obscur ; on remarque là un nœud de pensées que l’on ne peut défaire, mais qui n’apporterait rien de plus au contenu du rêve. C’est l’ombilic  du rêve, le point où il se rattache à l’Inconnu. Les pensées du rêve que l’on rencontre pendant l’interprétation n’ont en général pas d’aboutissement, elles se ramifient en tous sens dans le réseau enchevêtré de nos pensées. Le désir du rêve surgit d’un point plus épais de ce tissu, comme le champignon de son mycélium. »[471]

 

Ce point plus épais nous apparaît  par bien des côtés comme un S-1, un signifiant ancré dans le réel, l’Inconnu .  C’est justement lors son apparition que le sujet se  réveille.  Chez l’Homme aux loups cet instant est marqué par l’effroi. Et il nous semble que Freud s’en approche le plus quand il étudie le domaine de l’inquiétante étrangeté.  Freud se dit : « On aimerait savoir quel est ce noyau commun susceptible d'autoriser, au sein de l'angoissant, la distinction d'un «étrangement inquiétant ».[472]

 

Ce même signifiant est responsable de la construction de l’objet phobique chez l’Homme aux loups. Cet objet phobique est peut-être d’une structure déjà un peu différente de l’objet  phobique de Hans. Nous sommes limités ici à un travail sur la schizophrénie mais nous pensons que cet S-1 tient une place ici comme représentation d’un objet investi libidinalement, là où Freud voit une stase de la libido ou une submersion du Moi par la libido avant que cette représentation ne soit elle aussi abandonnée dans la schizophrénie. Déjà Freud remarque l’impossibilité d’atteindre tout à fait cet objet par l’analyse comme si la circulation libre entre l’inconscient et le préconscient était déjà impossible comme dans le rêve.

 

 

L’abandon de l’objet

 

Si le S-1 dans le cauchemar correspondait à cette même structure, enfouie lors d’un refoulement originaire, cette chose qui n’est pas liée à un S-2 suffisamment éloigné dans la schizophrénie, la stase dont parle Freud nous semblerait être une condition préliminaire pour le retour de la libido dans le moi. Cette stase est un lieu tenant  indiquant l’endroit où va s’acheminer la libido quand, lors du délire, l’objet corporalisé, puis la représentation de l’objet originellement abandonné, vont être réinvestis pour donner au délire non seulement sa forme mais aussi le lieu de prédilection pour le développement du langage d’organe.  L’importance que donne Freud à une libido sexuelle différente d’une libido du moi tient beaucoup à cette dynamique dont elle dépend.

 

Il ne semble pas nécessaire, pour la libido dans le rêve et dans le cauchemar, d’abandonner complètement la représentation de l’objet. Le cauchemar semble désigner la même structure que le délire mais le désinvestissement de l’objet ne se poursuit pas au-delà de l'objet fantasmé peut-être justement parce que le sujet se réveille.   Néanmoins l’angoisse, ou l’effroi dans le cauchemar nous signalent la présence de ces signifiants qui dans la dysmorphophobie schizophrène sont également présents mais sous une forme  non liée.

 

 

Mots d’effroi

 

L’expérience démontre que le réveil survient en lien avec un contenu non forcément effrayant pour le rêveur lui-même quand celui-ci est réveillé. Ce contenu peut survenir sous une forme verbale avec un sens qui paraît à l’observateur comme étant totalement banal. Mais pour le rêveur ces mots ont une qualité étrangement inquiétante. Dans le rêve de l’enfant qui brûle le père se réveille après avoir entendu son enfant dire : « Ne vois-tu donc pas que je brûle ? » Freud isole la partie de la phrase : « Père ne vois-tu donc pas ? » comme ayant trait au sentiment de culpabilité du père à propos d’un autre événement[473] mais il nous semble que ces signifiants signalent la présence d’une structure proche de celle que nous avons décrite précédemment.

 

Nous avons observé une patiente dont le réveil était marqué par cette expression : « c’est tout à fait ça».  Cette expression avait également marqué sa jeunesse à des moments clés, associée à des événements infantiles d’ordinaire banals sauf  par le fait que c’était une expression particulièrement courante chez son père, instituteur. Aucun autre contenu ne pouvait expliquer pourquoi elle qualifiait elle-même son rêve de cauchemar et il ne semble pas qu’il s’agisse d’un déplacement[474] d’affect à moins que ne nous prenions en considération la notion de complexe affectif tel que le décrit Jung. Cette dernière hypothèse n’écarte en rien la pertinence de l’observation pour ce qui concerne le réveil survenu au moment du surgissement des paroles.

 

 Est-ce le signifiant qui provoque le réveil ou l’image associée ?  Nous avons déjà beaucoup insisté sur le rôle du signifiant dans la formation de l’image chez le schizophrène et dans les névroses narcissiques. La distinction que fait Freud entre la peur, l’effroi et l’angoisse dans Au-delà du principe de plaisir semble indiquer que l’effroi est un état qui surgit lorsqu’on n’est pas préparé. Il l’associe au traumatisme. A la différence de la peur, l’effroi est sans objet. Par contre l’angoisse se différencie dans ce texte de l’effroi et de la peur parce qu’elle surgit dans l’attente de l’objet.[475]

 

Dans l’article La tête de la Méduse  il est clair que l’effroi dont parle Freud est provoqué par la vision non préparée de l’organe génital de la mère. L’effroi surgit donc par rapport à ce qui est vu.  Le sujet se trouve dans l’obligation de faire appel à l’imaginaire pour y faire face.  Est-ce que le sujet réagit dans ce cas comme dans d’autres en faisant appel au symbolique, c’est-à-dire par voie signifiante, tel le déni[476] du Petit Hans... J’ai vu Maman toute nue en chemise et par là, récupérant du sens même au cours du rêve ? C’est ce que semble indiquer Freud dans son interprétation du rêve de l’enfant qui brûle, qui exprime le désir du père de voir son enfant encore en vie, ou, du moins, de prolonger quelques instants la vie de son enfant. Or la régression formelle du rêve consiste à un retour des modes d’expression antérieure où les pensées se manifestent en images.

 

Comment Freud explique-t-il  le travail du rêve concernant la présence du discours ? « Car, dit-il, le travail du rêve ne saurait non plus créer des discours. »

 

« Dans la mesure où des discours et des réponses apparaissent dans les rêves, qu’ils soient sensés ou déraisonnables, l’analyse montre chaque fois que le rêve n’a fait que reproduire des fragments de discours réellement tenus ou entendus qu’il a empruntés aux pensées du rêve et employés à son gré. Non seulement il les a arrachés de leur contexte et morcelés, a pris un fragment, rejeté un autre, mais encore il a fait des synthèses nouvelles, de sorte que les discours du rêve, qui paraissaient d’abord cohérents, se divisent, à l’analyse, en trois ou quatre morceaux. Dans ce nouvel emploi, le sens que les mots avaient dans la pensée du rêve est souvent abandonné : le mot reçoit un sens entièrement nouveau. »[477]

 

Hypothèse de ressemblance du rêve et du délire

 

Nous remarquons ici que le travail du rêve décrit par Freud ressemble étrangement aux processus que  nous décrivons  chez le schizophrène. Cependant la description que fait Freud n’explique pas pourquoi le travail du rêve ne transforme pas ici les mots en images, régression formelle typique des  rêves.  Nous nous demandons pourquoi certaines paroles, certains signifiants résistent  à cette transformation, préférant semble-t-il  la voie signifiante tel le délire.  Y aurait-il une formation dans ces rêves qui ressemble à celle que nous trouvons dans les délires ? Nous avons pu remarquer que le rêve chez notre sujet schizophrène n’était pas schizophrène dans sa capacité métaphorique. Il comportait pourtant les mêmes éléments que son délire. L’élément que nous avons isolé se retrouve également sous une forme « métaphorisée » dans son activité quotidienne de jeu de tiercé. Il nous semble que l’hypothèse de l’existence des  structures semblables dans les discours des rêves pouvait nous conduire à reconsidérer la question de la ressemblance du délire et du rêve. 

 

Peut-être des holophrases se retrouvent-elles dans les rêves ou alors un boulon signifiant/corps. Le signifiant maître (S-1) est probablement aussi présent dans d’autres rêves où  il est plus difficile de le retrouver (et peut-être n’y a-t-il plus cette association sans intervalle avec un S-2).  Il se présenterait alors simplement sous la forme des parties du corps comme dans le rêve de Freud, l’Injection faite à Irma, où l’on retrouve les signifiants dans le récit précisant des régions impliquées plus tard dans son propre cancer. Dans une note sur le récit du rêve à propos de la bouche, Freud dit : «J’ai le sentiment que l’analyse de ce fragment n’est pas poussée assez loin pour qu’on en comprenne toute la signification secrète. Si je poursuivais la comparaison des trois femmes, je risquerais de m’égarer. Il y a dans tout rêve de l’inexpliqué ; il participe de l’inconnaissable*. » Il parle également de son usage de la cocaïne pour combattre un gonflement douloureux de la muqueuse nasale et du fait qu’une malade ayant appliqué le même traitement ait une nécrose étendue de la muqueuse et qu’un autre en soit mort.[478]    Nous connaissons également le choix de Freud d’un O.R.L. pour son ami nécessaire…

 

Ainsi le retour permanent du même de Freud se voit traduit dans les « mêmes traits du visage, caractères, destins, actes criminels, voire de noms à travers plusieurs générations successives »[479] aussi bien que dans les formes plus insolites du rêve et du délire. Ce même dont Freud parle dans l’inquiétante étrangeté, Lacan pensait qu’il était coordonné avec l’objet a. C’est ce qu’il appelle le trait unaire ou S-1.  Nous avons distingué en quoi ce même peut être associé au cadre, ou alors au tableau, et aussi à une intrication des deux. Ce même ne deviendrait inquiétant que dans la mesure où quelque chose du cadre fait défaut et que le manque de distinction avec le tableau fait surgir l’objet a.

 

Il semblerait ainsi dans le cauchemar que ce soit la remise en série signifiant (S-1), élément du cadre, avec son signifié, l’objet a, ici, correspondant peut-être au moi, (image du tableau) qui cause le réveil et puis, par cette rupture, le rétablissement d’une hétérogénéité. 

 

 

 

Métaphore des restes verbaux

 
Freud fait une distinction entre l’inconscient et le préconscient. L’inconscient est le lieu des éléments non verbaux. L’objet de l’investissement est abandonné en tant que tel et apparaît, sous l’effet de la régression formelle, sous forme d’images, acoustiques et visuelles. Le préconscient est le lieu des restes verbaux. Dans la schizophrénie, à la différence du rêve, Freud nous dit que la communication entre l’inconscient et le préconscient est entravée. L’objet est abandonné.
 
 Il nous semble maintenant clair que ce que nous avons appelé « objet corporalisé » est plus qu’un déplacement, la métonymie, c’est une sorte de métaphore faite de restes verbaux dans la présence de l’objet. A la différence de la métaphore paternelle ou de toute autre métaphore où l’image (phallique dans le sens lacanien) surgit à la place de l’objet absent coordonnée à S-1, cet objet corporalisé concerne une image qui surgit à la place d’un reste verbal, S-2, qui lui reste étroitement corrélé.
 
Selon Jakobson, Peirce[480] appelait ce dispositif dans le langage une  icône  et l’opposait  à l’indice et au symbole (métaphore au sens lacanien). La notion d’icône[481] est à notre sens plus judicieuse pour décrire cette occurrence dans la langue de quelque chose qui ressemble par moment plus à un objet et qui se distingue de la métonymie lacanienne. Le processus métonymique existe chez le névrosé aussi bien que chez le psychotique  et concerne la contiguïté de la langue dans la parole bien que les psychanalystes lacaniens empruntent cette notion pour parler, comme nous l’avons fait, d’une « métonymie du corps ».
 
L’icône  concerne selon Peirce la similitude de fait entre le signifiant et le signifié. C’est là  où le signifié ne rate pas son référant, il lui reste étroitement corrélé comme dans un  néologisme, malgré son abandon apparent. C’est aussi un dispositif linguistique déjà très proche de la notion de l’holophrase, selon les langues.  Nous n’omettons pas le choix de ce terme d’icône en informatique où une image sur le tableau ou « bureau » sert comme point de départ pour ouvrir les « fenêtres » et pour accéder au contenu de la mémoire de l’ordinateur. Cette question pourrait faire l’objet d’une autre recherche.  Mais nous pouvons désormais dire que c’est ce rapport entre l’icône et la fenêtre qui s’ouvre qui ressemble au rapport entre le S-2 de l’icône et le S-1 holophrasé.
 
Maleval cerne cette image chez le paranoïaque dans ces termes : « Ce n’est pas le phallus symbolique, mis en place par la loi de la castration, qui permet au paranoïaque de cadrer son être, mais une image phallique, qui n’inclut pas la fonction de la castration, et qui ne lui laisse d’autre possibilité que de se prendre à l’illusion de l’identité du moi et du sujet. »[482] Se  laisser prendre à cette illusion d’identité semble être une solution médiocre,  c’est néanmoins cette image qui fait suppléance à la métaphore manquant chez certains sujets. 
 
Il semble que ce type de métaphore ou d’icône apparaisse dans le cauchemar où elle reste compatible avec la névrose. Dans ce cas l’objet reste investi sous forme d’image comme dans d’autres rêves. Lorsque le signifiant surgit problématiquement, ou alors, s’holophrase, le sujet se réveille, semble-t-il.
 
Freud trouve une solution à ce paradoxe apparent en mettant en évidence par le concept du clivage la présence des deux attitudes psychiques : « L’une, la normale, tient compte de la réalité alors que l’autre, sous l’influence des pulsions, détache le moi de cette dernière. Les deux attitudes coexistent, mais l’issue dépend de leurs puissances relatives. Les conditions nécessaires à l’apparition d’une psychose sont présentes quand l’attitude anormale prévaut. Le rapport vient-il à s’inverser, alors survient la guérison apparente de la maladie. En réalité, les idées délirantes n’ont fait que réintégrer l’inconscient. »[483] Ainsi l’apparente confusion entre le rêve et le délire tient non seulement du traitement de la réalité par le sujet mais aussi  par le fait que la guérison apparente  vient de ce que les idées délirantes réintègrent l’inconscient. Il nous semble que c’est cela qui se produit quand l’holophrase se « métaphorisait » ou se métabolisait[484] par le « jeu de cheval » pour notre sujet.

 

Freud pense que Bleuler et Kraepelin ont eu « parfaitement raison de séparer une grande partie de ce qui  jusqu’alors avait été appelé paranoïa et de la fondre avec la catatonie et d’autres entités morbides en une nouvelle unité clinique » même s’il n’a pas retenu le terme « schizophrénie »[485].  Il n’a pas retenu pour les mêmes raisons le terme de « dissociation » préférant le terme « clivage » ou le Zerspaltung de Bleuler. Il utilise le terme dans son travail sur la psychose et le fétichisme.

 

Il nous semble que le raisonnement  de Freud pour maintenir l’unité clinique de la schizophrénie même s’il est en désaccord avec les nominations diverses soit juste. Les différentes phases du délire schizophrénique telles qu’elles sont décrites par Maleval nous semblent pertinentes. Cependant la prise en compte de la phase mégalomaniaque, que Freud disait être la recherche d’une guérison, comme forme de suppléance d’une folie unique (schizophrénie/paranoïa) paraît s’écarter de la spécificité des entités pathologiques et contourner un ou plusieurs mécanismes en jeu dans ces pathologies.

 

La spécificité pour la schizophrénie semble en effet se développer à partir d’un signifiant holophrasé, mais pas n’importe lequel. C’est ce point qui est si remarquable chez des sujets que nous avons étudiés. Ils semblent le rechercher eux mêmes, comme chez Artaud,  ou sans le savoir, le trouvent comme Monsieur L.. Ce signifiant semble faire partie simultanée du corps et de la langue. C’est le signifiant qui se trouve lié au signifié du corps.

 

Selon Bruno, Le Théâtre et son double  d’Artaud « projette la solution à l’infirmité subjective, que nous pouvons dire par anticipation universelle, à savoir la déperdition de pensée. D’ores et déjà, rappelons le principe forgé par Artaud : faire exister litttérairement son esprit. » …D’après Artaud : « Le théâtre est le seul endroit au monde et le dernier moyen d’ensemble qui nous reste d’atteindre finalement l’organisme »[IV, 97] ». « Pourquoi, s’interroge Bruno, vouloir « atteindre…l’organisme » ? La réponse est simple : la fuite de la pensée n’est rien d’autre qu’un effet  de « décorporisation ».[486] Bruno souligne chez Artaud cet effort à faire exister son corps qui tend à fuir, à se décorporiser (pour employer le terme d’Artaud), par le verbe. Il cherche lui-même par l’emploi des formes littéraires une structure « clé », responsable de la genèse des mots.  

 

Clivage intrasystémique

 

Cette structure langagière souligne la notion de clivage du moi (Ichspaltung) développée à partir de la  deuxième topique freudienne, différente toutefois de la dimension lacanienne où le clivage concerne la condition du sujet divisé, ou du Spaltung bleulerien, traduit par « dissociation » par la psychiatrie française. Ce clivage intrasystémique diffère également du clivage entre les instances, entre, par exemple, le moi et le ça, et concerne des processus.

 

 Cependant, il nous semble pertinent, malgré une tendance à confondre les notions de dissociation et de clivage, de faire intervenir ici la première topique pour rappeler que la rupture entre le préconscient et l’inconscient concerne cette partie du préconscient, faite des restes verbaux, qui est également marquée par la castration (la réalité au sens freudien) dans un sens autre que le refoulement. Les restes verbaux se trouvent coupées des traces mnésiques inconscientes avec lesquelles ils étaient auparavant liés lors du rejet, Verwerfung, par la conscience.  Dans le préconscient, les restes verbaux accumulés sont susceptibles de redevenir conscients. Donc si nous ne parlons pas de régression topique comme pour le rêve dans la schizophrénie, nous tentons de prendre en compte le destin des  traces mnésiques lors du Verwerfung

 

Le clivage du moi dont parle Freud lors de l’Abrégé de la psychanalyse est le résultat d’un conflit.  Le moi s’est séparé d’une partie de ses représentations étant donné les exigences rivalisantes du ça et de l’extérieur.[487] Dans la première topique Freud utilise également le terme de clivage. Cependant, ce n’est que lors de son élaboration de la deuxième topique qu’il en fait un concept. Examinons ce processus à nouveau, d’après les réflexions précédentes sur la formation d’une structure maîtresse de la schizophrénie.

 

Chez le schizophrène, le Prägung d’une première expérience traumatique marque l’objet abandonné lors de la stase de la libido aussi bien que le moi.  D’après la deuxième topique nous rappelons avec Freud que le « moi doit son origine, aussi bien que ses plus importants caractères acquis, à ses relations avec le monde extérieur. »[488]  Alors que « le ça, coupé du monde extérieur, a son propre univers de perception. »[489] La fonction du  moi, dit Freud, est « d’élever les processus du ça à un niveau dynamique plus élevé (peut-être en transformant de l’énergie libre, mobile, en énergie liée, celle de l’état* préconscient) ; le rôle constructif du moi consiste à intercaler* entre l’exigence pulsionnelle et l’acte propre à satisfaire cette dernière, une activité intellectuelle… »[490]

 

D’après la notion de l’investissement libidinal, selon les explications de Freud et de Jung, l’objet extérieur abandonné est également abandonné au sens imaginaire. Il n’existe plus sous une forme fantasmatique. Pourrons-nous dire, d’après Lacan, qu’il correspond à un signifiant sans signifié ?  Il nous semble pourtant que quelque chose persiste de cet objet, ce contenu, autrefois investi. Nous avons compris qu’il laissait une empreinte sensorielle, une sorte d’inscription en négatif, signe dissocié de ses résidus verbaux. L’organisation dynamique particulière du moi, sous forme d’énergie liée par les restes verbaux, est détruite par des forces pulsionnelles excessives de même que des excitations trop puissantes.[491]

 

Dans le sens de la première topique freudienne, cet objet reste dans l’inconscient sous forme de représentation pulsionnelle. Or selon Freud les liens avec le préconscient sont rompus. Accessible à la conscience sous la forme verbale de signifiant sans signifié, le non-savoir absolu du psychotique appréhende le mot comme la chose.  C’est lors du reinvestissement de la libido que le signifiant, S-2, se trouve relié à nouveau à ce signifié, signifié du corps chez le schizophrène.

 

 

Organisation originaire du moi ?

 

Dans le sens de ce qui pourrait être une organisation originaire du moi, et la relation que celle-ci aurait avec cette structure particulière de la schizophrénie, nous rappelons ici ce que  Freud considérait comme l’identité primitive du moi. [492] « Elle s’est développée à partir de la couche corticale du ça  qui, aménagé pour recevoir et écarter les excitations, se trouve en contact direct avec l’extérieur (la réalité). Prenant son point de départ dans la perception consciente*, le moi soumet à son influence des domaines toujours plus vastes, des couches toujours plus profondes du ça ; toutefois, continuant à dépendre du monde extérieur, il porte la marque indélébile de son origine*, une sorte de « Made in Germany », pour ainsi dire. »[493]

 

Cette marque indélébile prélevée du monde extérieur est un signifiant ,d’après le sens lacanien. Freud pensait déjà, lors de l’Esquisse, que ce signifiant formait un premier élément de la barrière de contact et modifiait à tout jamais les rapports du vivant avec le monde extérieur. Nous comprenons ici comment un signifiant, du monde extérieur, au contact avec le Ça, pourrait créer le moi qui n’existe à ce moment-là que comme élément infime. L’utilisation du mot « signifiant » ici est à prendre avec mesure. Un son, ou plutôt la perception d’un son, ne devient signifiant que dans la mesure où il marque le psychisme. Nous nous demandons si cette marque, couplée avec une trace mnésique S-2, représentation de chose, peut former une sorte de Moi-corps ?

 

 Est-ce que c’est ce moi-là, qui est en ce moment logique le signifié, l’objet ou  la trace mnésique liée puis abandonnée lors du délire schizophrène ? Quelles conséquences pourrions- nous déduire d’un moi abandonné dans la schizophrénie ?  Si nous considérons la barrière de contact, les pare-excitations, comme quelque chose qui lie les excitations et intercale une activité intellectuelle entre les exigences pulsionnelles et le reste du psychisme comme l’état préconscient de la première topique freudienne, comme d’ailleurs le fait encore Freud dans l’Abrégé,  nous ne pouvons pas éviter de penser qu’en déliant les éléments, signifiant et signifié, le moi se sépare d’une représentation inconsciente intolérable, le moi lui-même. En prenant le problème à l’envers, c’est une autre façon de dire que le moi se détache totalement de la réalité. Nous ne pouvons que nous arrêter devant ces conclusions étonnantes. Malgré la profondeur de l’atteinte intellectuelle dans la schizophrénie, il nous semble qu’une représentation du moi, bien que fugace, persiste.  

 

Freud lui-même se garde de ce genre de généralité bien que les comparaisons de la schizophrénie avec le primitif soient nombreuses dans son œuvre. « Le problème de la psychose, dit-il, serait simple et clair si le moi se détachait totalement de la réalité. »[494]  

 

Si le signifiant concerne  le S-2 et un signifié du corps qui lui soit lié, nous retrouvons l’élément que nous avons nommé en empruntant le terme de Piérce, l’icône. Cependant, si nous imaginions, comme nous l’avons fait jadis[495] , que cet élément est quelque chose d’originaire, nous nous trouverions devant les difficultés nouvelles d’un moi forclos.

 

Selon Freud, « ces forces internes[496] ne peuvent l’anéantir,* mais elles risquent de détruire son organisation dynamique particulière et le ramener à n’être plus qu’une fraction du ça. »[497] Ainsi nous retenons dans la notion de clivage que le moi se sépare d’une partie de lui-même, mais il est difficile de considèrer la notion de l’icône, élément de langage rattaché  au corps, comme étant primitive. 

 

Freud a conçu le préconscient, et même la barrière de contact, d’après le modèle d’une membrane[498]. Lors de l’état pathologique de la schizophrénie, cette membrane, moins perméable, se trouve de cette façon plus hermétique à l’inconscient. Les éléments verbaux sont en effet déliés de façon plus permanente de leurs signifiés. Cependant, lors de la formation d’une holophrase, certains éléments, des signifiants,( S-1 et S-2) sont solidifiés. Pouvons-nous dire que la perméabilité est ainsi altérée ? Il nous semble que oui.

 

Rappelons que l’holophrase, bien qu’elle ressemble au cri, rattache des signifiants en permettant une nouvelle dynamique de la libido et la construction d’un moi archaïque. Le schizophrène semble maintenir figé le rapport entre le corps, par exemple, le cri (objet de la voix) et la langue, tel dans le néologisme de notre sujet : « chiale ». C’est de cette façon seulement qu’il peut solliciter une image de lui-même, différente de l’image spéculaire et différente encore de ce que nous avons compris comme l’image dysmorphophobique de la névrose narcissique. Pouvons-nous donc retenir que l’icône n’est pas un élément originaire mais la représentation que le moi schizophrène construit de lui-même; son image pour ainsi dire ?

 

L’icône n’est pas un élément originaire dans la mesure où ce que nous comprenons du signifiant, S-1, d’après Lacan, fait déjà partie d’une chaîne de signifiants qui glisse sur une chaîne de signifiés et accroche, par ce trait, le sujet à la réalité à cet endroit précis. Malgré cette marque, la chaîne verbale continue à glisser. Ce n’est que par le rêve, et peut-être seulement certains rêves, que cette marque nous est révélée la plupart du temps. Elle semble refaire  surface sous la forme de certains symptômes narcissiques mais maintient sa qualité de métaphore et reste sujette à l’interprétation.  Sans la formation de l’holophrase qui se fait lors du Prägung lorsque la représentation intolérable est rejetée, cette gélification des signifiants, par la suite d’un abandon d’objet, ou de signifié, l’icône schizophrène n’aurait pas lieu d’être.

 

 

Conclusions

 

L’analyse du discours du sujet schizophrène, si souvent évoqué depuis l’invention de la psychanalyse, ouvre la voie à une compréhension de cette pathologie. Son hypochondrie, la façon dont il parle de son image, de son corps, continuent d’étonner les psychanalystes qui l’écoutent.  Cependant, sans l’analyse de la relation  de ce discours à l’image du sujet,  la compréhension de cette pathologie est vouée à l’éternelle dualité entre l’âme et le corps.  

 

C’est bien parce que la schizophrénie renvoie à une structure spécifique que nous pouvons dégager un processus qui permet de s’éloigner de la notion de la folie unique et de situer son fonctionnement dans les trois registres  lacaniens : le réel, l’imaginaire et le symbolique. Cependant, si nous nous contentons de la notion que pour le schizophrène, tout le symbolique est réel ou la notion de la jouissance dans le corps, nous ne pouvons  pas comprendre les processus qui le déterminent. Il devient alors impossible de différencier son délire de celui du paranoïaque, ses symptômes dysmorphophobiques ou hypochondriaques, de la névrose narcissique. 

 

Or si les éléments du discours de ces patients, névrosés ou psychotiques, nous  ont conduit à souligner les défauts de la fonction spéculaire, c’est pourtant au-delà de cette dysmorphophobie que nous situons l’origine de la schizophrénie.   

 

Le discours du schizophrène renvoie à une expérience où le sujet ne se distingue pas de l’image de l’objet à l’étape de la reconstitution de celui-ci.

 

Lors du premier investissement, le sujet est resté marqué comme par un tatouage par le signifiant primaire.  Nous insistons sur cette marque à ranger dans la série des identifications, où le sujet est atteint dans son corps par les effets du S1. Nous avons remarqué que ces coordonnées, où le sujet névrotique se met lui-même en série lors du rêve avec les signifiants, se retrouvent chez le schizophrène pour attirer l’œil.  Ce premier signifiant sert de cadre et délimite le réel.  Il n’a cependant, pouvons-nous dire, que les mots (maux) dans l’œil ! Par suite d’une contiguïté avec la Chose, il n’arriverait jamais à éloigner l’objet a .

 

 Nous utilisons désormais le terme icône pour dénoter le boulon qui s’est construit mais nous insistons sur le fait que ce boulon n’est pas originaire. Si le corps est le lieu de l’opération primordiale dans l’être venu au monde tel que l’envisage Merleau-Ponty, il l’est en tant que marqué par les effets du signifiant, S-1.

 

Dans les névroses, cette marque, cette empreinte, dérivée d’après Freud de la perception des signes verbaux, fonctionne d’après Lacan  comme trait unaire. Nous le repérons comme coordonnée phallique et nous le retrouvons dans les névroses narcissiques comme instituant la série de l’imago paternelle et d’après M.-C. Lambotte comme trait identificatoire avec la faille ouverte à cet endroit. Il forme le cadre où le tableau sera peint d’après la distance créée avec la Chose.

 

Or dans la schizophrénie les effets de ce signifiant ont un retentissement particulier. Les perturbations du sentiment du soi et le fonctionnement de la pensée schizophrène découlent, semble-t-il d’un processus dont la dynamique a été décrite par Freud dans son article, Pour introduire le narcissisme. La stase de la libido, déclenchée vraisemblablement par l’abandon de l’objet, ou plutôt un signifié, et la formation d’une holophrase correspondront au relâchement primaire des associations, symptôme primaire pour Bleuler.  L’icône se forme donc par l’abandon de l’objet et de sa représentation en S-2 lors de la forclusion du nom du père, et de sa reprise dans la formation de l’holophrase, S1-S2.

 

 La problématique du schizophrène avec son corps, avec son image sera le résultat d’un engluement autour d’un complexe moi, S-2, le tableau, fait des traces mnésiques et d’un signifié du corps, ancré sur un premier signifiant, S-1, le cadre, et non l’évolution d’un trouble perceptif. La constitution des objets, d’un sentiment de soi, de l’Autre est modifiée suite à cette formation inconsciente. Le redéploiement de l’holophrase permet le développement du délire et la constitution d’une image qui portera désormais la marque de l’icône.

 

 La contiguïté de l’objet, le signifié en terme linguistique, avec le signifiant fait penser à la naissance de la langue à partir du corps que recherchent souvent les sujets schizophrènes. Nous y avons fait référence lors d’un travail précédent. Cependant l’icône en question trouve son origine dans la langue déjà formée. Cet élément de la langue, corporalisé par l’abandon de l’objet même dans sa représentation avec la formation de l’holophrase, semble être le point du départ de la structure du sujet schizophrène. Il sert de pivot dans le développement de son délire et de ses hallucinations ultérieures.  Il est également l’élément constituant de la suppléance et d’un discours qu’il peut créer pour faire face à ses organes. Cette icône tient la même place qu’une métaphore mais elle ne peut pas représenter l’absence, seulement la complétude. Le redéploiement de  l’holophrase, S1-S2 par l’association métonymique peut permettre une forme de suppléance à l’opération signifiant de l’Autre.

 

Le psychotique  semble en effet faire corps avec son langage. Nous retrouvons là une reformulation de l'expression de Freud, « langage d'organe ».  Pour le schizophrène, il s’agit d’un élément qui a été créé par l’investissement de la libido sexuelle, marqué par le signifiant, lié puis corporalisé par son abandon. Nous appelons cet élément l’icône, d’après Pièrce par la  co-existence permanente du signifiant et signifié.  Métonymique par excellence, formée à partir de la Chose, elle se déplace dans le discours du sujet mais ne trouve jamais sa permanence de concept hors de la présence de celle-ci dans le hic et nunc.

 

Barbara Bonneau

le 20 Décembre 2000

 

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* Thèse soutenu à l'Université Paris VII en Novembre 2001, déposé à la Bibliothèque Paris VII à Jussieu, depuis Janvier 2002, et distribué par Sudoc dans toutes les universités de France sur demande depuis sa mise en micofiche en 2002. (voir l'adresse du Sudoc sur ce site).

[1] FREUD, S., « Pour Introduire le Narcissisme » ( 1914) in La Vie Sexuelle, traduit par Berger, Denise, Laplanche, Jean ; P.U.F. Paris, 1960, p. 89.

[2] Ibid.

[3] Ibid., p. 90.

[4] FREUD, S., « Remarques Psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa, (Dementia paranoïdes), (Le Président Schreber) », 1911, traduit par Marie Bonaparte et Rudolphe M. Loewenstein in Cinq Psychanalyses, P.U.F., Paris,  1954, pp. 311-312.

 

[5]LACAN, Jacques, Les Complexes Familiaux dans la formation de l’individu, 1938, Paris Navarin Editeur, 1984, p. 43.

 

[6] Nous employons ce terme, choisi d’après Lacan,  pour parler de l’événement d’enlèvement ou captation quasi miraculeuse du regard de l’enfant par son image au stade de miroir.

[7] Le terme symptôme est utilisé dans la littérature psychiatrique alternativement pour décrire des phénomènes apparaissant au cours d’une maladie telles des signes qui caractérisent la maladie, et pour décrire une formation appartenant à une ou plusieurs pathologies. Ainsi l’utilisation du terme dysmorphophobie pour parler d’un symptôme psychotique n’implique pas que l’auteur considère que ce signe est un élément structuré, tel un délire. Les deux mots sont traités souvent comme des synonymes, même par nous-même, avant que nous distinguions les processus en jeu dans ces phénomènes. Nous tenterons de distinguer la dysmorphophobie proprement dit où il y a une absence de structuration la plus totale, constituant un signe de psychose, d’un symptôme dysmorphophobique, correspondant à une formation structurée.  

[8] ARISTOTE,  Petits traités d’histoire naturelle , « Des rêves » , traduction et présentation par Morel, Pierre-Marie, GF Flammarion, 2000 p. 139.

[9] Ibid., p. 141.

[10] MOUREAU DE TOURS, J., «De l’identité de l’état de rêve et de la folie », Annales Médico-psychologiques, I, n° 3 pp.360-408, 1855.

[11] MOUREAU DE TOURS, J. Du hachisch et de l’aliénation mentale, (1845). Slatkine, Genève, 1980.

[12] Ibid., p. 36.

[13] Ibid., p. 32.

[14] Ibid., p. 98.

[15] Ibid., p. 105-106.

[16] BERCHERIE, P. Les fondements de la clinique, Navarin, Paris, 1980 p.66.

[17] NEUMANN, H., Handbuch der Psychaitrie, Erlangen, Enke,1859, p. 167.

[18] VIALLARD, A. « Naissance et évolution du concept de Schizophrénie » in Nervure, Tome VIII, numéro spécial « Dijon », 1995, pp. 6-11.

 

[19] MOREL, Bénédict Auguste, Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l’espèce humaine et des causes qui produisent ces variétés maladives, J. B. Baillière éd., Paris, 1857, 700pp.

[20] FREUD, Sigmund, »Lettres à Fleiss, (Manuscrits A,B,K ;Lettres 18,52,55,69,72) ; « Obsessions et phobies ;leurs mécanismes psychiques et leur étiologie » ; « Les psycho-névroses de défenses » ; « Nouvelles remarques sur les psycho-névroses de défenses » ; « L’étiologie de l’hystérie », etc. et particulièrement in « L’hérédité et l’étiologie des névroses »,1896,in  Névroses, psychose et perversion, P.U.F., Paris, 1973, pp.48-59.

[21] ZALOZYC , A., Le sacrifice au Dieu obscur, Ténèbres et pureté dans la communauté, 1994, Z’éditions, Nice, 95pp.

[22] KALBAUM, Gruppierung der psychischen Krankheiten, Dantzig, Kafemann,1863, cité dans la préface de Dementia Praecox ou Groupe des Schizophrénies de BLEULER, E. par B. Rancher, G. Zimra, J.-P. Rondpierre, A. Viallard, E.P.E.L.-G.R.E.C. , Paris, 1993, p. 10-11.

 

[23] FALRET, J.-P., Des maladies mentales et des asiles d’aliénés., J. B. Baillère, Paris, 1864, p. 19.

[24] Symptômes du processus régressif de Morel. 

[25] MOREL, Bénédict Auguste, Traité des maladies mentales, 1860.

 

[26] état démentiel des jeunes gens

[27] Troubles psychomoteurs caractérisés par l’inertie, la flexibilité cireuse, la catalepsie, l’hyperkinésie, le pathétisme des expressions, le maniérisme

 

[28] KRAEPELIN, E., in Leçons cliniques sur la démence précoce et la psychose maniaco-dépressive, 1899, textes choisis et présentés par Jacques Postel, L’Harmattan, 1997, p. 27-30. « Pour avoir péché contre le sixième commandement, il est arrivé à ne plus pouvoir diriger sa conduite et à se sentir toujours apathique et malheureux : c’est un hypochondriaque. A la suite de la lecture de livres médicaux, il s’est imaginé avoir une hernie et du tabès. Puis craignant qu’on remarquât son vice et qu’on le tourne en ridicule, il a cessé toute relation avec ses camarades. »

[29] Ibid. p. 33.

[30] LASEGUE, C., « Le délire alcoolique n’est pas un délire, mais un rêve »(1881), in : Ecrits psychiatriques, Privat, 1971.

[31] LASEGUE, C. « Le délire de persécution »(1852), in :Ecrits psychiatriques. Privat, 33, 1971.

[32] MAGNAN, M. , Sérieux, P., « Délire chronique »(1911), in :Les édifices du délire. Navarin. Analytica, 1987 et MARIE, A.  Traité international de psychopathologie , Alcan, Paris,  pp. 605-639, 1911. .

 

[33] KRAEPLIN, E., in Leçons cliniques sur la démence précoce et la psychose maniaco-dépressive, 1899, in op. cit..  

[34] STRANSKY, Zur Kenntnis gewisser erworbener Blödsinnsformen speziell der Dementia praecox »  (La connaissance de certaines formes acquises de démence), Wiener klinische Rundschau, 1903, Jahrbữcher für Psychiatrie und Neurologie, Deuticke, Leipzig und Wien., 1904, vol. 24, p. 1, 79, 95. Zur Lehre von der Dementia praecox (La théorie de la démence précoce) ; p. 28.

 

[35] JUNG, C.G., « Psychologie de la démence précoce : essai », 1906, in Psychogenèse des mal

adies mentales, Albin Michel, Paris, 2001, p. 30-43.

[36] Ibid. p .17- 187.

 

[37] Il semble que la vie « autistique » de Bleuler rejoint l’autoérotisme de Jung  et  se traduise par la notion plus générale, d’une vie fantasmatique intérieure, très différente finalement du concept de l’inconscient de Freud.

[38] BLEULER , Eugen , Dementia Praecox ou Groupe des Schizophrénies, traduit de l’allemand par Alain Viallard, préface de B. Rancher, G. Zimra, J.-P. Rondpierre, A. Viallard, E.P.E.L.-G.R.E.C. , Paris, 1993.

[39] KRETSCHMER, E., Paranoïa et Sensibilité : Contribution au problème de la paranoïa et à la théorie psychique du caractère., 1927, Paris P. U..F.,  1963, p. 296.

[40] MINKOWSKI, E., La schizophrénie, Psychopathologie des schizoïdes et des schizophrènes, 1927, Editions Payot et Rivages, Paris, 1997, p. 82 . pour les notions de perte d’élan vital reprises de Guiraud et Dide voir p. 102-103.

[41] MERLEAU-PONTY, M., Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.

[42] MERLEAU-PONTY, M. Le Visible et l’invisible, Paris Gallimard, 1964.

[43] BINSWANGER L., Délire. Contribution à son étude phénoménologique et daseinsanalytique, l’édition originale Wahn, Günther, Neske, Pfullingen, 1965, traduit par Aozirn, J.-M. et Totoyan, Y., Grenoble, Million, Collection Krisis, 1993.

[44] Voir plus loin pour l’argument freudien.

 

 

[45] MALEVAL, Jean-Claude, Logique du délire , Ouvertures psy, Masson, Paris, 2000.

 

[46] EY, Henri, Journées de Bonneval, 1957, in Evolution Psychiatrique, n° 11, 1958

[47] souligné dans le texte.

[48] EY, Henri, Manuel de Psychiatrie, 1963, Masson et Cie, Editeurs, Paris, p. 462.

[49] Voir l’excellant article de Jean-Michel Azorin, « La dissociation schizophrénique »   in Revue Internationale de Psychopathologie, N° 12.  P.U.F, Paris, 1993, pp. 529-559.

 

[50] Par exemple, les champs : réel, symbolique et imaginaire de Lacan.

[51] MISRATI, R. « Spinoza et spinosisme, in Encyclopédie Universalis, Vol. 15, 1968, p. 293A.

[52] HEIDEGGER, Neitzche II, Gallimard, 1961, p. 150.

[53] LACAN, J., Le Séminaire , livre XX, Encore, 1972-73, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975.

 

[54] LACAN, J. Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse,1969-1970. , texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991.

[55] Freud cerne le concept de la représentation essentiellement dans son rapport à la pulsion. La distinction des termes en allemand du Triebrepräsentanz, du psychische Repräsentanz ou psychischer Repräsentant et du Vorstellungsrepräsentanz, permet de clarifier les traductions françaises.   Par le premier terme, Freud désigne généralement le représentant idéationnel de la pulsion. Cependant il lui arrive parfois d’utiliser ce terme pour les deux modes de représentation psychique de la pulsion.  Dans ce cas il peut aussi utiliser le terme plus général du psychische Repräsentanz qui exprime les deux modes de représentation psychique du pulsionnel,  l’affect et l’idée. Le terme Vorstellungsrepräsentanz désigne uniquement le représentant idéationnel de la pulsion.

* Souligné par l’auteur.

[56] FREUD, Sigmund, « Les psychonévroses de défense », 1894, in Névroses , psychose et perversion , 1974, trad. Coll., P.U.F. Paris 1974,  p. 12.

 

* Souligné par l’auteur.

[57] FREUD, Sigmund, « Les psychonévroses de défense », 1894, op. cit. . p. 13.

 

[58] FREUD, Sigmund, le 11/01/1897, Lettre à Fleiss numéro 55, in Naissance de la psychanalyse, 1979, trad. Coll., P.U.F. Paris, p.163.

[59] FREUD, S. , « Remarques Psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa » (Dementia paranoïdes) (Le Président Schreber),(1911), in Cinq Psychanalyses, traduit par Marie Bonaparte et Rudolphe M. Loewenstein,  P.U.F., Paris, 1954, p.318.

 

[60] Ibid., p. 164 : « Tu vois là comment une névrose peut se transformer en psychose à la génération suivante (c’est ce que les gens qualifient de dégénérescence), simplement parce que le sujet, à l’âge le plus tendre, s’y est trouvé impliqué. »

[61] Nous utilisons la notion du « temps logique » d’après Lacan pour insister sur le fait d’une antériorité logique sans pouvoir cerner les faits réels d’un temps historique archaïque puisque Freud décrit l’inconscient comme atemporel.

 

[62] souligné par nous

[63] Pour Lacan le terme auto-érotisme est déjà intersubjective par le biais du langage. De là l’événement traumatique se transforme en un « érotisation du corps par l’Autre. » Nous pouvons penser que Freud l’a précédé  dans cette voie par la détermination d’une représentation de la pulsion qui se lie  au  langage, sa thèse dans Au-delà du principe du plaisir.

[64] FREUD, S. , « Remarques Psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa  (Dementia paranoïdes) (Le Président Schreber ) », op. cit. p.320.

* souligné par nous

 

[65] FREUD, S., « Remarques Psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa  (Dementia paranoïdes) (Le Président Schreber ) », op. cit. p.319.

[66] Freud définit trois types de régression dans L’interprétation des rêves, p. 466  : il  y a « …a) une régression topique (…) ; b) une régression temporelle quand il s’agit d’une reprise de formations psychiques antérieures ; c) une régression formelle quand des modes primitifs d’expression et de figuration remplacent les modes habituels. Ces trois sortes de régression n’en font pourtant qu’une à la base et se rejoignent dans la plupart des cas, car ce qui est plus ancien dans le temps est aussi primitif au point de vue formel et est situé dans le topique psychique le plus près de l’extrémité de perception. »

[67] ABRAHAM, K. « Signification des traumatismes sexuels juvéniles pour la symptomatologie de la démence précoce », 1907, in  OEuvres  Complètes, vol. I, 1907-1914, traduction I. Barande en collaboration avec E. Grin, 1965, Payot, Paris, 1965, p.26..

 

[68] LACAN cite ces travaux dans plusieurs ouvrages, notamment en « Propos sur la causalité psychiques » prononcées le 28 septembre 1946 à Bonneval et reprises in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 186-191.

 

[69] Langue morte selon Lacan dans « La troisième », conférence prononcée le 3 novembre 1974 par Jacques LACAN à Rome, diffusée par radio. Le texte auquel nous nous référons se trouve dans : Petits écrits et conférences, s.l.,  pp. 542-567.

[70] LEFORT , Robert et Rosine, Les structures de la psychose ; L’enfant au loup et le Président, « Le Petit Robert »,, Le champ freudien, Seuil, Paris, 1988, p. 171. : « …il ne reprend ses cris lorsque je suis partie lorsqu’il me voit plus. C’est donc le signe d’un nouveau rapport à Robert, à la fois au grand Autre et à son corps propre. »  « Ce nouveau rapport avait commencé avec l’apparition du signifiant de l’objet « (t)étine » ayant entraîné, pour la première fois, un pipi dans la couche en séance. La signifiance de l’objet --- seul objet oral qu’il pouvait nommer --- tout en gardant son pipi. Cette intériorisation  est la seule voie pour avoir un dedans le corps, du seul corps en cause : pas de corps réel, mais du corps en rapport avec le signifiant de l’Autre, par opposition à une extériorité qui ne fait pas corps. » Nous reviendrons sur la question du signifiant et du corps pour distinguer ces phénomènes plus loin. Pour le moment nous indiquons que le corps mis en jeu par le signifiant dans la psychose nous semble concerner son image. La notion de corps réel pour Lefort, semble concerner ici le vivant, le somatique dont il n’est pas question pour nous. Le corps en rapport avec le signifiant est le seul auquel chacun a accès.  Le reste est de l’ordre d’un impossible à atteindre, donc il ne fait pas corps.   

[71] JAKOBSON, R., Langage enfantin et Aphasie, Paris, Flammarion, 1980.

[72] ROCH LECOURS, André, NAVET, Michèle, ROSS-CHOUINARD, Andrée in  Confrontations psychiatriques, n° 19-1981, p. 117.

[73] LACAN, J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » 1955-56, in Ecrits, op. cit., p. 535. Lacan note en bas de la page que « Jakobson emprunte ce terme à Jespersen pour désigner ces mots du code qui ne prennent sens que des coordonnées (attribution, datation, lieu d’émission) du message. Référés à la classification de Pierce, ce sont des symboles-index. Les pronoms personnels en sont l’exemple éminent : leurs difficultés d’acquisition comme leurs déficits fonctionnels illustrent la problématique engendrée par ces signifiants dans le sujet. » 

 

[74] Ibid.

[75] Lacan cite Jakobson à ce propos  in « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien» communication faite dans « Colloques philosophiques internationaux » le 19 au 23 septembre 1960 reproduit in Ecrits, op. cit. p. 805.

 

[76] Nous employons le terme latin « infans » (in fans : qui ne parle pas) utilisé par Lacan pour désigner le nourrisson au stade du miroir. « L’assomption jubilatoire de son image spéculaire par l’être encore plongé dans l’impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu’est le petit homme à ce stade infans, nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale … »LACAN,J., « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique » communication faite au XVI congrès international de psychanalyse, a Zürich, le 17 juillet 1949 in Ecrits, op. cit. p. 94. Winnicot, à son tour, le définit ainsi : « En fait, le terme latin implique l’absence de langage et il n’est pas inutile de considérer cette époque comme le stade antérieur à la représentation par le mot et à l’utilisation des symboles verbaux. En conséquence, il s’agit d’une phase où le nourrisson dépend des soins maternels qui reposent sur l’empathie de la mère plutôt que sur sa compréhension de ce qui est verbalisé, ou pourrait l’être. »  WINNICOT, D.W., « La théorie de la relation parent-nourrisson », trad. J. Kalmanovitch, in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1976,p. 240.

[77] MEHLER, J. et DUPOUX J., Naître Humain, Paris, Odile Jacob, 1990.

[78] TUSTIN,  F. Autisme et psychose de l’enfant, le terme, schéma, ne traduit qu’approximativement le terme « pattern » anglais qui contient conjointement la notion de répétition et la notion de modèle.  

[79] Ibid., p. 30-31.

[80] Lalangue, terme que Lacan voulait être proche de lallation. LACAN, Jacques, conférence à Genève sur le symptôme, tenue le 4 octobre 1975, in Le bloc-notes de la psychanalyse, n° 5, Genève, 1985, pp. 5-23. 

 

[81] BONNEAU,B., J’ai tué mon père et  je suis dans la glace, Articulation entre le rejet du signifiant primordial et l’image spéculaire, Maîtrise en Sciences Humaines Cliniques, section psychologie, Université de Paris VII,1992, copie confiée à la  Bibliothèque  Sciences Humaines Cliniques de Paris VII, et La langue m’a frappé dans les yeux, Articulation entre le rejet du signifiant primordial et l’image pathologique de soi, de l’empreinte à l’image, DEA de Psychopathologie Fondamentale et psychanalyse, Université de Paris VII,1994.

* souligné dans le texte.

 

[82] FEDIDA, Pierre, « Le mouvement de l’informe »,1994,  in Par où commence le corps humain, Retour sur la régression. P.U.F., Paris, 2000, p. 16.

[83] FREUD, S., L’interprétation des rêves,

 

 

[84] Le nom et le prénom ont été plusieurs fois modifiés. Ils sont entièrement fictifs. Parfois l’emploi d’un prénom paraissait plus commode.   

 

[85] FREUD, S., L’Homme aux loups, A partir de l'histoire d'une Névrose infantile, 1918.  Traduit de l'allemand par ALTOUINAN, J. et COTET P., 1990, Paris, Quadrige, Presses Universitaires de France. p.97.  L’Homme aux loups a consulté Freud en 1910 originairement parce que « pour lui le monde était dissimulé par un voile(...) Le voile -- curieusement ne se déchirait que dans une situation, à savoir lorsque, par suite d'un lavement, les selles passaient l'anus.  Il se sentait alors de nouveau bien et pour un temps très court voyait le monde clairement. »

 

 

[86] FREUD, Sigmund, « Sur les Souvenirs Ecrans », 1899, traduit de l’allemand D. Berger, P. Bruno, D. Guérineau, F. Oppenot, in Névrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1985, pp. 113-132.    Nous rappelons au lecteur que les souvenirs-écrans des névrosés sont, selon Freud des fictions inconscientes où le présent se travestit dans des images du passé grâce à un mécanisme de condensation de deux fantasmes "projetés l'un sur l'autre" donnant l'illusion d'un souvenir authentique, de la même manière que les perceptions intimes apparaissent comme venant d'une réalité extérieure.  L’acuité des détails démontre, cependant, la présence d'un processus de symbolisation procédant par des traces d'inscriptions des impression réelles gravées dans la mémoire.

 

[87] LACAN Jacques, « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud » in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, pp.392-393. Lacan note (dans sa thèse puis dans cet article),ce qui différencie le schizophrène du paranoïaque : « les structures imaginaires prévalantes; c'est-à-dire la rétroaction dans un temps cyclique qui rend si difficile l'anamnèse de ses troubles, de phénomènes élémentaires qui sont seulement pré-signifiants et qui n'atteignent qu'après une organisation discursive longue et pénible à établir, à constituer, cet univers toujours partiel qu'on appelle un délire. »

 

[88] LACAN, J., « Propos sur la causalité psychique », 1946, in les Ecrits, Paris,  Seuil, 1966, p. 177.  Nous reprenons  ici la définition de Lacan de l’imago,(terme qu’il reprend de Jung) : « Enfin je crois qu’à rejeter la causalité de la folie dans cette insondable décision de l’être où il comprend ou méconnaît sa libération, en ce piège du destin qui le trompe sur une liberté qu’il n’a point conquise, je ne formule rien d’autre que la loi de notre devenir, telle que l’exprime la formule antique : «Geuoi’,oiodessi. »  (devient ce que tu es) « Et pour définir la causalité psychique, je tenterai maintenant d’appréhender le mode de forme et d’action qui fixe les déterminations de ce drame, autant qu’il me paraît identifiable scientifiquement au concept de l’imago. »

 

[89] LACAN, J., Le Séminaire III, Les Psychoses, 1955-1956, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 218. 

[90] Ibid., p. 219.

[91] Souligné par nous.

 

[92] Ibid., p. 219.

 

[93] LACAN J., Le Séminaire, I, Les Ecrits Techniques de Freud, 1953 - 54, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 214.

 

[94] Ibid., p. 215.

[95] Ibid., p. 214.

[96] « Alors, l’idée délirante devient plus pressante, la contradiction contre elle plus violente. » Le refoulement se transforme en rejet (Verwerfung).correspondance Freud –Jung lettre 25 du 23 mai 1907.) Nous aurons à revenir sur le concept de rejet et de forclusion pour essayer de distinguer les deux.

 

[97] FREUD S. L’Homme aux loups, op. cit., p. 43.

 

[98] Ibid., p. 83.

[99] LACAN J., Le Séminaire I, op. cit., p. 54.

[100] Ibid., p. 55.

 

 

[101] FREUD S., « Complément métapsychologique à la théorie du rêve », 1917, traduction dirigée par Jean Laplanche et J.-B. Pontalis in Métapsychologie, Paris, Gallimard, collection Folio Essais, 1968, p. 137.

[102] Ibid., p. 142

[103] FREUD S., « La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose », 1924, in Névrose, Psychose et Perversion, Presses Universitaires de France, Paris, 1985, p. 303.

 

[104] Ces propos sont soulignés par nous. Il en sera question plus loin, cependant, nous remarquons à présent combien cette question se rapproche de celle de l’Homme aux loups telle qu'elle est présentée par Freud dans la formule que nous avons déjà citée concernant la force pulsante du refoulement, c'est-à-dire son « narcissisme menacé ». L’Homme aux loups, op. cit., p. 44.

[105] Souligné par nous.  Il sera question de ces propos plus loin, mais dès à présent nous remarquons comment les mots « beau » et « gueule » sont employés en référence à l'acte sexuel.

[106] BONNEAU,B., J’ai tué mon père et je suis dans la glace, Articulation entre le rejet du signifiant primordial et l’image spéculaire, op. cit. Lors de ce travail nous avons posé  l’hypothèse, d’après Freud et Lacan, que le signifiant était directement impliqué dans le processus de développement de l’image de soi et les métamorphoses de celle-ci chez le schizophrène.

 

[107] LACAN J., Le Séminaire, I, op. cit. pp. 54-56.

[108] FREUD S.,  L’Homme aux loups, op. cit. p. 83.

[109] LACAN J., « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la "Verneinung" de Freud », op. cit. pp. 390 - 392.

 

[110] FREUD S., L’Homme aux loups, in Cinq psychanalyses, p. 345.

[111] Nous employons le terme « névrose narcissique » d’après Freud dans sa définition de 1924 à partir de laquelle Marie-Claude Lambotte développe une métapsychologie de la mélancolie. Sans pouvoir dire que ces sujets que nous avons rencontrés sont mélancoliques, ils en présentent certaines caractéristiques. Par ailleurs, ils ne sont pas psychotiques, d’après les définitions freudiennes et lacaniennes.  Selon Freud : « En attendant nous pouvons toujours postuler qu’il doit y avoir des affections reposant sur un conflit entre le moi et le surmoi. L’analyse nous autorise à admettre que la mélancolie est un cas exemplaire de ce groupe ; nous aimerions pouvoir donner à ce genre de troubles le nom de « psychonévroses narcissiques ».  in « Névroses et psychoses (1924), trad. D. Guérineau, in Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 286.

 

[112] Nous rappelons avec Friedler que l’Homme aux loups ne trouvait pas un jour le mot pour guêpe : Wespe. Il soumettait le mot : Espe,  tranchant la lettre W pour laisser ses propres initiales : S.P.

[113] FRIEDLER, Julien, Psychanalyse et Neurosciences, La légende du Boiteux, P.U.F. Paris, 1995, p. 106.

* Soulignés par nous. Nous notons ici, avec Freud, la périodicité du symptôme resurgissant encore chez l’Homme aux loups adulte et la façon dont celle-ci évoque une commémoration de la scène primitive.

[114]  FREUD,S. « L’Homme aux loups » in Cinq Psychanalyses, op. cit. p. 349-350. Freud ajoute une note en bas de page « à rapprocher du fait que le patient, en illustrant son rêve, ne dessina que cinq loups, bien que le texte du rêve parlât de 6 ou 7. » Souligné par nous.

 

[115] Ibid. Une note page 350 « Je veux dire qu’il le comprit à l’époque de son rêve, à 4 ans, non pas à l’époque où il observa. A 1 an ½ il recueillit les impressions dont la compréhension différée lui fut rendue possible à l’époque du rêve de par son développement, son excitation et son investigation sexuelles. » Souligné par nous.

 

[116] En 1915, Freud précise « que le devenir-conscient n’est pas un  pur acte de perception, c’est dû également à un surinvestissement. Et c’est précisément la liaison aux représentations de mot qui correspond à ce surinvestissement. » C’est à partir du préconscient, où ils se lient aux représentations de mot, que les investissements des traces de souvenir deviennent conscients. On peut dire que le préconscient s’est emparé de l’accès à la conscience. TOUTIN-THELIER, Christine, « L’émergence dans la conscience » in « L’Elangue »,  L’Unebevue, N° 2 Printemps, E.P.E.L.,Paris, 1993, p. 36.

[117] FREUD S., «L'inconscient », 1915, in Métapsychologie, op. cit., p. 112.

 

[118] LACAN J., Le Séminaire, III, op. cit., p.19.

 

[119] BONNEAU,B., La langue m’a frappé dans les yeux, op. cit.

[120] MANNONI, Maud, L’enfant arriéré et sa mère, Paris, Seuil, 1964, pp. 120-121.

[121] MAHLER, Margaret, « On child psychoses and schizophrénie , autistic and symbiotic infantile psychosis » in Psychoanalytic Study of Child , numéro 7, 1952 et « Autism and symbiosis : Two Extreme Disturbances of identity » in International Journal of Psychoanalysis, n° 39,1958. p. 341.

 

[122] BLEULER, Eugen, Dementia pracecox ou groupe des schizophrénies, 1911, traduction d’Alain Viallard, E.P.E.L., G.R.E.C.. op. cit. p. 447.

[123] BONNEAU,B., La langue m’a frappé dans les yeux, op. cit.

 

[124] Ibid., p. p. 458. Bleuler emploie le terme complexe repris de Jung pour expliquer le processus par lequel les associations se lient entre elles sous la pression de l’affect pour consolider un réseau des pensées : le complexe, qui sera tenu éloigné des autres idées produisant ainsi une scission des fonctions psychiques.

 

[125] Souligné par nous.

 

[126] WOLFSON, Louis, Le Schizo et les Langues ou La Phonétique chez le Psychotique (Esquisses d’un étudiant de langues schizophréniques), Paris, Gallimard, 1970, p. 33.

[127] Souligné par nous même

[128] AULAGNIER , Piera, Un interprète en quête de sens , Paris, Payot, 1986, p. 310.

 

[129] WOLFSON, Louis, Le Schizo et les Langues ou La Phonétique chez le Psychotique (Esquisses d’un étudiant de langues schizophréniques), op. cit. p. 215. « I ‘m mad », phrase anglaise qui suscita ce long discours. Remarquons que Wolfson adopte le seul sens du mot qui correspondrait à la folie au lieu du deuxième sens possible, « I’m angry ». Cette disposition à interpréter le réel en fonction de soi montre bien que la chaîne signifiante ne conserve tout de même pas toute sa souplesse.

[130] Souligné par nous.

 

 

[131] Ibid. p. 214-215.

[132] ROCH LECOURS, André, NAVET, Michèle, ROSS-CHOUINARD, Andrée in  Confrontations psychiatriques, n° 19-1981, p. 113 : selon ces auteurs : « Dans la paraphasie verbale formelle, les réarrangements phonémiques sont tels que le segment cible, un mot de la langue, est remplacé par un autre mot de la  langue lui ressemblant quant à sa forme. »

[133] LACAN, J. « Le Sinthome », Séminaire du 13 Avril 1976, reproduit en ORNICAR ?. N° 8, p. 8.

 

[134] LACAN, J. « Le Sinthome », Séminaire du 11 Mai 1976, reproduit en ORNICAR ?. N° 11, p. 5.

 

[135] FEDIDA, Pierre, « Par où commence le corps humain ? » 1998, in Par où commence le corps humain, retour sur la régression, P.U.F. Paris, 2000.

[136] LACAN, J. « Fonction et Champ de la parole et du langage », Rapport du Congrès du Rome tenu les 26 et 27 Septembre 1953 repris  in Ecrits, op. cit. p. 301.

 

[137] Nous utilisons les expressions signifiant et signifié d’après Ferdinand de Saussure, Cours de Linguistique Générale, édition critique, Paris, Payot, 1980, p. 98. «  Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique.  Cette dernière n'est pas le son matériel, chose purement physique, mais l'empreinte psychique de ce son , la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens; elle est sensorielle et s'il nous arrive de l'appeler "matérielle", c'est seulement dans ce sens et par opposition à l'autre terme de l'association, le concept, généralement plus abstrait. »

 

[138] LACAN J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 289.

[139] Ibid., p. 284.

 

[140] BONNEAU, B. « La langue m’a frappé dans les yeux » op. cit. p. 18.  Nous reprenons ici ce travail en modifions certains éléments.

[141]cf. AULAGNIER , Piera, Un interprète en quête de sens, Paris Payot, 1986, 425 pages.

 

[142] Nous nous écartons provisoirement de notre étude du langage pour explorer comment les différents auteurs prennent en compte l’élément sensoriel. Nous procédons par ce biais, non pour insister sur « l’éprouvé », notion que nous critiquons , mais parce que nous sommes saisi par l’imbrication du langage et du sensoriel.

 

[143] FREUD,S., « Esquisse d’une psychologie scientifique » in op. cit.,p.322.Voir note en bas de la page.

[144] Souligné par nous.

[145] BREUER, J., « Considérations Théoriques » ,1895, in Etudes sur l’hystérie de S. FREUD et J. BREUER traduit de l’allemand par Anne Berman, Paris, P.U.F., 1956, p. 149.

 

 

 

 

    

[146] Ibid., p. 406.

 

* Soulignés par nous.

[147] Ibid., p. 406.

[148] SCHILDER, P. L’image du corps, Etude des forces constructives de la psyché, 1935, traduit d’anglais par GANTHERET, F.  et TRUFFERT, P., 1968,  Gallimard, Paris, p. 36. 

 

[149] FRIEDLER, J. Psychanalyse et neurosciences, op. cit., p. 176.

[150] Ibid., p. 173.

* Souligné par nous.

[151] Ibid., p. 173.

[152] Ibid., p. 182.

 

[153] Dans le légende, Œdipe et Héphaïstos sont boiteux.

[154] Ibid., 283 pp.

 

[155] FREUD,S. et JUNG, C. Correspondance,  vol. 1 (1906-1909) traduit d’allemand par R. Fivaz-Silbermann, Gallimard, Paris, 1975, p.86.  « Notre conscience à l’origine ne perçoit que deux sortes de choses. Tournée vers l’extérieur, les perceptions (P), qui en elles-mêmes ne sont pas investies d’affect et qui ont des qualités ; provenant de l’intérieur, elle fait l’expérience de « sentiments, ce sont des extériorisations des pulsions qui prennent certains organes comme support ; ils sont peu qualitatifs, en revanche susceptibles d’un fort investissement quantitatif. » Freud utilise également le terme de « volonté » dans l’Esquisse en parlant des rejetons des pulsions :   « Il s’ensuit cependant que les barrières de contact y sont généralement plus élevées que les barrières de conduction, de telle sorte qu’une nouvelle accumulation de quantité (Qh) peut se réaliser dans les neurones du noyau. Aucune autre limite ne lui est posée à partir de l’égalisation de la conduction. y est à la merci de la quantité (Q), et  c’est ainsi que naît, à l’intérieur du système, l’impulsion qui entretient toute activité psychique. Nous connaissons cette puissance en tant que volonté : le rejeton des pulsions. » traduction personnelle.

 

[156] Nous empruntons ce terme de la lettre 52 à Fleiss où il devient question de la mémoire « présente non pas une seule mais plusieurs fois et se compose de diverses sortes de « signes ».p. 154. Freud ne reprend pas ici des symboles utilisés lors de son travail dans l’Esquisse : a et b du système y, entre lesquelles il  s’instaure la relation de frayage.

[157] FEDIDA, P. « L’angoisse aux yeux », in  Par où commence le corps humain, Retour sur la régression, op. cit., p.  77.

 

[158] LAPLANCHE, J. et PONTALIS,J.B., Vocabulaire de la psychanalyse, op. cit. p.410. Pour Freud selon Laplanche et Pontalis, le représentant psychique est « un terme utilisé par Freud pour désigner, dans le cadre de sa théorie de la pulsion, l’expression psychique des excitations endosomatiques. »  Selon ces auteurs, la situation frontalière de la pulsion entre le somatique et le psychique impose une sorte de délégation.   Or cette délégation est formulée par Freud de deux façons différentes. «Tantôt c’est la pulsion  elle-même qui apparaît comme « … la représentation psychique des excitations qui proviennent de l’intérieur du corps et atteignent l’âme » ; tantôt la pulsion est assimilée au processus d’excitation somatique et c’est elle alors qui est représentée dans le psychisme par des « représentants de la pulsion » , ceux-ci comprenant deux éléments : le représentant-représentation et le quantum d’affect. »Selon Laplanche et Pontalis il n’y a rien d’une causalité développé ici.   Or ils retiennent l’idée que « la pulsion, considérée comme somatique, délègue ses représentants psychiques…. » Pour  eux cette solution est plus cohérente avec l’idée de « l’inscription de représentations inséparable de la conception freudienne de l’inconscient. » Pour ce qu’il en est de la pulsion nous nous référons à l’enseignement lacanien qui démontre que la pulsion a une source (somatique), un but, un objet , et une poussée. Selon Lacan « la pulsion n’est pas la poussée.»Séminaire ; livre XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. op. cit. p. 148. Dans ce sens, la poussée provenant d’une source somatique cherche à satisfaire son but moyennant un objet. Selon Lacan « Freud pose, de la façon la plus formelle, qu’il ne s’agit absolument pas dans le Trieb de la pression d’un besoin tel le Hunger, la faim, ou le Durst, la soif. »pp. 149-150. Il souligne dans Le Séminaire : L’éthique, p.58,  les propos de Freud dans l’Esquisse concernant « Not des Lebens » devant être traduit : « l’urgence de la vie » et non « les besoins vitaux ».

 

[159] FREUD S., « La négation », 1925, traduit de l'allemand par J. Laplanche, in Résultats, idées, problèmes, vol. II, Paris, P.U.F., 1987, p. 137. « La fonction de jugement doit pour l’essentiel aboutir à deux décisions. Elle doit prononcer qu’une propriété est ou n’est pas à une chose, et elle doit concéder ou contester à une représentation l’existence dans la réalité. La propriété dont il doit être décidé pourrait originellement avoir été bonne ou mauvaise, utile ou nuisible. Exprimé dans le langage des motions pulsionnelles les plus anciennes, les motions orales : cela je veux le manger ou bien je veux le cracher, et en poussant plus avant le transfert [de sens] : cela je veux introduire en moi, et cela l’exclure hors de moi. Donc : ça doit être en moi ou bien en dehors de moi. Le moi-plaisir originel, comme je l’ai exposé ailleurs, veut s’introjecter tout le bon et jeter hors lui tout le mauvais. Le mauvais, l’étranger au moi, ce qui se trouve au-dehors est pour lui tout d’abord identique. » Soulignés par nous.

 

[160] Nous sommes frappés par le fait que ces processus de jugement de la réalité se retrouvent ici dans un autre contexte, dans cette absence de distance entre le corps de la mère et le corps de l’enfant. Rappelons que pour Kraepelin, les processus du jugement étaient plus atteints que la mémoire dans la démence précoce.

 

[161] FREUD,S., « Esquisse d’une psychologie scientifique » in Naissance de la psychanalyse, 1895, traduit      de l’allemand par A. Berman, 1956,1979, Paris, P.U.F., 318.

 

[162]  Ibid., p. 336.

[163] Ibid.

[164]  Ibid.,p.337.

[165] Ibid., p.321 Nous rappelons que les barrières de contact deviennent plus semblables au système j, le système en contact avec le monde extérieur, par la modification du cours des excitations, par leur degré de frayage. Les frayages, dit Freud, « servent à la fonction primaire ». C’est-à-dire, dans ce texte, la fonction de décharge par laquelle opère en premier lieu, le principe d’inertie.

[166] FREUD,S., « Esquisse d’une psychologie scientifique » in op. cit., p.320. Voici l’argument de Freud pour l’appareil psychique dans  l’Esquisse dont il apportera des changements importants pour s’éloigner des neurosciences, tout en gardant des lignes d’une économie générale  :  « Le cours de l’excitation modifie de façon permanente ces neurones. En adoptant la théorie des barrières de contact, nous dirons que ces barrières ont subi un changement durable. Or, comme l’expérience psychologique enseigne qu’il existe un apprentissage progressif basé sur la remémoration, nous en concluons que le changement produit consiste en une meilleure conduction par les barrières de contact, celles-ci devenant moins imperméables et plus semblables à celles du système j.   Ces états de barrières de contact est ce que nous appellerons leur degré de « frayage ». Nous dirons alors que la mémoire est représentée par les frayages se trouvant entre les neurones y. »

[167] Ibid. p. 319- 320.

 

[168] Ibid. p. 320. « Il est donc plus exact de dire que la mémoire est représentée par les différences de frayages existant entre les neurones  y. »

[169] Ibid. p. 316-317.

[170] En effet, Freud situe sa théorie de l’état de la conscience  entre deux autres thèses dont la première consiste à voir dans la conscience un processus accessoire aux autres processus psycho-physiologiques et un deuxième où la conscience constitue un aspect subjectif de tout événement psychique et serait inséparable du processus psycho-physiologique

[171]  Appelé parfois P, il s’agit du système perceptif, la Wahrnehmung.

[172] Ibid., p. 330-331

 

[173] Pour ce qui concerne l’expérience de la satisfaction, dont nous essayons ici de comprendre les origines, Freud nous dit déjà que l’action  spécifique qui provoque le changement vient d’une aide étrangère, donc des perceptions du monde extérieur.  Selon Freud, quand cette action a été accomplie, la levée de stimulation endogène s’accomplit  à l’intérieur du corps. « L’ensemble de ce processus constitue un Befriedigungserlebnis » (un événement de satisfaction) . Dans le système y il se passe trois choses  : (1) Une décharge durable s’accomplit, et il est ainsi mis fin à la poussée qui a créé du déplaisir en W; (2) dans le pallium (considéré par des histologistes du dix-neuvième siècle comme  la couche extérieure du cortex)  s’établit l’investissement d’un neurone (ou de plusieurs neurones) qui correspondent à la perception d’un objet ; (3) les informations sur la décharge provoquée par le mouvement-réflexe déclenché après l’action spécifique  arrivent à d’autres lieux du pallium. Entre ces investissements et les neurones du noyau se forme un frayage. » traduction personnelle provenant d’un travail de groupe, correspondant à Ibid., p. 337.Souligné par nous.

* Souligné par nous.

 

[174] Notons que la notion d’affect se développera dans l’œuvre freudienne, telle celle du représentant, qui l’accompagne.  Dans son article de 1915 sur le refoulement, in   Sigmund Freud, Œuvres Complètes, vol. XIII, trad. Coll., P.U.F., Paris, 1988, p. 195.  Freud écrit : « …quelque chose d’autre, qui représente la pulsion, entre en considération à côté de la représentation, et que cette autre chose connaît un destin de refoulement qui peut être tout à fait distinct de celui de la représentation. Pour cet autre élément de la représentance psychique, le nom de montant d’affect s’est acquis  droit de cité ; il (…) trouve une expression, conforme à sa quantité, dans des processus qui se signalent à la sensation sous forme d’affects. »  Souligné par nous. 

[175] Ibid., p. 339.

* image de souvenir.

  • · la reviviscence du vœu

[176] FREUD,S., « Esquisse d’une psychologie scientifique » in op. cit., 338.

 

 

 

* Souligné par nous.

[177] Ibid. p.328.

 

 

[178] Souligné par nous.

[179] FREUD, S. Lettres à Fleiss n° 39 in Naissance de la psychanalyse,  op. cit. , p. 127.

[180] FREUD,S. L’interprétation des rêves, op. cit. p. 488. Souligné dans le texte.

 

[181] Lacan disait que la jouissance était négativée par le langage. Ces sont les excitations qui sont liées, donc réduites dans la conception de l’Esquisse.

[182] Voir suite.

[183] LAMBOTTE, Marie-Claude, Le discours mélancolique, De la phénoménologie à la métapsychologie,  Anthropos, Paris, 1993, p. 206-208.

[184] Nous reviendrons sur la notion de double transitivisme mère-enfant de M.-C. Lambotte plus loin.

 

 

* Souligné dans le texte.

[185] LAMBOTTE, Marie-Claude, Le discours mélancolique, De la phénoménologie à la métapsychologie op. cit. p. 207.

 

[186] FREUD, S., « Le refoulement » 1915, in Métapsychologie, traduit de l’allemand par  Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Editions Gallimard, 1968, p . 48. Souligné dans le texte.

[187] FREUD, S., « La négation », 1925, traduit de l’allemand par J. LAPLANCHE, in op. cit., p.. 137.

* Souligné par nous.

[188] D’après notre propre traduction correspondant à  p. 329 de l’Esquisse in op. cit.

 

[189] Ibid.

[190] Ibid. Nous rappelons que Freud rendait hommage à son ami Fleiss dans l’Esquisse et que l’idée directrice de Fleiss était la périodicité. Freud rejettera plus tard cette idée avant d’y revenir dans une forme différente. Nous retenons la notion de quelque chose qui se répète régulièrement sans prendre en compte les idées de Fleiss associées aux rythmes biologiques de la vie.   

[191] Lacan retravaille une notion , le Wahrnehmungszeichen, « signe de perception » de la lettre 52 à Fleiss. Il voit dans cette notion un premier système de signifiants, « la synchronie primitive du système signifiant », Séminaire VII, L’éthique de la psychanalyse, 1959-60, Paris, Seuil,  p. 80.

 

[192] AULAGNIER, Piera, Un interprète en quête de sens, op. cit. , p. 406 et SS. C’est nous qui soulignons.

[193] FREUD,S., « Esquisse d’une psychologie scientifique » in op. cit., p. 330.

[194] AULAGNIER, Piera, Un interprète en quête de sens, op. cit., p.406. C’est nous qui soulignons.

[195] CF AULAGNIER, Piera, La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé, Paris, PUF, 1975, p. 27.

 

[196] Ibid.

 

[197] BONNEAU, B. « La langue m’a frappé dans les yeux » op. cit. p. 20.

* Souligné par nous.

[198] FEDIDA, Pierre, « Angoisse aux yeux » in Par où commence le corps humain, op. cit. p. 65. Fedida cite R. KRAUSS in « La pulsion de voir », in Les cahiers du Musée national d’art moderne, 29, 1989,p. 40.

 

[199]  Ibid., p. 27.

 

[200]  Nous pouvons légitimement demander quel statut prendra cet élément d’après l’interprétation lacanienne. Est-ce qu’il s’agit déjà du représentant ? LACAN, J. Le Séminaire, XVII, op. cit. p. 31. « Ceux qui ont assisté à mon premier séminaire ont pu y entendre le rappel de la formule, que le signifiant, à la différence du signe, est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant. Comme rien ne dit que l’autre signifiant sache rien de l’affaire, il est clair qu’il ne s’agit pas de représentation, mais de représentant. »  Voir supra pour ce qui concerne son traitement du signe. Nous suivons notre développement avant d’en décider du statut que prendra cet élément pour nous.

[201] LACAN , J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 261.

[202] Ibid., p. 262.

 

[203] Ibid., p. 289.

[204] Ibid.

 

[205] LACAN, J., Le Séminaire, I , op. cit., p. 59.

 

[206] LACAN, J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 271.

[207] Ibid.

 

[208] WOLFSON, Louis, Le Schizo et les Langues ou La Phonétique chez le Psychotique (Esquisses d'un étudiant de langues schizophréniques), Paris, Gallimard, 1970, p. 54.

 

[209] LACAN,J., « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud », op. cit., p. 392.

[210] Ibid., p. 392.

[211] Nous citons Lacan pour donner une première indication de nos pensées concernant la répartition triple du symbolique, de l'imaginaire et du réel dans le langage de notre patient : « Le discours concret, c'est le langage réel, et le langage, ça parle.  Les registres du symbolique et de l'imaginaire se retrouvent dans  les deux termes avec lesquels il articule la structure du langage, c'est-à-dire le signifié et le signifiant". LACAN, J., Le Séminaire, III, Les Psychoses, op. cit.

[212] voir supra.

 

[213] Titre d'un article de Sandor FERENCZI , « Confusion of tongues between the adult and the child », International Journal of Psycho-Analysis, 1949, XXX, IV, p.  225-230.

 

[214] LACAN J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 346.

[215] Ibid., p. 345.

[216] LACAN J., « D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », op. cit., p. 577.

 

[217] Voir supra.

 

[218] LACAN J., « D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », op. cit., p. 580.

 

[219] LACAN J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 19.

[220] FREUD, S., « L’Homme aux loups »,in Cinq Psychanalyses, op. cit., p. 389.

 

[221] FREUD S.,  « Au-delà du principe de plaisir », 1920, Traduit de l'allemand par Pierre Cotet, André Bourguignon et Alice Cherki, in Essais de Psychanalyse, Paris, Payot, Collection Prismes, 1987, p. 53.

[222] LACAN J., Le Séminaire, XI, « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », 1964, texte établi par Jacques-Alain MILLER, Paris, Seuil, 1973, p. 60.  

[223] Ibid., p. 60.

 

[224] Ibid., p. 60.

[225] Ibid., p. 60.

 

[226] Du point de vue lacanien l’imaginaire est un trou. Autrement dit, c’est parce que dans l’image il y a un trou à la place où se situe l’objet imaginaire, le phallus, que le corps prend son unité. L’enfant devant le miroir, l’absence du phallus, dans le jeu cache sexe que Lacan a relevé, suppose que l’entrée de l’enfant dans le langage, hors langage, l’absence même est inconcevable.

[227] Ce terme est à entendre ici d'après Lacan comme la division psychique du sujet.  Or comme remarquent LAPLANCHE et PONTALIS, dans le Vocabulaire de la psychanalyse, Cf. : « Clivage de moi », Ichspaltung, pp. 67-70, Paris, P.U.F., 1967, ce concept est déjà implicitement formulé dans un certain nombre de travaux à la fin du dix-neuvième siècle.  Cette notion de division psychique se trouvera précisée avec les travaux de P. Janet, J. Breuer et S. Freud, où elle sera exprimée sous les formes successives : clivage de la conscience, clivage du contenu de conscience, clivage psychique.  C'est autour de ces expressions que la notion freudienne d'inconscient prendra sa consistance topique, comme lieu autonome qui se constitue séparément du champ de la conscience par biais  du refoulement. Le terme Spaltung de Bleuler se voit accorder, par la psychiatrie contemporaine, le sens exclusif de dissociation attachée aux syndromes schizophréniques.  Dans notre étude nous adhérons à la notion freudienne, puis la notion lacanienne même si parfois cette notion peut recouvrir la notion bleulerienne.

[228] LACAN, J., Le Séminaire, XI, op. cit., p.61.

[229] LACAN, J., Le Séminaire, VII, L'éthique de la psychanalyse,  1959-1960, texte établi par MILLER, Jacques-Alain, Paris, Seuil, 1986, p. 80. Lacan  tient à préciser sa conception du système des premiers signes de la perception, le système des Wahrnhemungszeichen, d’après l’Esquisse de Freud :   « Mais n’oubliez pas que nous avons affaire au système des Wahrnhemungzeichen, des signes de la perception, c’est-à-dire au système premier des signifiants, à la synchronisation primitive du système signifiant.    Tout commence pour autant que  c’est en même temps, dans la Gleichzeitigkeit, que peuvent se présenter au sujet plusieurs signifiants. C’est à ce niveau que le Fort est corrélatif du Da. Le Fort ne peut s’exprimer que dans l’alternance à partir d’une synchronie fondamentale. C’est à partir de cette synchronie que quelque chose s’organise, que le simple jeu du Fort et du Da ne saurait suffire à constituer. » Lacan rapporte la question de périodicité des excitations à l’expérience de la simultanéité des signifiants et surtout à une opposition entre ceux-ci qui serait cause d’une Spaltung dans le sujet..

 

[230] Ibid., p. 65. « Le monde freudien, c'est-à-dire celui de notre expérience, comporte que c'est cet objet, das Ding, en tant qu'Autre absolu du sujet, qu'il s'agit de retrouver. »

 

[231] LACAN J. , « D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose», op. cit., p. 577.

[232] LACAN J., Le Séminaire de 19 Décembre 1962, consacré l'année 1962-1963 à « l'Angoisse », inédit à ce jour.

 

[233] JUNG, C.G. « Psychologie de la démence  précoce » p. 137.

 

[234] LACAN J., Le Séminaire, III, op. cit. 43.

 

[235] Ibid., p. 43-44.

[236] Ibid., p. 44.

 

[237] Ibid., p. 297.

[238] Ibid., p. 303.

[239] LACAN J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien », 1960, in Ecrits, Paris, Editions du Seuil, 1966, p. 805.

 

[240] Rappelons que c'est sur la base d'une distinction que Descartes fait entre l'âme et le corps, que la certitude du cogito apparaît.  L'opposition de ces deux termes, âme et corps, permet l'émergence de cette certitude : je pense.  Cette certitude est acquise sur la base d'une tromperie généralisée, le fait d'un "malin génie" plutôt qu'un savoir. C'est donc dans le rejet de tout savoir subjectif que survient la vérité du "je pense donc je suis", ou, dans d'autres versions, du "je suis, j'existe". Nous voyons que cela semble être vrai chez notre sujet, au moins dans l'instant de l'acte, où il trouve sa certitude.

[241] LACAN J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 303-304.

 

[242] LACAN J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien », op. cit. p. 805.

 

[243] FREUD S., « La négation », 1925, traduit de l'allemand par J. LAPLANCHE, in Résultats, idées, problèmes, vol. II, Paris, P.U.F., 1987, p. 138.

 

[244] Ibid., pp. 137-138.

 

[245] Regung : définition en allemand : mouvement ; sentiment , émotion, élan ; un accès, exemple : élan de cœur, accès  de cœur.  Freud et Lacan associent ce terme avec le désir.

 

[246] FREUD,S., L’interprétation des rêves,1926,1929, traduit en français par I. Meyerson, révisée par D. Berger, P.U.F. 1987 , p .481.

 

[247] FREUD S., « Complément métapsychologique à la théorie du rêve », op. cit., p. 134.

 

[248] FREUD S., « L'inconscient », 1915, in Métapsychologie, op. cit., p. 116.

[249] Ibid., p. 114.

 

[250] FREUD S., « Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualité », 1922, in Névrose, psychose et perversion, op. cit., p. 278.

 

 

[251] LACAN, J., « Le stade du Miroir comme formateur du Je », op. cit., p. 97.

 

[252] LACAN J., Les Complexes Familiaux Dans la Formation de L'individu, 1938, in Paris, Navarin Editeur, 1984, p. 43.

 

[253] LACAN, J., « Le stade du Miroir comme formateur du Je », op. cit., p. 97.

[254] LACAN, J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : Psychanalyse et structure de la personnalité », 1958, in Ecrits, Paris, Seuil, p. 674.

[255] Ibid., p. 676.

 

[256] Ibid., p. 676.

[257] Ibid., p. 682.

 

[258] Ibid., p. 682.

 

 

[259] FREUD, S., Inhibition, Symptôme et Angoisse, 1926, traduit de l'allemand par M. TORT, Paris, P.U.F., 1978. Dans ce texte nous apprenons que l'angoisse, mise en branle dans la phobie dérive d'une autre source que l'émoi pulsionnel.  Elle est liée à la perpective de réalisation d'un désir impliquant un danger précis, celui de la castration. Nous rappelons comment le phobique cherche son père dans l'animal phobique et plus particulièrement comment Freud décrit le passage du père à l'animal totémique.  Dans la dysmorphophobie  le mécanisme semble être analogue à celui des autres phobies, empruntant le signifiant des voies du réel plutôt que l'imaginaire.  Ainsi, le sujet sidéré devant le miroir, colmate bien son angoisse de la "bête", ou le père pulsionnel.

[260] LACAN, J., « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique », 1949, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 95.

 

[261] LACAN, J., Le Séminaire, II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, 1954-1955, texte établi par Jacques-Alain MILLER, Paris, Editions du Seuil, 1978, p.66.

 

[262] FREUD, S., L’Homme aux loups, op. cit., pp. 27-28.

[263] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 29 Mai 1963.

[264] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 19 Décembre 1962.

 

[265] LACAN, J., « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur le Verneinung de Freud », op. cit., p. 387.

[266] Ibid., p. 392

[267] FREUD, S., L’Homme aux loups, op. cit., p. 77.

 

[268] Ibid., p. 83.

[269] MACK-BRUNSWICK, Ruth, « Supplément à l'Extrait de l'Histoire d'une Névrose Infantile de Freud »,1928, in L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, texte présenté par Muriel GARDINER, Paris, Gallimard, 1981, p. 302.

 

[270] Ibid., pp. 269-270.

[271] ABRAHAM,N.  et TOROK, M., Cryptomanie, le verbier de l’Homme aux loups, Editions Aubier Falmmarion,1976, 252 pp.

[272] Ibid. p. 114-115.

 

[273] FREUD, S., L’Homme aux loups, op. cit., p. 72.

[274] LACAN, J., Le Séminaire, l'Angoisse, op. cit., le 12 Juin 1973.

[275] Nous employons le concept d'auto-érotisme de façon plus spécifique et en opposition au narcissisme: D'après J. LAPLANCHE et J.- B. PONTALIS in Vocabulaire de la Psychanalyse, Paris, P.U.F., 1984, p.42. L'auto-érotisme est un « caractère d'un comportement sexuel infantile précoce par lequel une pulsion partielle, liée au fonctionnement d'un organe ou à l'excitation d'une zone érogène, trouve sa satisfaction sur place, c'est-à-dire : 1° Sans recours à un objet extérieur ; 2° Sans référence à une image du corps unifiée, à une première ébauche de moi, telle qu'elle caractérise le narcissisme. »

 

 

 

  

 

[276] LECLAIRE, Serge, « A propos de l'épisode psychotique que présenta L’Homme aux loups », in La Psychanalyse, p.93.

[277] Ibid., p. 93.

[278] Ibid., p. 93.

 

[279] FREUD, S., « La Négation », op. cit., p. 137.

[280] LACAN, J., Le séminaire, XI, op. cit., p. 96.

 

[281] ABRAHAM,N.  et TOROK, M., Cryptomanie, le verbier de l’Homme aux loups, op. cit., p.117-118, Les auteurs distinguent la métonymie des choses de la métonymie  des mots. La contiguïté des mots ne concerne pas ici les représentations de mots, mais « relève de la contiguïté lexicologique des significations diverses d’un même mot, c’est-à-dire des allosèmes, telles quelles sont répertoriées dans un dictionnaire. »(Souligné dans le texte.) Néanmoins, dans leur analyse des signifiants chez l’Homme aux loups, ces auteurs prennent en compte des homophones translinguistiques, employant la même technique que Wolfson pour rechercher des homophones des mots anglais dans des langues étrangères utilisées par l’Homme aux loups. Nous prenons en considération l’homophonie dans son rapport avec la chaîne parlée. Dans ce sens la métonymie prend deux formes : 1) les répétitions des phonèmes dans une même séquence parlée. 2) les répétitions des phonèmes reproduites par des glissements de la chaîne des signifiants sur la chaîne des signifiés. Pour l’Homme aux loups et Mlle M. , nous n’avons trouvé que le premier type. Chez Monsieur L. nous avons reconnu les deux types.    Ce que nous appellerions la métonymie de la Chose concerne l’absence de distance entre le corps de la mère et celui de l’enfant. Ce que Maria Torok et Nicolas Abraham appellent « métonymie de chose » s’apparente pour nous à la métonymie des objets.  Ils utilisent également l’expression : la Chose, en relation avec le mot pour parler de ce « mot de la jouissance » non dit par l’Homme aux loups, qu’ils reconstruisent d’après de multiples interprétations pour indiquer un mot qui semble tenir la même place que celui prononcé par Monsieur L. Ces auteurs soulignent la présence d’un mot conscient, allosème de celui qui indique la Chose, qu’ils appellent un cryptonyme. Celui-ci peut se transformer selon les auteurs en image visuelle. Cependant, l’image dont il s’agit ici, n’est pas le reflet en miroir, mais un fantasme.. p. 233-234.

  

[282] FREUD, S., L’Homme aux loups, op. cit., pp. 98-99.

 

[283] LACAN, J., Le Séminaire, XI, op. cit., p. 95.

 

[284] Ibid., p. 95.

[285] Ibid. p. 96.

 

[286] Le complexe d'intrusion fait partie des complexes familiaux identifiés par Lacan. Il représente l'expérience que réalise le sujet primitif lorsqu'il connaît ses frères ou ses semblables. Le stade du miroir fait partie de ce complexe ainsi que le stade anal.

[287] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 21 Novembre 1962.

[288] Ibid., le 5 Décembre 1962.

 

[289] Ibid., le 28 Novembre 1962.

[290] Ibid., le 9 Janvier 1963. Le cross-cap est une figure topologique adoptée par Lacan comme modèle pour représenter la qualité de non-spécularité de a, difficilement appréciable par le schéma du bouquet renversé. Bien que la bande de Moebius représente cette qualité de ne pas avoir une réflexion dans le miroir à l'état potentiel, en définitive il en a une.  C'est pour cette raison et par son analogie avec le doigt du gant que nous avons retenu la première figure.

[291] LACAN, J., Le Séminaire, XI, op. cit., p. 78.

 

 

[292] FREUD, S., « L'inquiétante étrangeté », 1919, traduit de l'allemand par Bertrand Féron, in L'Inquiétante Etrangeté et Autres Essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 237.

[293] Citation d'O. Rank par Freud, Ibid., p. 237.

[294] Ibid., p. 237

[295] Ibid., p. 237.

 

[296] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 29 Mai 1963.

[297] Ibid.

[298] Ibid., le 9 Janvier 1963.

[299] LHERMITTE, J. L’image de notre corps, 1939,Editions L’Harmattan, Paris, 1998, p. 224-225.

 

[300] MAUPASSANT , Guy, « Le Horla » in Le Horla,  1887, Albin Michel, Paris 1984, p. 46-47.

[301] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 9 Janvier 1963.

[302] FREUD, S., L’Homme aux loups, op. cit., p.99.

[303] Ibid.

 

[304] LACAN, J., Le Séminaire, I, op. cit. p. 71.

 

[305] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 29 Mai 1963.

[306] FREUD,S. « La tête de Méduse », 1922, in Résultat, idées, problèmes, tome II , traduction dirigé par LAPLANCHE, J. et PONTALIS J.-B., 1985, P.U.F., p. 49.

 

[307] Cf. entre autres références,  LACAN, J., Le Séminaire, X, : L’angoisse (1962-1963), non encore publié à ce jour, séance du 20 mars 1963. 

* Souligné par nous.

 

[308] « Pulsions et destins des pulsions » 1915, traduction dirigé par LAPLANCHE, J. et PONTALIS J.-B., in Métapsychologie, Paris, Gallimard, collection Folio Essais, 1968, p.31-32.

[309] Ibid. p. 29.

 

* Souligné par nous. 

* Souligné par nous.

[310] Ibid. p. 33.

 

[311] Ibid. p. 29.

[312] Augenangst, angoisse des yeux. FREUD, S., « L'inquiétante étrangeté », 1919, in op. cit., p. 231. « L’étude des rêves, des fantasmes et des mythes nous a ensuite appris que l’angoisse de perdre ses yeux, l’angoisse de devenir aveugle est bien  souvent un substitut de l’angoisse de castration. »

 

[313]ABRAHAM,N.  et TOROK, M., Cryptomanie, le verbier de l’Homme aux loups, op. cit., p. 140. Tout un panoplie d’associations entoure le symptôme  du nez de l’Homme aux loups.

[314] FREUD, S. « Le Fétichisme », 1927, in La vie Sexuelle, op. cit. p. 134.

 

[315] Ibid., p. 133.

[316] Nous pensons ici d’une expression anglaise concernant les entailles sur la figure qui exprimerait une façon dont le sujet pourrait réagir malgré lui-même dans une geste initialement dirigée contre l’autre. Celui-ci pourrait demander pourquoi couper ton nez pour contrarier ton visage ? : «Why cut off your nose to spite your face ? »

 

[317] LAMBOTTE, Marie-Claude, Le discours mélancolique, De la phénoménologie à la métapsychologie, in op. cit., p. 561-579.

[318] Ibid. p. 569.

 

* Souligné par nous.

[319] Notons que Ferenczi rapporte un cas d’une jeune fille hystérique ayant des symptômes hypochondriaques dont le premier sens qu’il propose est que ces symptômes sont en rapport avec une identification avec la pathologie du père. FERENCZI, S. « Psychanalyse d’un cas d’hypochondrie hystérique », 1919, in Psychanalyse III, Oeuvres, Complètes, trad. J. Dupont et M. Vilker, 1974, Paris, Payot.

[320] LAMBOTTE, Marie-Claude, Le discours mélancolique, De la phénoménologie à la métapsychologie, in op. cit., p.586.

 

[321] Ibid., le 22 Mai 1963.

 

[322] Ibid., le 23 Janvier 1963.

 

[323] LACAN, J. Deux notes sur l’enfant, Ces deux notes, remises manuscrites par Jacques Lacan à Mme Jenny Aubry en octobre 1969, ont été publiées pour la première fois par cette dernière dans son livre paru en 1983. Edité depuis 2001 in LACAN, J. Autres Ecrits, « Note sur l’enfant », Paris, Seuil, 2001,p. 373-374. « La distance entre l’identification à l’idéal du moi et la part prise du désir de la mère, si elle n’a pas de médiation (celle qu’assure normalement la fonction du père) laisse l’enfant ouvert à toutes les prises fantasmatiques. Il devient l’ « objet » de la mère, et n’a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet. L’enfant réalise la présence de ce que Jacques Lacan désigne comme l’objet a dans le fantasme.  Il sature en se substituant à cet objet le mode de manque où se spécifie le désir (de la mère), quelle qu’en soit la structure spéciale : névrotique, perverse ou psychotique. » Souligné par nous.

 

[324] LAMBOTTE, Marie-Claude, Le discours mélancolique, De la phénoménologie à la métapsychologie, in op. cit., p. 208.

[325] Ibid. p. 209.

 

[326] LACAN, J., Le Séminaire, I, op. cit., p. 212.

[327] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 23 Janvier 1963.

[328] Ibid.

 

[329] Ibid.

 *  Souligné par nous

[331] FREUD, S., Inhibition, Symptôme et Angoisse, p. 29.

 

[332] FREUD, S.,  Inhibition, Symptôme et Angoisse, p. 35.

 

[333] FREUD, S., « Pour Introduire le Narcissisme » ( 1914) in La Vie Sexuelle, traduit par Berger, Denise, Laplanche, Jean ; P.U.F. Paris, 1960, p. 83. Freud compare la vie psychique des enfants et des peuples primitifs. Il met en lien, par des traits isolés de toute-puissance de pensée, de croyance à la force magique des mots, etc., la pensée animiste avec  le délire des grandeurs.

 

[334] Ibid., p. 83.

[335] Correspondance Freud-Jung, lettre de Jung du 13 mai 1907 in CORRESPONDANCE 1906-1914,Traduit de l’allemand et de l’anglais par Ruth Fivaz-Silbermann, Gallimard, Paris, 1992.p. 91-94: en se référant aux démences précoces : « Quand vous dites que la libido se retire de l’objet, vous voulez sans doute dire qu’elle se retire de l’objet réel pour des raisons normales de refoulement (obstacles, impossibilité évidente de l’accomplissement, etc.) et qu’elle se tourne vers un démarquage fantasmatique du réel, avec lequel elle commence alors son jeu auto-érotique classique. La projection vers l’extrémité perceptive émane du désir originel de réalité, qui, s’il est irréalisable, se crée sa réalité sur le mode hallucinatoire. » (souligné dans le texte)

 

[336] FREUD, S., « Pour Introduire le Narcissisme » op. cit., p. 84.

* Souligné par nous.

[337] Ibid., p. 85.

[338] Ibid., p. 91.

 

[339] Ibid.

[340] Ibid., p. 92.

 

[341] Freud qualifiera autrement la défense chez le psychotique plus tard. Nous y reviendrons.

 

[342] Correspondance Freud-Jung, lettre de Freud du 23 mai 1907 in op. cit. p. 95-98. 

 

[343] MALEVAL, Jean-Claude, Logique du délire , Ouvertures psy, Masson, Paris, 2000, p. 96.

 

[344] Ce repère, provenant des apports langagiers, , marque la différence de la paranoïa avec la schizophrénie. L’image du semblant, le double, semble être liée aux effets de retour des éléments du cadre dans la paranoïa, c’est-à-dire, centré autour du signifiant Maître, S-1. Ainsi le paranoÏaque peut trouver une suppléance  à la métaphore paternelle manquante   par une sorte de non coïncidence  avec l’objet que dénote  son annulation en tant que sujet.

[345] Ibid., pp. 101-130.

[346] FREUD, S. Totem et Tabou, 1912-13, traduit par S. Jankélévitch ; Petite Bibliothèque Payot, Paris,1992, p. 104 . A propos de la nécessité d’intercaler une phase entre l’auto-érotisme et la phase objectale une troisième, Freud dit expressément : « de décomposer en deux la première phase, celle de l’auto-érotisme. » Il nomme cette troisième phase narcissisme déjà dans ce texte. L’auto-érotisme secondaire concerne une phase auto-érotique, distincte de la phase objectale, mais aussi distincte de la première phase auto-érotique.

 

[347] Correspondance Freud-Jung, lettre de Freud du 23 mai 1907, op. cit.

 

[348] Ibid.

 

[349] Ibid.

 

[350] MALEVAL, Jean-Claude, Logique du délire, op. cit., pp. 131-159.

 

[351] Correspondance Freud-Jung, lettre de Freud du 23 mai 1907, op. cit.. 

[352] FREUD, S., « Pour Introduire le Narcissisme » op. cit.,. p. 91. Note 3. Les traducteurs expliquent leur choix du mot frustration, bien qu’il ne soit pas tout à fait adéquat pour dire « la condition du sujet qui se voit refuser ou se refuse la satisfaction d’une revendication pulsionnelle ».

[353] Ibid. p. 92.

 

[354] LACAN, J. Le séminaire, II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, op. cit., p. 375.

 

[355] LACAN , J., Les Complexes Familiaux, op. cit., p.36.

[356] Ibid., pp. 40-41.

[357] Ibid., pp. 45-46.

 

[358] LACAN, J., Le Séminaire, XI, op. cit., pp. 105-106.

[359] Ibid., p. 106.

 

[360] LACAN, J., Les Complexes Familiaux, op. cit., p. 45.

 

[361] LACAN, J. Le séminaire, II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, op. cit., p.74.

 

[362] * Souligné par l’auteur.

* Souligné par nous.

[363] LAMBOTTE, Marie-Claude, Le discours mélancolique, De la phénoménologie à la métapsychologie,  Anthropos, Paris, 1993, p. 203.

 

* Souligné par nous.

* Souligné par nous.

[364] Ibid., p. 203-204.

[365] Nous pensons ici à la fois au triangle commenté par Lacan et suivons M.C. Lambotte dans sa recherche concernant l’utilisation d’un objet esthétique par le mélancolique.

 

[366] LACAN, J., « L'agressivité en psychanalyse », 1948, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 113.

[367] LACAN, J., « Le Stade du Miroir comme formateur du Je », op. cit., p. 94.

 

[368] Dans son article « La Dénégation » de 1925, Freud conçoit l'expulsion  comme forme primitive de la négation.  Autrement dit, ce qui est perçu comme mauvais est rejeté en dehors. Précédemment, en « Au-delà du principe de plaisir », 1920, Freud a développé les notions de pulsions de vie et pulsions de mort.  Nous citons un passage de ce dernier texte : « Mais comment déduire de l'Eros, qui conserve la vie, la pulsion sadique qui a pour but de nuire à l'objet ?  N'est-on pas invité à supposer que ce sadisme soit à proprement parler une pulsion de mort qui a été repoussée du moi par l'influence de la libido narcissique, de sorte qu'elle ne devient manifeste qu'en se rapportant à l'objet ?(*) Il entre alors au service de la fonction sexuelle; au stade d'organisation orale de la libido, l'emprise amoureuse sur l'objet coïncide encore avec l'anéantissement de celui-ci; plus tard la pulsion sadique se sépare(...) En fait on pourrait dire que le sadisme expulsé hors du moi a montré la voie aux composantes libidinales de la pulsion sexuelle, celles-ci vont se presser à sa suite vers l'objet. » op. cit., p. 102. (*) Souligné par nous.

 

[369] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 19 Décembre 1962.

 

[370] FREUD, S., L’Homme aux loups, op. cit. p. 78.

[371] LECLAIRE, S., « A propos de l'épisode psychotique que présenta l’Homme aux loups », op. cit., 93.

[372] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 29 Mai 1963.

 

[373] LACAN, J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 218.

 

[374] ROSS, Nathaniel, "The  As If Concept", Journal of the American Psycho-analytic Association, XV, 1967, n°1, p. 61. Nathaniel Ross reformule ce concept, des "as if" personnalités : "The basic traumata appeared to center about the failure to find objets for cathexis.  The process of identification had not progressed beyond the early stage of imitativeness, which may be regarded as a precursor of identification rather than identification in the actual sense of the word.  Such identification had never been consolidated, for lack of a constant, affectively charged objet, and there had been a consequent failure of internalization.

[375]  Le terme intériorisation semble être employé à première vue, par Ross, comme synonyme d'introjection, comme c'est le cas à l'école kleinienne.  « C'est-à-dire du passage fantasmatique d'un objet "bon" ou "mauvais", total ou partiel, à l'intérieur du sujet. » plutôt que dans son  sens plus spécifique :  comme « processus par lequel des relations intersubjectives sont transformées en relations intra-subjectives (intériorisation d'un conflit, d'une interdiction, etc.) (...) On dira par exemple que la relation d'autorité entre le père et l'enfant est intériorisée dans la relation du Surmoi au moi. »  Ainsi cette deuxième idée est corrélative des conceptions topiques de Freud. Dans un souci de précision Laplanche remarque que ces deux sens sont liés :  « lors du déclin de l’Œdipe, on peut dire que le sujet introjecte l'imago paternelle et qu'il intériorise le conflit d'autorité avec le père. » Nous citons : LAPLANCHE, J. et PONTALIS, J.B., Vocabulaire de la Psychanalyse, op. cit., p. 206. 

Or si Ross emploie ce terme dans son sens kleinnien, il semble adhérer à l'idée que le sujet ne peut introjecter que les  objets « bon ».  S'il  emploie ce terme plutôt dans son sens spécifique, il ne tient pas compte de l'intériorisation possible des conflits.  En fait, il s'avère que le concept d’intériorisation est pris ici dans un sens très proche de celui de la métaphorisation. 

 

[376] LACAN, J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien », op. cit., p. 806.

[377] LACAN, J.,  « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache », op. cit., p. 676.

 

[378] Ibid., p. 680.

[379] Ibid., p. 678.

 

[380] FREUD, S., « Le moi et le Ca », 1923, traduit de l’allemand par Jean LAPLANCHE, in Essais de Psychanalyse, Paris, Payot, collection Prismes, 1987, p. 246.

[381] Ibid., p. 243.

[382] Ibid., p. 243.

 

[383] Ibid., pp. 262-263.

 

[384] Ibid., p. 262.

[385] Ibid., p. 268.

 

[386] FREUD, S. « L’inquiétante étrangeté » in op. cit., p. 237.

 

[387] LACAN, J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 312.

 

[388] FREUD, S., « Le moi et le ça », op. cit., pp. 246-247.

 

[389] FREUD, S. « L'inconscient », op. cit., p. 120.

 

[390] LACAN, J., Le Séminaire, III, op. cit., p. 313.

 

[391] LACAN, J., Le Séminaire, I, op. cit., p. 121.

 

[392] FREUD, S., « Le moi et le ça », op. cit., p. 268.

[393] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 22 MAI 1963.

 

[394] LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 22 Mai 1963.

[395] Ibid., le 8 Mai 1963.

[396] Ibid., le 29 Mai 1963.

 

[397] Nous reprenons la célèbre expression de  FREUD dans  L'Homme aux Rats, texte de 1909 .

 

[398] JUNG, C. « Psychologie de la démence précoce, 1906, , in Psychogenèse des maladies mentales, Albin Michel, Paris, traduit de l’allemand par Josette Rigal, 2001, pp. 55.

 

[399] Ibid., note n° 96, p. 345.

 

[400] MERLEAU-PONTY, M., Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.

[401] MERLEAU-PONTY, M. Le Visible et l’invisible, Paris Gallimard, 1964.

 

[402] LACAN, J. Le Séminaire, Livre VI, Le Désir et son Interprétation, séance du 3 décembre 1958, inédite.

[403] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quatres concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973.

[404]LACAN, J. Le Séminaire, Livre VI, Le Désir et son Interprétation, séance du 3 décembre 1958, 

[405] BINSWANGER L., Délire. Contribution à son étude phénoménologique et daseinsanalytique, l’édition originale Wahn, Günther, Neske, Pfullingen, 1965, traduit par Aozirn, J.-M. et Totoyan, Y., Grenoble, Million, Collection Krisis, 1993.

[406] Pour Freud le jugement par rapport à la réalité est un processus  provoqué par la dissemblance entre la perception et le souvenir de celle-ci. Lacan développe les «décisions » que doit prendre, selon Freud, la fonction du jugement . Ainsi, le processus de l’aliénation où l’être en sort comme écorné d’un élément, inaugure le sujet et le non-moi. Il appelle cet élément le non-sens en référence à l’aliénation et le non-lust, la discontinuité entre la perception et la trace, en référence au plaisir dans le processus de séparation.

 

[407] BONNEAU, B., «J’ai tué mon père et je suis dans la glace ». Mémoire de Maîtrise en Psychologie, 1992. Clinique, Paris VII, 1992 et journée des cartels à Dijon le 18 octobre 1997.

[408] WINNICOT,D.W. ,Jeu et Réalité, L’espace potentiel, trad. C.Monod et J.-B. Pontalis , Paris, Gallimard, 1971, p. 7-39 et 153-162.

[409] WINNICOT,   D. W. De la pédiatrie à la psychanalyse, « La théorie de la relation affective de la mère, » trad. J.Kalmannovitch, Paris, Payot, 1976.

 

 

[410] VON HUMBOLDT, W. Introduction à l’œuvre sur le kavi et autres essais, Paris, Seuil, 1974, p. 80-83.

[411] FREUD, S. L’Homme aux loups , « A partir de l’Histoire d’une Névrose Infantile », 1918 traduit de l’allemand par J. Altounian et P. Cotet, Paris,  P.U.F., collection Quadrige, 1990.

 

[412] STEVENS, Alexandre, « L’holophrase » in Ornicar ? , Paris, Navarin,  Automne 1987-88.

[413] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973.

 

[414] MALEVAL, Jean-Claude, Logique du délire, op. cit., p. 163.

[415] BRUNO, Pierre, Antonin Artaud, Réalité et Poésie, L’œuvre et la psyché, l’Harmattan, Paris, 1999, 195 pp.

 

[416] JUNG, C. J., « Psychologie de la démence précoce »,  1906, in op. cit., pp. 55.

[417] Ibid., P. 56.

 

[418] BINSWANGER, L., Délire. Contribution à son étude phénoménologique et daseinsanalytique, l’édition originale Wahn, Günther, Neske, Pfullingen, 1965, traduit par Aozirn, J.-M. et Totoyan, Y., Grenoble, Million, Collection Krisis, 1993.

[419] FREUD, S., « Esquisse d’une psychologie scientifique » in Naissance de la psychanalyse, 1895, traduit  de l’allemande par A. Berman, 1956,1979, Paris, P.U.F..

[420] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit.

 

[421] LACAN, J. « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », 1959 in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

[422] BONNEAU, B., «J’ai tué mon père et je suis dans la glace » op. cit.

[423] Trésor de la langue française ; Dictionnaire de la langue du XIX et du XX siècle, éd. CNRS, Paris, 1981.

 

 

[424] Ibid.

[425] LACAN,  J., Le Séminaire III, Les Psychoses, 1955-1956, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981.

[426] DE SAUSSURE, F., Cours de Linguistique Générale, édition critique, Paris,  Payot, 1980.

[427] Lacan, dans sa présentation de «l’algorithme du signe saussurien » retournera le schéma présenté par Saussure, plaçant le signifiant, S (capitale et romain) au-dessus du signifié, s(minuscule et italique).

[428] LACAN,  J. Le Séminaire III, Les Psychoses, 1955-1956, op. cit.

[429] DE SAUSSURE, F., Cours de Linguistique Générale, op. cit. , p. 97.

 

[430] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit.

 

[431] Ibid.

[432] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XX, Encore, 1972-73, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p.129

[433] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit.

Lacan dit : « Le trait unaire, le sujet lui-même s’en repère, et d’abord il se marque comme tatouage, premier des signifiants. Quand ce signifiant, cet un, est institué --- le compte, c’est un un au niveau du compte, que le sujet a à se situer comme tel. En quoi, déjà, les deux uns se distinguent. Se marque ainsi la première schize qui fit que le sujet comme tel se distingue du signe par rapport auquel, d’abord, il a pu se constituer comme sujet. Je vous enseigne dès lors à vous garder de confondre la fonction de S barré avec l’image de l’objet a, en tant que c’est ainsi que le sujet, lui, se voit, redoublé, --- se voit comme constitué par l’image reflétée, momentanée, précaire, de la maîtrise, s’imagine homme seulement de ce qu’il s’imagine. »

[434] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XX, Encore, 1972-73, p. 74.

 

[435] Ibid., p.23.

[436] Ibid.

 

[437] FREUD,S. « Au-delà du principe du plaisir »,op. cit.

 

[438] FREUD, S. « Deuil et Mélancolie »,

[439] FREUD,S. « Le moi et le Ca ».

 

[440] FREUD,S. « Le moi et le Ca », op. cit., p. 241.,Freud parle de cette confusion à la phase orale. A ce temps logique de l’individu, « l’investissement de l’objet et l’identification ne peuvent guère être distingués l’un de l’autre. Plus tard, on peut seulement admettre que les investissements d’objet partent du ça, qui ressent les tendances érotiques comme des besoins. » Freud indique dans ce chapitre les destins de cet investissement et fait un parallèle entre la substitution de l’identification au choix d’objet et les croyances des peuples dites «primitifs ».

 

[441] LACAN, J. Le Séminaire, Encore, 1972-73, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975p. 85.

[442] Ibid., p. 87. « Enfin, le symbolique, à se diriger vers le réel, nous démontre la vraie nature de l’objet a. Si je l’ai tout à l’heure qualifié de semblant d’être, c’est parce qu’il semble nous donner le support de l’être. »

[443] LACAN, J. Ibid, p. 86-87.

 

[444] STEVENS, Alexandre, « L’holophrase » in Ornicar ? , Paris, Navarin,  Automne 1987-88.

[445] voir supra.

 

[446] LACAN, J. Le Séminaire, Encore, 1972-73, op. cit. , p. 115-116.

[447] LACAN, J. Le Séminaire, Le désir et son interprétation, leçon du 3 décembre 1958, inédit à ce jour.

 

[448] .FREUD,S., L’interprétation des rêves,1926,1929, traduit en français par I. Meyerson, révisée par D. Berger, P.U.F. 1987, p.120.

[449] FREUD,S., Ibid. Pp. 120-122. 

[450] STEVENS, Alexandre, « L’holophrase » in Ornicar ? , Paris, Navarin,  Automne 1987-88.

[451] LACAN, J. Le Séminaire, Le désir et son interprétation, leçon du 3 décembre 1958, op. cit.

[452] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quatres concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit.

 

[453] Voir supra.

 

[454] LACAN,  J. Le Séminaire, Livre X,  l’Angoisse, séance du  23 Janvier 1963, inédite.

 

[455] FREUD, S. L’Homme aux loups , « A partir de l’Histoire d’une Névrose Infantile », 1918 traduit de l’allemand par J. Altounian et P. Cotet, Paris,  P.U.F., collection Quadrige, 1990.

[456] MACBRUNSWICK, R., « Supplément à l’Extrait de l’Histoire d’une Névrose infantile de Freud, » 1968, in L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, texte présenté par M. Gardiner, Paris, Gallimard, 1981.

 

[457] Ibid.

 

[458] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XXIII, Le Sinthome, 1975-1976, inédite.

 

[459] Ibid.

[460] Lacan, J. Le Séminaire, Livre X,  l’Angoisse, séance du 23 janvier 1963, inédite.

[461] Voir supra.

 

[462] BORIE, Nicole, « Jean le grammaire », présentation à la rencontre des séminaires  de l’Institut du Champ Freudien sur le thème « Le neodéclenchement », le 28 février 1998, inédit à la rédaction de cette thèse.

 

[463] BONNEAU, B. op.cit.

[464] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quatres concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit.

 

[465] Ibid..

 

[466] Nous employons ce mot « originaire »  après hésitation en référence de ce qui fait origine à l’holophrase, c’est-à-dire son inscription corporelle.

[467] Lacan, J. « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la  Verneinung de Freud », 1954, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

 

[468] LACAN, J., « Fonction et champ de la parole et du langage en  psychanalyse » in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 264-295.

[469] MALEVAL, Jean-Claude, Logique du délire, op. cit., p. 97.

 

[470] Ibid., p. 163.

 

[471] FREUD,S., L’interprétation des rêves, op. cit., p. 446.

 

[472] FREUD, S., « L'inquiétante étrangeté », 1919, in op. cit., p. 214.

 

[473] FREUD,S., L’interprétation des rêves, op. cit., pp. 433-434.

[474] Ibid. p. 263.

 

[475] FREUD S., « Au-delà du principe de plaisir », 1920, op. cit. p. 50.

[476] Le déni est une des formes de traitement de la réalité selon Freud. 

 

 

[477] FREUD,S., L’interprétation des rêves, op. cit., p. 357.

 

* Souligné par nous. Nous rappelons que Freud définit les trois structures : névrose, psychose et perversion à partir d’un non-savoir concernant la réalité de la castration.  

[478] Ibid., p. 103.

 

[479] FREUD,S. « L’inquiétante étrangeté » in op. cit., p. 236.

 

[480] JAKOBSON, Roman, « A la recherche de l’essence du langage »  in Problèmes du langage, Paris, Gallimard , 1966, p. 24. « Peirce, tout comme Saussure, établit une distinction nette entre les « qualités matérielles », le signifiant de tout signe, et son « interprétant immédiat », c’est-à-dire le signifié. La différence qui se manifeste dans la relation entre le signifiant et le signifié lui permet de discerner trois variétés fondamentales de signes (ou de representamen, dans sa terminologie). 1) l’icône opère avant tout par la similitude de fait entre son signifiant et son signifié, par exemple entre la représentation d’un animal et l’animal représenté : la première vaut pour le second, « tout simplement parce qu’elle lui ressemble ». 2) L’indice opère avant tout par la contiguïté de fait, vécue, entre son signifiant et son signifié ; par exemple la fumée est indice d’un feu ; la notion passée en proverbe qu’ « il n’y a pas de fumée sans feu » permet à n’importe quel interprète de la fumée d’inférer l’existence du feu, que celui-ci ait ou non été allumé intentionnellement en vue d’attirer l’attention de quelqu’un ; Robinson Crusoé a trouvé un indice : son signifiant était la trace d’un pied dans le sable, et le signifié inféré à partir de cette trace, la présence d’un être humain sur son île ; l’accélération du pouls considérée comme symptôme probable de fièvre est également un indice, et dans des cas de ce genre la sémiotique de Peirce conflue avec l’étude médicale des symptômes des maladies qui porte le nom de sémiotique, séméiologie ou symptomatologie. 3) Le symbole opère avant tout par contiguïté instituée, apprise, entre signifiant et signifié.  Cette connexion « consiste dans le fait qu’elle forme une règle », et ne dépend pas de  la présence ou de l’absence de quelque similitude ou contiguïté de fait que ce soit. »

 

[481] FEDIDA, P. « Le souffle indistinct de l’image » in Le site de l’étranger, Paris, P.U.F. 1995, p. 218-219. Fedida ne manque pas de voir dans la typologie sémiotique, dont l’icône fait partie, une clé pour comprendre ce qu’il appelle « l’empire aporétique de l’image ». Il note dans les écritures idéogrammatiques la coïncidence remarquable d’une source sonore et phonique et l’image visuelle.

 

 

[482] MALEVAL, Jean-Claude, Logique du délire, op. cit., p. 163.

 

[483] FREUD, S., Abrégé de psychanalyse, 1938 in  Paris : PUF ; 1975, p.78.

[484]  D’après AULAGNIER, voir supra.

[485] FREUD, S., « Remarques Psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa, (Dementia paranoïdes), (Le Président Schreber) » in op. cit., p. 318-319.

 

[486] BRUNO, Pierre, Antonin Artaud, Réalité et Poésie ,in op. cit., p. 33.

 

[487] FREUD, S. Abrégé de Psychanalyse,1938, traduit de l’allemand par Anne Berman, édition revue et corrigé par Jean Laplanche, Paris, P.U.F., p.77.

[488] Ibid.

[489] Ibid. p.73.

* Souligné par nous.

* Souligné par nous.

[490] Ibid. p. 74.

 

[491] Ibid. p. 75.

[492] Ibid.

 

* Souligné par nous-même.

* Souligné par nous-même.

[493] Ibid. p. 74.

 

[494] Ibid. p. 77.

[495] BONNEAU, B., « La langue m’a frappé dans les yeux », DEA, Paris VII, 1994.

[496]  Les « forces internes » auxquelles se réfère Freud ici sont de « trop excessives forces pulsionnelles. »

* Souligné par nous-même.

[497] FREUD, S. Abrégé de Psychanalyse, in op. cit., p. 75.

 

[498] FREUD, S. , « Esquisse d’une psychologie scientifique » in Naissance de la psychanalyse, 1895, traduit  d’allemande par A. Berman, 1956,1979, Paris, P.U.F., p. 320.